Radio-Canada Info

À Prague, l’aide aux réfugiés ukrainiens à l’épreuve de l’hiver

- Raphaël Bouvier-Auclair

L’édifice austère de Prague, premier arrêt des réfugiés qui veulent s’installer en République tchèque, est loin d’être aussi fréquenté qu’en mars dernier.

Au début de l’invasion russe, plus de 3000 personnes se présentaie­nt quotidienn­e‐ ment au centre gouverne‐ mental où les réfugiés sont accompagné­s à travers le pro‐ cessus qui leur permet d’obte‐ nir un visa et de s’installer dans leur pays d’accueil.

N’empêche, l’activité n’a ja‐ mais cessé. Aujourd’hui, envi‐ ron 150 personnes par jour entrent, passeport et papiers en main, dans l’édifice situé un peu à l’écart du centre de la capitale tchèque.

Yana a quitté il y a quelques jours l’ouest de l’Ukraine, où elle a laissé mari et enfants. Dans cette région, loin du front, ce sont surtout le manque de travail et les pannes d’électricit­é qui l’ont poussée à tenter sa chance en République tchèque et à es‐ pérer gagner un peu d’argent qu’elle pourra faire parvenir à sa famille.

Pour envisager de s’instal‐ ler dans la capitale tchèque, il faut toutefois respecter un critère : avoir déjà trouvé un logement.

Le problème, c’est qu’à Prague, les capacités d’héber‐ gement sont déjà pleines, ex‐ plique Martin Kavka, des ser‐ vices d’incendie, qui contribue à l’effort d’accueil des réfugiés.

Depuis des mois, des réfu‐ giés vivent ainsi dans des centres d’hébergemen­t, comme un hôtel transformé en centre d’accueil. Signe des tensions sur le marché locatif, environ 290 personnes sont logées dans cet établisse‐ ment, dont la capacité maxi‐ male devrait être de 250 per‐ sonnes.

Les Tchèques sont des gens en or, lance, reconnais‐ sante, Irina dans la petite chambre qu’elle partage avec sa mère. Les deux femmes ont fui les combats dans la ré‐ gion de Zaporijia au cours de l’été.

Mais Pylip, un jeune homme qui était encore mi‐ neur quand il s’est installé à Prague au début du conflit, dit constater un peu plus de méfiance à l’endroit des Ukrai‐ niens que lors de son arrivée dans le pays.

L’attitude des Tchèques a changé depuis le début de la guerre.

Pylip, arrivé à Prague en mars 2022

N’empêche, la majorité des Tchèques sont toujours ou‐ verts à l’idée d’accueillir des réfugiés. Selon un récent son‐ dage mené par la firme Stem Mark, 60 % d’entre eux y sont favorables.

L’un des responsabl­es du centre d’hébergemen­t, le Tchèque Petr Baloch, craint néanmoins que les autorités manquent de préparatio­n dans l’éventualit­é d’une nou‐ velle vague d’Ukrainiens au cours des prochains mois.

Je pense que l’hiver sera difficile et que beaucoup de gens viendront, lance-t-il.

Le gouverneme­nt tchèque sous pression

En septembre, une mani‐ festation a réuni environ 70 000 personnes dans les rues de Prague.

Les manifestan­ts issus de divers courants politiques, dont certains répondaien­t à l’appel de partis d’extrême droite et d’extrême gauche, ne cachaient pas leur mécon‐ tentement à l’endroit de cer‐ taines positions du gouverne‐ ment tchèque, notamment son appui à l’Ukraine.

Face à une inflation qui dé‐ passe les 15 % dans leur pays, ils réclament des gestes pour s’attaquer aux hausses du coût de la vie et des prix de l’énergie.

Avec les sanctions contre la Russie, nous sommes en train de ruiner notre pays, lance ainsi Miloch lors d’une plus petite manifestat­ion or‐ ganisée à Prague à la fin du mois de novembre. Il exhorte par ailleurs les autorités à ai‐ der les retraités plutôt que les réfugiés ukrainiens.

Le gouverneme­nt devrait simplement penser à la na‐ tion tchèque et pas rediriger le budget ailleurs, lance de son côté une autre manifes‐ tante, en référence à l’Ukraine.

Malgré cette pression, le gouverneme­nt de Prague a récemment annoncé son in‐ tention de renouveler jusqu’à mars 2024 son programme d’appui aux réfugiés.

La chercheuse Martina Ko‐ vanova, de la firme PAQ Re‐ search, souligne que cette aide publique, bien qu’elle ait été réduite avec le temps, de‐ meure essentiell­e pour de nombreux réfugiés.

Si l’aide [du gouverne‐ ment] disparaiss­ait, 80 % des réfugiés vivraient sous le seuil de pauvreté.

Martina Kavarova, cher‐ cheuse de la firme PAQ Re‐ search

Les recherches de sa firme ont démontré que, malgré les appuis gouverneme­ntaux, 35 % des réfugiés ukrainiens installés en République tchèque vivent sous le seuil de la pauvreté et que 60 % d’entre eux subissent une forme de privation matérielle sévère.

Il suffit de se présenter à un centre de distributi­on ali‐ mentaire, situé en plein coeur de Prague, pour constater que, plus de neuf mois après le début de la guerre, les be‐ soins demeurent grands.

En milieu d’après-midi, des dizaines de réfugiés sont atta‐ blés devant un repas chaud, alors que d’autres attendent à l’extérieur de pouvoir entrer dans l’édifice pour manger eux aussi.

Combien de temps cette aide sera-t-elle nécessaire? Difficile à dire, tant pour les autorités publiques que pour les réfugiés qui, comme Vero‐ nika, sont nombreux à vouloir retourner dans leur pays.

Tous les jours, il y a des bombardeme­nts, des bom‐ bardements, lance cette femme originaire de Zaporiija, pour expliquer pourquoi elle ne peut toujours pas mettre fin à son exil en Europe cen‐ trale.

En attendant, Veronika, comme des dizaines de mil‐ liers d’autres Ukrainiens, peut au moins compter sur l’appui de nombreux Tchèques. Une solidarité toujours bien pré‐ sente, mais mise à l’épreuve par le temps, le froid et l’infla‐ tion.

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