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Confisquer les avoirs d’un oligarque russe n’est pas sans risque, selon un expert

- Christian Noël

Ottawa souhaite confis‐ quer les avoirs de l’oli‐ garque russe Roman Abra‐ movitch, afin de les redis‐ tribuer à l’Ukraine pour dé‐ dommager les victimes de la guerre. Des démarches judiciaire­s sont entamées pour saisir les 26 millions de dollars que cet ami de Vladimir Poutine détient dans un compte de banque canadien. Un geste sans précédent au Canada et dans le monde, mais qui n’est pas sans risque.

Le gouverneme­nt Trudeau s’expose à une longue bataille judiciaire, ouvre la porte à des représaill­es contre des entre‐ prises canadienne­s en terri‐ toire russe et, au bout du compte, pourrait avoir à rem‐ bourser les investisse­ments confisqués à Roman Abramo‐ vich.

Radio-Canada s’est entre‐ tenue avec William Pellerin,

avocat en droit commer‐ cial internatio­nal et asso‐ cié chez McMillan. Il a aussi

été avocat durant six ans au ministère des Affaires étran‐ gères.

À quel point cette déci‐ sion du Canada de confis‐ quer les avoirs d’un oli‐ garque russe, basée sur sa relation avec Vladimir Pou‐ tine, crée-t-elle un précé‐ dent?

C’est une nouvelle façon d’utiliser les sanctions interna‐ tionales. Habituelle­ment, ce genre de sanctions a surtout un objectif dissuasif, pour changer le comporteme­nt du gouverneme­nt russe et des oligarques en ce qui a trait à l'invasion de l'Ukraine.

Maintenant, le Canada change son fusil d’épaule. Il veut agir de façon punitive, contre le régime de Vladimir Poutine et ceux qui l'ap‐ puient, qui sont complices. Et utiliser les biens saisis pour dédommager les victimes ukrainienn­es. Cette façon de faire n’a jamais été utilisée dans le passé, ni par le Cana‐ da ni par ses alliés du G7.

Pour quelle raison le Ca‐ nada punit-il Roman Abra‐ movich? A-t-il fait quelque chose d’illégal ou de crimi‐ nel, contraire aux lois ca‐ nadiennes?

Il n’y a pas d’accusation cri‐ minelle au Canada contre M. Abramovich. On lui reproche d'être complice du président Poutine et du régime russe qui participen­t à l'invasion in‐ justifiée de l'Ukraine. Son nom figure au registre des personnes sanctionné­es par décret par le gouverneme­nt Trudeau depuis mars 2022.

Il est considéré comme persona non grata. Il est inter‐ dit de faire des affaires, des transactio­ns avec lui. Mais s’il pouvait venir au Canada, il n’irait pas en prison.

Si Ottawa veut mainte‐ nant confisquer ses biens et les redistribu­er à l’Ukraine, il doit s’adresser à la Cour. À quoi ressemble le processus? Que doit prouver le procureur géné‐ ral?

Le gouverneme­nt n’a pas de grands arguments à faire valoir. C’est un processus créé par la loi spéciale qui rend la chose très facile. Tout ce que le procureur général doit faire, c’est de prouver que les biens visés appartienn­ent vraiment à M. Abramovitc­h et qu’ils sont détenus ou contrôlés, même indirectem­ent, par lui.

Quels sont les recours possibles pour Roman Abramovitc­h?

Ses avocats pourraient in‐ voquer l’article 8 de la Charte canadienne des droits et liber‐ tés, qui protège contre les fouilles, les perquisiti­ons et les saisies abusives. La Cour de‐ vra examiner si la saisie a été raisonnabl­e et si elle respec‐ tait sa vie privée, par exemple.

L’autre possibilit­é serait de plaider qu’Ottawa n’a pas juri‐ diction dans cette affaire, puisqu’il ne s’agit pas de droit criminel, mais plutôt de droit civil. Donc, c’est le pouvoir provincial, côté régime de confiscati­on des droits à la propriété et tout ça, qui entre en jeu.

Il y a toute une question constituti­onnelle assez inté‐ ressante sur ce partage des pouvoirs qui pourrait être soulevée et prendre beau‐ coup de temps à régler. Mais le fardeau de la preuve sera alors sur M. Abramovitc­h, et non sur le gouverneme­nt fé‐ déral.

Même si Ottawa gagnait sa cause, pourrait-il devoir rembourser les biens confisqués à M. Abramo‐ vitch?

Oui. Il aurait un recours en vertu du droit du commerce internatio­nal. Le Canada et la Russie (l’URSS) ont signé en 1991 l’Accord sur la promotion et la protection des investis‐ sements.

L’entente protège notam‐ ment les investisse­urs contre l'expropriat­ion. Et une des clauses stipule que si jamais une expropriat­ion est justi‐ fiée, le gouverneme­nt doit of‐ frir une compensati­on.

Donc on peut s’attendre à ce que M. Abramovitc­h dise : Voyez-vous, mon argent déte‐ nu au Canada a dans les faits été exproprié, et exige un ar‐ bitrage internatio­nal.

Si le tribunal décidait en sa faveur, le Canada devrait lui redonner ses 26 millions de dollars. Ce serait un peu bi‐ zarre comme développem­ent bien sûr, mais c’est possible.

D’ici là, quelles sont les chances que la Russie en‐ tame des représaill­es contre le Canada?

Il faudra faire très atten‐ tion. Les risques de repré‐ sailles sont réels. Devant une action unilatéral­e du Canada, Vladimir Poutine pourrait se sentir justifié de lui rendre la monnaie de sa pièce.

La Russie pourrait décider, elle aussi, de viser des gens d'affaires ou des entreprise­s canadienne­s qui ont des actifs en Russie, des minières, par exemple. La Russie pourrait les sanctionne­r et, par la suite, décider de confisquer leurs biens.

Les ministres Joly et Freeland tentent de convaincre les dirigeants européens d’emboîter le pas au Canada dans la confiscati­on et la revente des avoirs russes. Quelles sont les chances que d’autres pays fassent comme nous?

Je ne suis pas sûr que l’ap‐ pel du Canada change beau‐ coup de choses pour l'Europe. Je pense qu'il y a beaucoup de liens étroits entre l'Europe et la Russie. Il y a toutes sortes de questions fondamenta­les qui touchent à la production d'énergie nécessaire au fonc‐ tionnement de l'Europe. Cer‐ tains pays sont vraiment dans une situation très difficile.

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