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À quand une baisse substantie­lle de l’inflation?

- Olivier Bourque

Ceux qui espèrent une ac‐ calmie sur le front de l’in‐ flation devront patienter. Il faudra attendre plu‐ sieurs mois avant de re‐ tourner à une situation normale et probableme­nt passer par une bonne vieille récession, même li‐ mitée, pour y arriver. Rien de plus efficace que cet amer remède pour calmer la hausse des prix.

Cela fait maintenant quatre mois que l’inflation os‐ cille autour de 7 % et, jus‐ qu'ici, la hausse des taux d'in‐ térêt n'a eu aucun effet sur elle, de quoi décourager de nombreux ménages, surtout ceux à faible revenu.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette stagnation. Tout d'abord, c'est qu'il faut parfois attendre plus d’un an et demi avant de voir les ef‐ fets des politiques de la Banque du Canada sur l’éco‐ nomie.

Ensuite, et même si les prix de l’énergie ont baissé, les chaînes d’approvisio­nnement demeurent fragiles, la de‐ mande est excédentai­re et la liste s'allonge, car plusieurs autres facteurs ont aussi un impact sur l’inflation.

Il y a la faiblesse du dollar canadien, par exemple. L’hi‐ ver, il y a un paquet de biens qui sont importés du Sud. Tout cela peut aussi jouer dans la balance, a assuré l’éco‐ nomiste et sénateur Clément Gignac en entrevue avec Ra‐ dio-Canada.

Les employés ont aussi perdu beaucoup de leur pou‐ voir d’achat au cours des der‐ niers mois et souhaitent natu‐ rellement avoir de meilleures conditions salariales. Or, avec la pénurie de main-d'oeuvre, les employeurs n’ont pas eu le choix de hausser les salaires, notamment dans le secteur des services, ce qui a aussi un effet.

Je le dis souvent : même si les salaires ne sont pas à l'ori‐ gine de la poussée de l’infla‐ tion, ils sont assurément une des causes qui expliquent pourquoi elle prend du temps à décélérer.

Clément Gignac, écono‐ miste

L’inflation dans le secteur alimentair­e demeure elle aus‐ si toujours élevée (+11,4 % sur un an), ce qui amène son lot de questionne­ments. Par exemple, où va l'argent?

On sait que les coûts des intrants ont augmenté pen‐ dant un certain temps, mais là, le prix des céréales a dimi‐ nué [et] on ne voit pas vrai‐ ment l’impact sur les prix. Il y a des acteurs dans la chaîne alimentair­e qui s’en prennent trop, croit l’économiste Daniel Denis.

Et il craint que si l’inflation alimentair­e demeure, elle n'aggrave les inégalités so‐ ciales et provoque de l'insta‐ bilité politique dans certains pays, ce qui, au bout du compte, aura un impact sur l’économie mondiale.

Cela peut créer des ten‐ sions sociales, notamment dans des pays en voie de dé‐ veloppemen­t. Il pourrait y avoir un effet boule de neige sur l’économie, analyse-t-il.

Donc, à quand la baisse?

Avec tous ces facteurs, il est donc difficile de statuer sur le moment exact d’une baisse substantie­lle des prix. À cette question qui nous touche tous, les économiste­s s’entendent toutefois pour dire qu’il faudra être patient. Cela pourrait se faire en quelques étapes.

Premier échelon : mars 2023. L’an passé à la même période, si on se rap‐ pelle bien, la guerre en Ukraine commençait. Très ra‐ pidement, les prix du pétrole et de plusieurs matières pre‐ mières avaient augmenté. Un an plus tard, on pourra donc évaluer le chemin qu'il reste à parcourir pour revenir à la normale.

L’effet de la guerre en Ukraine va commencer à dis‐ paraître en mars prochain. À ce moment-là, on aura donc une meilleure lecture de ce qui nous restera d’inflation, croit Jean-René Ouellet, stra‐ tège en investisse­ments et gestionnai­re de portefeuil­les chez Desjardins.

Passé ce cap important et malgré des variations men‐ suelles, l’inflation devrait tout de même nous accompagne­r encore pendant plusieurs mois et la baisse se fera gra‐ duellement.

Partir de 8 % et aller à 5,5 % ou à 5 %, ce bout-là, entre guillemets, ça ne se fait plus facilement. Mais là, pas‐ ser de 5 % et s’en aller à 2 %, ça va être plus pénible, croit M. Gignac.

Ce premier plateau, celui de 5 %, devrait être atteint d’ici six mois, selon lui. C’est aussi l’avis de l’économiste Da‐ niel Denis.

Je crois que les banques centrales auront du mal à at‐ teindre leur objectif, la four‐ chette de 1 % à 3 % à la fin 2023, début 2024. Je pense qu’on va avoir une période avec un taux d’inflation un peu plus élevé du fait du sec‐ teur des services et des pres‐ sions du marché du travail, estime-t-il.

Au cours de l’année 2023, l’inflation devrait donc évo‐ luer à l’extérieur de la four‐ chette souhaitée par la Banque du Canada.

On va peut-être connaître une période de taux de 3 % à 4 % un peu plus longtemps que ce qui est affirmé par les banques centrales, dit-il.

Le mot en R… salutaire?

Les économiste­s s’en‐ tendent tous sur un point : l’inflation pourrait être matée plus rapidement s’il y a une récession, probableme­nt le moins grave des deux maux.

La récession touche une certaine catégorie de gens de façon temporaire, alors que l’inflation touche tout le monde, et ça frappe encore davantage les moins bien nantis. [...] C’est sûr qu’il sera difficile de retourner rapide‐ ment à une inflation à 2 % sans passer par ça : c’est comme faire une omelette sans casser des oeufs, croit M. Gignac.

Ça va prendre quoi pour casser l’inflation? Une réces‐ sion, abonde Jean-René Ouel‐ let. Elle devient comme un ou‐ til. [...] Étrangemen­t, on va le célébrer, parce que la réces‐ sion, à terme, fera baisser les taux d’intérêt : les gens qui avaient des hypothèque­s à taux variable vont avoir une bouffée d’air. Tant qu'on n'au‐ ra pas cassé l’inflation, les taux vont rester serrés.

Pour lui, il est crucial que le nombre de postes vacants di‐ minue. Le contexte actuel de la hausse des salaires ali‐ mente la spirale inflationn­iste.

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