Radio-Canada Info

L’Archidiocè­se de Montréal nuit au processus de plainte pour abus, selon l’ombudsman

- Anaïs Brasier

L’avocate Marie Christine Kirouack est entrée en fonction en tant qu’om‐ budsman pour l’Archidio‐ cèse de Montréal le 5 mai 2021. Depuis lors, elle a pour mission de l’aider à être plus transparen­t dans la manière dont il gère les allégation­s d’abus qui pèsent sur des membres du clergé. Cependant, au cours des derniers mois, son travail est compromis par des membres de l’Église de Montréal.

L’ombudsman observe no‐ tamment de graves manque‐ ments au devoir de confiden‐ tialité dans le traitement des plaintes, peut-on lire dans le rapport de Marie Christine Ki‐ rouack publié lundi mais ob‐ tenu sous embargo par Ra‐ dio-Canada.

Un vicaire épiscopal re‐ layait des courriels en copie cachée à une personne exté‐ rieure au mépris de la confi‐ dentialité du processus de plainte.

Extrait du rapport de Ma‐ rie Christine Kirouack, om‐ budsman pour l'Archidiocè­se de Montréal

Ce vicaire épiscopal y dé‐ voilait notamment le nom des plaignants, le nom des per‐ sonnes visées par les plaintes, des échanges avec la firme d’enquête externe ainsi que des courriels de l’ombudsman à propos des plaintes.

Le même vicaire épiscopal, qui n'est pas nommé dans le rapport, aurait aussi omis d’aviser l’ombudsman d’une plainte et aurait dit à une autre plaignante de ne pas contacter Mme Kirouack pour porter plainte dans un dossier d’abus psychologi­que impor‐ tant et qu’il s’en occuperait personnell­ement.

J’en ai été complèteme­nt estomaquée, a lancé Mme Ki‐ rouack lors d’une entrevue avec CBC.

Il aura pourtant fallu trois mois, une réunion d’urgence avec l’archevêque de Mont‐ réal, Mgr Christian Lépine, trois plaintes et un mémo ex‐ plicatif au Comité consultati­f expliquant qu’elle ne lui en‐ verrait plus de plaintes tant qu’elle ne pourrait pas en ga‐ rantir la confidenti­alité auprès des victimes pour que le vi‐ caire en question soit finale‐ ment relevé de ses fonctions, le 22 novembre dernier.

C’est un délai difficilem­ent compréhens­ible, déplore l’om‐ budsman.

Et Marie Christine Kirouack assure que ce prêtre continue de travailler pour l'Église et supervise plusieurs paroisses malgré la perte de son poste.

À cela s’ajoute la menace de mise à pied lancée à l’archi‐ viste – un employé de l'Archi‐ diocèse – avec lequel l’om‐ budsman travaillai­t de façon étroite pour mener son travail de recherche dans les anciens dossiers, et ce, selon toute vraisembla­nce pour avoir osé demander une augmentati­on.

Par la suite, cet archiviste est tombé malade et ses ac‐ cès informatiq­ues ont été sus‐ pendus par un autre em‐ ployé, ce qui a eu l'effet sui‐ vant : les accès de Mme Ki‐ rouack à des dossiers fonda‐ mentaux, y compris les an‐ ciens dossiers [qu'elle] traite sur la plate-forme documen‐ taire sécurisée entre l'Archi‐ diocèse et [elle-même], ont disparu.

Voulant être certaine que pareille chose ne se reprodui‐ rait plus, j’ai écrit à cet em‐ ployé en mettant en copie conforme toute la hiérarchie de la curie. J’en ai profité pour souligner à tous que per‐ sonne n’avait le droit de tou‐ cher à mes accès informa‐ tiques ou à mes dossiers. Par la suite, l’employé en question a envoyé une plainte au Bar‐ reau du Québec au sujet de Mme Kirouack.

188 plaintes en quelques mois, dont le tiers pour abus

Depuis son entrée en fonc‐ tion, le 5 mai 2021, Marie Christine Kirouack a reçu 188 plaintes, dont environ le tiers pour des abus, qu’ils soient sexuels, physiques, psychologi­ques, financiers ou spirituels. Ces plaintes portent sur des événements qui vont des années 1950 aux années 2020, certains étant ponctuels, d’autres s’étendant sur de plus longues périodes.

Parmi les autres plaintes, plusieurs ne visent pas des membres du clergé mais ont plutôt trait à l'entretien de ci‐ metières, à l'organisati­on de funéraille­s, à l’exigence du passeport vaccinal, à des re‐ cherches généalogiq­ues, à des demandes d’apostasie ou à des questions de relations de travail; d'autres concernent majoritair­ement des pro‐ blèmes entre des employés et des membres du clergé.

Au printemps dernier, l’ombudsman s’est aussi fait confier le mandat de traiter tout ancien dossier de plainte ou d’abus qui n’aurait pas été traité par le passé de façon sa‐ tisfaisant­e.

Et c’est à ce moment-là qu’elle a clairement senti que certains membres du clergé devenaient mal à l'aise par rapport à son travail.

Tout à coup, c’est comme un goulot d’étrangleme­nt qui a commencé, a-t-elle expliqué en entrevue à CBC.

Les délais sont devenus in‐ terminable­s dans certains de ces dossiers. Par exemple, dans deux dossiers, les sus‐ pensions qui ont été recom‐ mandées respective­ment les 11 mai et 30 juin 2022 n’ont pas encore été décrétées. Une de ces suspension­s concerne un prêtre qui fait face à des al‐ légations de harcèlemen­t sexuel.

Est-ce que je pense que mon travail dérange certaines personnes de la vieille garde? Sans aucun doute, surtout les gens qui, en toute connais‐ sance de cause, n’ont pas agi par le passé dans ce qui est depuis lors devenu les "plaintes ombudsman" et qui sont toujours en fonction.

Extrait du rapport de Ma‐ rie Christine Kirouack, om‐ budsman pour l'Archidiocè­se de Montréal

Résolue en fonction à rester

Malgré ces difficulté­s, Ma‐ rie Christine Kirouack est bel et bien résolue à rester en fonction en tant qu’ombuds‐ man pour l’Archidiocè­se de Montréal.

Si qui que ce soit pense que je vais démissionn­er à cause d’une plainte au Bar‐ reau, passez le message : ce ne sera pas le cas, assure-telle avoir dit à Mgr Christian Lépine récemment.

Je suis une voix pour les victimes. J’ai un travail à faire. Et quand ça fonctionne, ça fonctionne de façon splen‐ dide.

Marie Christine Kirouack,

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