Le défi de protéger la biodiversité à Montréal
Ville hôte de la COP15 sur la biodiversité, Montréal veut augmenter la superficie terrestre d’aires protégées sur son territoire à 10 %, en ajoutant l’équivalent de cinq fois le mont Royal. Mais le chemin pour y arri‐ ver doit encore être tracé.
Les délégués réunis à la COP15 doivent aboutir à un cadre de référence – l’équi‐ valent d’un Accord de Paris pour la biodiversité – qui comprend une cible de pro‐ tection de 30 % des terres et océans d’ici 2030. Un objectif auquel s’est engagé le premier ministre du Québec, François Legault, à l’ouverture de la 15e COP de la Convention sur la diversité biologique (CBD).
Pour s’inscrire dans ce grand objectif, la Ville de Montréal a indiqué vouloir augmenter la superficie ter‐ restre de milieux naturels pro‐ tégés d’ici 2030 dans le cadre de son plan de protection des pollinisateurs. En 2021, la mé‐ tropole avait pu réaliser un bond important grâce à la création d’un paysage huma‐ nisé sur une portion de l’île Bi‐ zard, faisant ainsi passer sa superficie d’aires terrestres protégées à 8 %.
Maintenant, ça a l’air petit de passer de 8 % à 10 %, mais c’est beaucoup d’hectares, ex‐ plique Marie-Andrée Mauger, responsable de la transition écologique et de l’environne‐ ment au comité exécutif et mairesse de l’arrondissement de Verdun. La Ville, rappelle-telle, cherche ainsi à ajouter 1000 hectares, soit l’équi‐ valent de cinq fois la superfi‐ cie du mont Royal.
L'administration munici‐ pale a-t-elle déjà identifié les terres qui ont le potentiel de lui faire atteindre cette cible? Il y a une estimation, il y a des scénarios, répond Mme Mau‐ ger.
C’est une cible ambitieuse, ajoute-t-elle. On sait qu’on peut l’atteindre d’ici 2030 [...] mais tout n’est pas fait. Ce n’est pas comme si on avait déjà tout préparé et qu’on al‐ lait dévoiler, dans le courant de la prochaine année, com‐ ment on se rend à 10 %.
En comptant les aires ma‐ ritimes, le total d'aires proté‐ gées à Montréal s'élève à 15,71 % du territoire, selon le registre du MELCC.
À l'échelle de la Commu‐ nauté métropolitaine de Montréal, qui regroupe 82 municipalités, 22,3 % de tout le territoire est protégé, soit l'équivalent de l'île de
Montréal au complet, à la suite de l'adoption d'un règle‐ ment de contrôle intérimaire en juin dernier.
Si la feuille de route reste à consolider, la Ville a déjà une bonne idée de la voie à em‐ prunter, selon Mme Mauger.
La réalisation des projets du grand parc de l’Ouest, an‐ noncé comme le futur plus grand parc municipal au Ca‐ nada, du parc riverain de La‐ chine, du parc-nature de l'éco‐ territoire de la falaise SaintJacques ou encore d'un grand parc dans l'Est – réclamé de longue date par la société ci‐ vile – doivent contribuer à l’at‐ teinte de cette cible.
On peut penser au parc Frédéric-Back aussi, qu’on souhaite aménager en im‐ mense prairie, poursuit Mme Auger. Ce sont des endroits qui vont favoriser les habitats d’insectes, d’oiseaux, de pa‐ pillons et d’autres espèces vi‐ vantes.
Comme tout espace vert n’est pas de facto considéré comme un milieu naturel pro‐ tégé, la Ville doit donc aug‐ menter la superficie d’espaces qui bénéficient d’un statut de conservation, tout en cher‐ chant à acquérir de nouveaux milieux naturels.
Dans le Grand Montréal, le rythme d'urbanisation a été cinq fois plus important que celui de la protection des mi‐ lieux naturels de 1985 et 2015. En plus de faire face à des en‐ jeux de densification, l'admi‐ nistration municipale doit composer avec un environne‐ ment bâti important où les terrains épargnés par le déve‐ loppement se font rares.
C’est pourquoi il ne fau‐ drait pas négligler les espaces verts informels de la métro‐ pole, selon Carly Ziter, profes‐ seure au Département de bio‐ logie de l’Université Concor‐ dia. Les terrains vagues, les espaces qu’on trouve en bor‐ dure des rues ou des chemins de fer et les berges des ri‐ vières sont autant d’espaces qui pourraient être protégés.
Il y a certains espaces en ville que nous avons ten‐ dance à présumer inoccupés. Mais ils ne le sont pas. Ils sont en fait incroyablement pré‐ cieux pour la biodiversité, mais aussi pour les commu‐ nautés à proximité.
Carly Ziter, professeure au Département de biologie de l’Université Concordia
Carly Ziter souligne que le Technoparc, situé près de l’aé‐ roport Montréal-Trudeau, comprend ce type d'espaces verts informels que des ci‐ toyens souhaitent voir proté‐ gés. L'été dernier, la tonte du Champ des monarques par Aéroports de Montréal, qui a détruit près de 4000 plants d’asclépiades, a soulevé l’ire des membres de regroupe‐ ments citoyens qui militent pour sa préservation.
Cet espace est un habitat extraordinaire pour les pa‐ pillons monarques, dont on observait un déclin de 90 % dans les dernières décennies, souligne Mme Mauger. Elle rappelle que la Ville de Mont‐ réal a exprimé sa volonté de protéger le Technoparc, qui est toutefois de propriété fé‐ dérale.
Le gouvernement Tru‐ deau, qui a ouvert une en‐ quête publique, a depuis lan‐ cé des consultations afin d'inscrire le papillon mo‐ narque à la liste des espèces en péril, ce qui permettrait de protéger son habitat, y com‐ pris en terres fédérales, a pré‐ cisé mercredi le ministre fédé‐ ral de l'Environnement et du Changement climatique, Ste‐ ven Guilbeault, en point de presse. Ottawa a toutefois fer‐ mé la porte cette semaine à l'idée de transformer le ter‐ rain en parc urbain.
Des espaces riches et in‐ terconnectés
Tous s’entendent pour dire que l’augmentation des aires protégées et des habitats qu’elles abritent est la mesure première pour préserver la biodiversité. Lorsqu’une zone est développée, il est très dif‐ ficile de rendre cet espace vert à nouveau et d’y réintro‐ duire des espèces, résume Carly Ziter, qui pilote le Ziter Urban Landscape Ecology Lab.
Une fois que de nouveaux espaces sont protégés, il est important de s’assurer que nous les gérons de manière à favoriser la biodiversité, ajoute-t-elle.
Les corridors écologiques, qui relient les milieux natu‐ rels, en sont un bon exemple. La création d'habitats inter‐ connectés permet d'accroître les bénéfices que ces espaces peuvent rendre, dit Mme Zi‐ ter.
Cohabiter avec les es‐ pèces sauvages
Grâce à la mise sur pied du Fonds Espèces en péril, an‐ noncé en novembre dernier, la métropole souhaite mettre de l'avant des mesures pour protéger le papillon mo‐ narque, la tortue des bois, la rainette faux-grillon, le cheva‐ lier cuivré et l'ail des bois.
Mais dans l'ombre des es‐ pèces menacées, les espèces communes que nous cô‐ toyons au quotidien méritent tout autant notre attention, souligne Carly Ziter. Parfois, j'ai peur que nous regardions un espace vert urbain et que nous nous disions : il n'y a rien de menacé ici, lance-t-elle. Beaucoup d'espèces com‐ munes s'y retrouvent pour‐ tant et jouent un rôle impor‐ tant.
Dans le corridor écolo‐ gique du grand Sud-Ouest, qui connecte les espaces verts des quartiers Côte-Saint-Paul et Émard à ceux de l’arrondis‐ sement voisin de LaSalle, une équipe a été mandatée pour documenter au cours des prochaines années la biodi‐
versité que cet environne‐ ment est en mesure de soute‐ nir.
Émile Forest, cofondateur de l’initiative Nouveaux voi‐ sins, a contribué à la planta‐ tion de quelque 33 000 végé‐ taux dans ce corridor. Et ce, sans sortir aucune matière du site! précise-t-il.
En collaboration avec le Zi‐ ter Urban Landscape Ecology Lab, Émile Forest et ses col‐ lègues s'intéresseront, par exemple, à l'adaptation des plantes indigènes et aux dy‐ namiques observées avec les insectes pollinisateurs.
Favoriser la biodiversité dans sa cour
Dans la visée d’améliorer la qualité des habitats propices à la biodiversité, il y a le choix des végétaux qui est hyper important, indique pour sa part Marie-Andrée Mauger, de la Ville de Montréal. On va donc opter pour des plantes vivaces, indigènes et nectari‐ fères de plus en plus, et dé‐ laisser les fleurs annuelles.
On a cette volonté d'avoir un gazon parfait, mais le ga‐ zon parfait est une monocul‐ ture. Dès qu'on parle de mo‐ noculture, on ne parle pas de biodiversité.
Marie-Andrée Mauger, res‐ ponsable de la transition éco‐ logique et de l’environnement à la Ville de Montréal
C'est le réflexe que Nou‐ veaux voisins tente de dé‐ construire chez les résidents de la ville. Fondé en 2019, l’OBNL s’est donné pour mis‐ sion d’aider les citoyens à ac‐ croître la biodiversité dans les espaces qui leur appar‐ tiennent. L’idée de la mission, c’est d’améliorer la biodiversi‐ té dans des endroits qu’on a déjà modifiés. D’intervenir dans des milieux pauvres [en biodiversité] pour les bonifier, détaille Émile Forest.
Myosotis des champs, vio‐ lettes et campanules peuvent venir décorer les cours, de fa‐ çon à diminuer l’entretien et les séances d’arrosage. Et la pelouse peut quant à elle être troquée pour des graminées de type carex. On copie-colle du gazon partout juste parce que c’est ça qu’on connaît, ditil. Mais le gazon, c’est exo‐ tique, ça ne vient pas d’Amé‐ rique du Nord et c’est pauvre en biodiversité.
Dans son plan de protec‐ tion des pollinisateurs, Mont‐ réal encourage le report de la première tonte de la pelouse pour laisser le temps aux in‐ sectes de nicher et de bénéfi‐ cier des premières fleurs prin‐ tanières pour se nourrir. La Ville entend en outre revoir les réglementations d’arron‐ dissements pour favoriser l'aménagement de potagers et de jardins mixtes en façade.
Des mesures qui contri‐ bueront certes à accroître la biodiversité, mais qui ne sau‐ raient suffire sans être conju‐ guées à une stratégie de pro‐ tection des espaces verts. Le plus important demeure, in‐ siste Émile Forest, est d’arrê‐ ter de détruire des habitats naturels, la principale cause du déclin de la biodiversité.
Il faut avant tout préserver ce qu’il nous reste, et sécuri‐ ser la conservation des mi‐ lieux à l’aide de mécanismes fonciers, souligne M. Forest.
Une façon d’assurer la rési‐ lience des villes et de lutter, du même coup, contre les changements climatiques. Contrairement à la crise clima‐ tique, la perte de la biodiversi‐ té est une tragédie un peu in‐ visible, un déclin dans le si‐ lence, rappelle-t-il. Mais pré‐ server la biodiversité, c’est pour la suite du monde.
montréalais a refusé d’ac‐ cueillir et de soigner une femme autochtone qui venait de subir un viol, raconte Lu‐ cie-Catherine Ouimet, l’infir‐ mière au Foyer pour femmes autochtones de Montréal.
Un des deux hôpitaux montréalais, qui est un centre désigné pour effectuer des trousses médicolégales, a re‐ fusé de voir une de mes pa‐ tientes parce qu’elle ne parlait pas français, même si elle était accompagnée de deux de mes étudiantes franco‐ phones. L'impression qu'on a eue, c'est qu’on a refusé de la traiter parce qu'elle était au‐ tochtone, puis qu’elle était en état d'intoxication. Mais quand même, c'est une femme qui a vécu un viol, elle a le droit d’être soignée.
Les étudiantes ont déposé une plainte en son nom.
Le jour de notre visite au
Foyer pour femmes autoch‐ tones, l’infirmière nous pré‐ sente à Anick, un prénom fic‐ tif, dont le bébé avait besoin d’être examiné pour une toux inquiétante. Cette Inuk est à Montréal depuis sept mois pour un traitement en désin‐ toxication.
J’ai grandi dans un environ‐ nement violent, alors j’ai ap‐ pris la violence et la colère, ra‐ conte-t-elle. Certains membres de ma famille ne me parlent même plus à cause de ma colère et de mes crises. J’ai vraiment besoin de changer de comportement.
La jeune maman a fait plu‐ sieurs séjours en prison avant d’avoir le déclic qui l’a menée sur le chemin de la guérison. Elle suit aussi une thérapie pour mieux gérer sa colère.
Je suis sobre depuis sept mois, dit-elle avec un grand sourire. Je suis fière de moi, je ne pensais jamais réussir à de‐ venir sobre, à gérer mes émo‐ tions.
Son traitement prendra fin dans quelques semaines, mais elle ne souhaite pas re‐ tourner vivre dans son village au Nunavik, où elle risque de retrouver un milieu toxique pour elle et son bébé. Elle ai‐ merait en fait rester à Mont‐ réal pour aider d’autres femmes inuit et autochtones à s’en sortir.
Je rêve d’aider des adoles‐ centes en difficulté, j’ai moimême vécu beaucoup d’épreuves, j’aimerais les aider à avoir une vie meilleure que la mienne.
Maria partage le même rêve. Après sept ans d’itiné‐ rance, elle n’est pas complète‐ ment sobre, mais elle a fait as‐ sez de progrès pour être ad‐ mise en appartement de tran‐ sition. Elle retourne presque tous les jours voir ses amies qui demeurent sans-abri.
J’ai des amies qui vivent dans la rue en ce moment, je leur apporte de la nourriture, tout ce dont elles peuvent avoir besoin, de l’amour sur‐ tout.
Maria
De l’amour et de l’écoute sans jugement, c’est aussi l’ap‐ proche de Dan Gazut et des intervenants du PAQ et du Foyer pour femmes autoch‐ tones de Montréal.
C'est des personnes qui sont complètement vraies, dit-il, qui ne trichent pas, qui ne font pas semblant, alors on n'a pas le choix d'être nous-mêmes, nous aussi, ex‐ plique-t-il. Parce que si on triche, elles vont le sentir et se méfier, parce qu'il y a une grande méfiance envers les institutions.
La confiance, elle se bâtit, au fur et à mesure du temps, et ça marche, assure Dan Ga‐ zut. Quand on est soi-même, quand on est vrai, c'est là où il y a vraiment des liens qui se créent.
Pour la psychiatre MarieÈve Cotton, il faudrait allouer plus de ressources aux Inuit qui arrivent du nord dans une ville inconnue, et combattre le racisme.
Il faudrait investir davan‐ tage pour qu’ils soient mieux encadrés, au niveau psycho‐ social, en tenant compte de leur niveau traumatique. C'est une donnée qu'on ne peut pas éluder. Et s'il y avait moins de racisme envers les Autochtones, poursuit-elle, leur adversité ici serait moins grande.
Je pense que si une Inuk se sentait accueillie à Montréal comme une des nôtres, sa vie serait plus douce et elle aurait moins de chances d’aboutir à la rue.
Marie-Ève Cotton, psy‐ chiatre