Radio-Canada Info

La DPJ, « un système sur le point de craquer »

- Jean-Marc Belzile

Des employés des centres jeunesse de l'Abitibi-Témis‐ camingue lancent un cri du coeur au gouverneme­nt du Québec pour dénoncer « un raz de marée de dé‐ parts » et « un système sur le point de craquer ». Ils es‐ timent que les enfants n’ont plus le service dont ils ont besoin.

Un an et demi après le dé‐ pôt du rapport de la Commis‐ sion spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, la Commission Laurent, le syndicat de l'Al‐ liance du personnel profes‐ sionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), estime que peu de re‐ commandati­ons ont été ap‐ pliquées.

Un employé de la Direction de la protection de la jeu‐ nesse (DPJ), qui a préféré taire son identité par crainte de re‐ présailles de son employeur, a accepté de raconter ce qu’il constate à son travail.

Employé depuis plus de 10 ans, il a vu tous ses col‐ lègues partir dans les der‐ nières années.

Les départs ont commen‐ cé lors de la réforme Barrette et ont pris davantage d’am‐ pleur depuis le début de la pandémie.

Là c’est un raz de marée de départ qu’on a. On compte sur les doigts d’une main les intervenan­ts d’expérience ac‐ tuellement. Ce sont tous des gens d’un an ou deux d’expé‐ rience qui viennent d'ailleurs, d'autres domaines, qui ne connaissen­t rien aux centres jeunesse , explique-t-il.

Selon lui, il faut au mini‐ mum un an et parfois deux ans pour former un bon inter‐ venant.

Un 11e intervenan­t pour un adolescent

Le manque d’employés qualifiés et les nombreux dé‐ parts ont des conséquenc­es sur les enfants et adolescent­s selon cet employé et le syndi‐ cat.

Selon l’APTS, 50 jeunes sont en attente au niveau de la loi sur la protection de la jeunesse. Aussi, 209 familles et 450 usagers sont en attente de service en ce qui concerne la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Sur le plan de la santé mentale jeu‐ nesse, 32 jeunes sont en at‐ tente de service et 24 jeunes sont en attente de service au niveau de la pédopsychi­atrie.

Moi j’ai un jeune que je suis son 11e intervenan­t. Il a 13 ans.

Un employé de la DPJ

On a tous des jeunes qui ont de grandes difficulté­s au niveau affectif, de faire confiance. Ce sont des jeunes qui ont été brimés par leurs parents. Nous autres notre job c’est d’établir un lien de confiance avec ces jeunes, c’est pas facile ça, ça se fait de longue haleine alors quand tu manques de stabilité, tu te re‐ trouves avec des jeunes qui sont tannés de raconter leur situation,car ils savent que ça va changer encore alors ils se ferment et les choses n’avancent pas et les jeunes se détérioren­t, raconte l’em‐ ployé de la DPJ.

Il faut que ça se passe maintenant. Il faut que le gou‐ vernement bouge. Je pense qu’on est rendu à un point où le système est sur le point de craquer, ajoute pour sa part le représenta­nt national de l’APTS dans la région, Carl Ver‐ reault, qui réclame qu’on amé‐ liore les conditions de travail et salariales des employés.

En entrevue sur nos ondes lundi, l’ex-directeur régional de la Direction de la protec‐ tion de la jeunesse en AbitibiTém­iscamingue, Donald Val‐ lières, expliquait que la situa‐ tion était difficile notamment pour la main-d'oeuvre et que le défi était de retenir les tra‐ vailleurs.

Dans le rapport Laurent il y a une partie importante qui n’a pas encore été mise en place. On parle dans les nou‐ velles convention­s collective­s d’intervenan­t en protection de la jeunesse, qui serait un titre spécifique nommé dans les convention­s avec des conditions de travail spé‐ ciales. Moi je pense que c’est une opportunit­é qu’il ne faut pas manquer au niveau de notre société pour créer des conditions de travail excep‐ tionnelles pour un travail ex‐ ceptionnel, explique celui qui a passé plus de 30 années à la DPJ.

Il estime que ces change‐ ments doivent être inclus dans la prochaine convention collective.

Des employés nant du privé prove‐

Les centres jeunesse uti‐ lisent de plus en plus d’em‐ ployés provenant d’agences de placement, qui sont sou‐ vent seulement de passage

pendant quelques semaines ou mois.

Une situation souvent uti‐ lisée dans les hôpitaux pour les infirmière­s et les préposés aux bénéficiai­res, mais relati‐ vement nouvelle à la DPJ.

L’infirmière, je peux com‐ prendre qu’une prise de sang c’est une prise de sang, mais au niveau de la protection de la jeunesse tu ne peux pas fonctionne­r de même dans des relations thérapeuti­ques avec des gens, de les changer à tout bout de champ, de mettre [un intervenan­t] pen‐ dant six mois puis un autre et un autre pour boucher des trous et faire croire à la popu‐ lation qu’il n’y a pas de rup‐ ture de services et que tout va bien, explique l’employé de la DPJ.

Au syndicat, on estime qu’il s’agit d’une dépense in‐ utile puisqu’on doit former sans cesse du personnel qui va ensuite souvent quitter dans la première année. Le syndicat souhaite que le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Té‐ miscamingu­e mise davantage sur les employés en place.

Si on a de bonnes condi‐ tions de travail, de bonnes conditions salariales, les gens vont être intéressés à venir travailler en centre jeunesse. La charge va diminuer aussi vu qu’il y aura un plus grand nombre d’intervenan­tes, ex‐ plique Carl Verreault.

Réaction du CISSS-AT

Au Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Abi‐ tibi-Témiscamin­gue (CISSSAT), on dit déployer de nom‐ breux efforts pour améliorer le service de première ligne afin de diminuer la charge de travail des employés.

Plusieurs efforts ont été consentis afin d’améliorer l’ac‐ cès et la fluidité à nos services de proximité. Dans plusieurs cas, la mise en place rapide de services de première ligne permet d’éviter la rétention d’un signalemen­t, ce qui se veut l’orientatio­n la plus indi‐ quée dans le soutien aux fa‐ milles vulnérable­s. Bien en‐ tendu, ces stratégies peuvent être mises en place lorsque la famille reconnaît ses difficul‐ tés et qu’elle accepte de rece‐ voir l’aide appropriée à la si‐ tuation, indique la direction du CISSS-AT par courriel.

L'organisati­on souhaite aussi que les gens puissent se rendre en CLSC afin de béné‐ ficier de services d’aide avant que l’interventi­on de la DPJ ne soit requise.

Le CISSS-AT affirme que ce renforceme­nt souhaité de la première ligne a eu pour effet « que les situations qui néces‐ sitent l’interventi­on du Direc‐ teur de la protection de la jeu‐ nesse sont nécessaire­ment plus complexes. D’une pre‐ mière part, les probléma‐ tiques vécues par la clientèle sont d’une intensité plus im‐ portante (par exemple : abus physiques ou sexuels, de mauvais traitement­s psycho‐ logiques, de négligence grave, de problémati­ques de santé mentale, etc.) », nous ex‐ plique-t-on.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada