La DPJ, « un système sur le point de craquer »
Des employés des centres jeunesse de l'Abitibi-Témis‐ camingue lancent un cri du coeur au gouvernement du Québec pour dénoncer « un raz de marée de dé‐ parts » et « un système sur le point de craquer ». Ils es‐ timent que les enfants n’ont plus le service dont ils ont besoin.
Un an et demi après le dé‐ pôt du rapport de la Commis‐ sion spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, la Commission Laurent, le syndicat de l'Al‐ liance du personnel profes‐ sionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), estime que peu de re‐ commandations ont été ap‐ pliquées.
Un employé de la Direction de la protection de la jeu‐ nesse (DPJ), qui a préféré taire son identité par crainte de re‐ présailles de son employeur, a accepté de raconter ce qu’il constate à son travail.
Employé depuis plus de 10 ans, il a vu tous ses col‐ lègues partir dans les der‐ nières années.
Les départs ont commen‐ cé lors de la réforme Barrette et ont pris davantage d’am‐ pleur depuis le début de la pandémie.
Là c’est un raz de marée de départ qu’on a. On compte sur les doigts d’une main les intervenants d’expérience ac‐ tuellement. Ce sont tous des gens d’un an ou deux d’expé‐ rience qui viennent d'ailleurs, d'autres domaines, qui ne connaissent rien aux centres jeunesse , explique-t-il.
Selon lui, il faut au mini‐ mum un an et parfois deux ans pour former un bon inter‐ venant.
Un 11e intervenant pour un adolescent
Le manque d’employés qualifiés et les nombreux dé‐ parts ont des conséquences sur les enfants et adolescents selon cet employé et le syndi‐ cat.
Selon l’APTS, 50 jeunes sont en attente au niveau de la loi sur la protection de la jeunesse. Aussi, 209 familles et 450 usagers sont en attente de service en ce qui concerne la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Sur le plan de la santé mentale jeu‐ nesse, 32 jeunes sont en at‐ tente de service et 24 jeunes sont en attente de service au niveau de la pédopsychiatrie.
Moi j’ai un jeune que je suis son 11e intervenant. Il a 13 ans.
Un employé de la DPJ
On a tous des jeunes qui ont de grandes difficultés au niveau affectif, de faire confiance. Ce sont des jeunes qui ont été brimés par leurs parents. Nous autres notre job c’est d’établir un lien de confiance avec ces jeunes, c’est pas facile ça, ça se fait de longue haleine alors quand tu manques de stabilité, tu te re‐ trouves avec des jeunes qui sont tannés de raconter leur situation,car ils savent que ça va changer encore alors ils se ferment et les choses n’avancent pas et les jeunes se détériorent, raconte l’em‐ ployé de la DPJ.
Il faut que ça se passe maintenant. Il faut que le gou‐ vernement bouge. Je pense qu’on est rendu à un point où le système est sur le point de craquer, ajoute pour sa part le représentant national de l’APTS dans la région, Carl Ver‐ reault, qui réclame qu’on amé‐ liore les conditions de travail et salariales des employés.
En entrevue sur nos ondes lundi, l’ex-directeur régional de la Direction de la protec‐ tion de la jeunesse en AbitibiTémiscamingue, Donald Val‐ lières, expliquait que la situa‐ tion était difficile notamment pour la main-d'oeuvre et que le défi était de retenir les tra‐ vailleurs.
Dans le rapport Laurent il y a une partie importante qui n’a pas encore été mise en place. On parle dans les nou‐ velles conventions collectives d’intervenant en protection de la jeunesse, qui serait un titre spécifique nommé dans les conventions avec des conditions de travail spé‐ ciales. Moi je pense que c’est une opportunité qu’il ne faut pas manquer au niveau de notre société pour créer des conditions de travail excep‐ tionnelles pour un travail ex‐ ceptionnel, explique celui qui a passé plus de 30 années à la DPJ.
Il estime que ces change‐ ments doivent être inclus dans la prochaine convention collective.
Des employés nant du privé prove‐
Les centres jeunesse uti‐ lisent de plus en plus d’em‐ ployés provenant d’agences de placement, qui sont sou‐ vent seulement de passage
pendant quelques semaines ou mois.
Une situation souvent uti‐ lisée dans les hôpitaux pour les infirmières et les préposés aux bénéficiaires, mais relati‐ vement nouvelle à la DPJ.
L’infirmière, je peux com‐ prendre qu’une prise de sang c’est une prise de sang, mais au niveau de la protection de la jeunesse tu ne peux pas fonctionner de même dans des relations thérapeutiques avec des gens, de les changer à tout bout de champ, de mettre [un intervenant] pen‐ dant six mois puis un autre et un autre pour boucher des trous et faire croire à la popu‐ lation qu’il n’y a pas de rup‐ ture de services et que tout va bien, explique l’employé de la DPJ.
Au syndicat, on estime qu’il s’agit d’une dépense in‐ utile puisqu’on doit former sans cesse du personnel qui va ensuite souvent quitter dans la première année. Le syndicat souhaite que le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Té‐ miscamingue mise davantage sur les employés en place.
Si on a de bonnes condi‐ tions de travail, de bonnes conditions salariales, les gens vont être intéressés à venir travailler en centre jeunesse. La charge va diminuer aussi vu qu’il y aura un plus grand nombre d’intervenantes, ex‐ plique Carl Verreault.
Réaction du CISSS-AT
Au Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Abi‐ tibi-Témiscamingue (CISSSAT), on dit déployer de nom‐ breux efforts pour améliorer le service de première ligne afin de diminuer la charge de travail des employés.
Plusieurs efforts ont été consentis afin d’améliorer l’ac‐ cès et la fluidité à nos services de proximité. Dans plusieurs cas, la mise en place rapide de services de première ligne permet d’éviter la rétention d’un signalement, ce qui se veut l’orientation la plus indi‐ quée dans le soutien aux fa‐ milles vulnérables. Bien en‐ tendu, ces stratégies peuvent être mises en place lorsque la famille reconnaît ses difficul‐ tés et qu’elle accepte de rece‐ voir l’aide appropriée à la si‐ tuation, indique la direction du CISSS-AT par courriel.
L'organisation souhaite aussi que les gens puissent se rendre en CLSC afin de béné‐ ficier de services d’aide avant que l’intervention de la DPJ ne soit requise.
Le CISSS-AT affirme que ce renforcement souhaité de la première ligne a eu pour effet « que les situations qui néces‐ sitent l’intervention du Direc‐ teur de la protection de la jeu‐ nesse sont nécessairement plus complexes. D’une pre‐ mière part, les probléma‐ tiques vécues par la clientèle sont d’une intensité plus im‐ portante (par exemple : abus physiques ou sexuels, de mauvais traitements psycho‐ logiques, de négligence grave, de problématiques de santé mentale, etc.) », nous ex‐ plique-t-on.