Mon année Salinger : quand Philippe Falardeau se frotte aux mythes
Un pas de côté singulier pour célébrer le génie de J. D. Salinger
Nous sommes dans les an‐ nées 90. Joanna, étudiante à Berkeley, est comme de nom‐ breuses jeunes filles de son âge, habitée par un rêve : celui d’écrire.
Mais avant de vivre de sa plume, elle se rapproche de son rêve en trouvant un petit boulot dans une maison d’édition new-yorkaise où elle assiste l’agente d’un des gé‐ nies littéraires du siècle : le re‐ clus et mystérieux J. D. Salin‐ ger.
Nouvelle incursion de Phi‐ lippe Falardeau sur le terri‐ toire du cinéma américain (après The Bleeder et The
Good Lie), Mon année Salin‐ ger, adapté du roman auto‐ biographique de Joanna Ra‐ koff, a dès le départ l’ambition de se frotter à trois mythes : le New York littéraire (l’entrée de notre jeune héroïne dans les locaux du New Yorker est filmée comme si elle décou‐ vrait le Saint-Graal); les aspira‐ tions littéraires des jeunes gens (qui mangeraient du foin s’il le fallait pour voir leur prose enfin imprimée) et bien sûr ce mythe ultime qu’est J. D. Salinger, figure absolue du secret dont chaque virgule provoque un attrait irrésis‐ tible sur l’imaginaire adoles‐ cent. La preuve? Ces lettres qu’il reçoit par sacs entiers au bureau de son éditrice, rem‐ plies de secrets et d’intimité, que Joanna est chargée de bloquer.
Bonne pioche, c’est par le biais d’un conte d’initiation (oui, oui, comme dans L’at‐ trape-coeurs) que Falardeau décortique ces mythes.
Car ce qui séduit en pre‐ mier lieu dans cette Année Salinger, c’est le ton que le ci‐ néaste trouve, dopant sa Joanna à la candeur et à l’idéa‐ lisme. Attachante, la jeune fille l’est. Mais sans tomber dans le panneau du conte de fées non plus.
Car son innocence est ac‐ compagnée d’une narration verbomotrice et vive, d’un montage tonique et de cou‐ leurs chaudes pleines de re‐ lief. Naïve, peut-être, mais pas plate.
Entrain et tonus seront donc les maîtres mots de cette aventure (tout particu‐ lièrement dans ces mises en séquences de fans écrivant leurs lettres au génie) où une jeune femme se frottera à ses rêves pour mieux découvrir que… On ne vous le dira pas.
Mais ce qu’on vous dira, c’est qu’il n’y avait pas meilleures accompagnatrices pour ce voyage au charme nostalgique certain que Mar‐ garet Qualley, dont l’abattage séduit indubitablement, et Si‐ gourney Weaver en impériale agente perdue dans son temps, mais dont l’aura, elle,
traverse les années sans ef‐ fort.