Confisquer les avoirs d’un oligarque russe n’est pas sans risque, selon un expert
Ottawa souhaite confis‐ quer les avoirs de l’oli‐ garque russe Roman Abra‐ movitch, afin de les redis‐ tribuer à l’Ukraine pour dé‐ dommager les victimes de la guerre. Des démarches judiciaires sont entamées pour saisir les 26 millions de dollars que cet ami de Vladimir Poutine détient dans un compte de banque canadien. Un geste sans précédent au Canada et dans le monde, mais qui n’est pas sans risque.
Le gouvernement Trudeau s’expose à une longue bataille judiciaire, ouvre la porte à des représailles contre des entre‐ prises canadiennes en terri‐ toire russe et, au bout du compte, pourrait avoir à rem‐ bourser les investissements confisqués à Roman Abramo‐ vich.
Radio-Canada s’est entre‐ tenue avec William Pellerin,
avocat en droit commer‐ cial international et asso‐ cié chez McMillan. Il a aussi
été avocat durant six ans au ministère des Affaires étran‐ gères.
À quel point cette déci‐ sion du Canada de confis‐ quer les avoirs d’un oli‐ garque russe, basée sur sa relation avec Vladimir Pou‐ tine, crée-t-elle un précé‐ dent?
C’est une nouvelle façon d’utiliser les sanctions interna‐ tionales. Habituellement, ce genre de sanctions a surtout un objectif dissuasif, pour changer le comportement du gouvernement russe et des oligarques en ce qui a trait à l'invasion de l'Ukraine.
Maintenant, le Canada change son fusil d’épaule. Il veut agir de façon punitive, contre le régime de Vladimir Poutine et ceux qui l'ap‐ puient, qui sont complices. Et utiliser les biens saisis pour dédommager les victimes ukrainiennes. Cette façon de faire n’a jamais été utilisée dans le passé, ni par le Cana‐ da ni par ses alliés du G7.
Pour quelle raison le Ca‐ nada punit-il Roman Abra‐ movich? A-t-il fait quelque chose d’illégal ou de crimi‐ nel, contraire aux lois ca‐ nadiennes?
Il n’y a pas d’accusation cri‐ minelle au Canada contre M. Abramovich. On lui reproche d'être complice du président Poutine et du régime russe qui participent à l'invasion in‐ justifiée de l'Ukraine. Son nom figure au registre des personnes sanctionnées par décret par le gouvernement Trudeau depuis mars 2022.
Il est considéré comme persona non grata. Il est inter‐ dit de faire des affaires, des transactions avec lui. Mais s’il pouvait venir au Canada, il n’irait pas en prison.
Si Ottawa veut mainte‐ nant confisquer ses biens et les redistribuer à l’Ukraine, il doit s’adresser à la Cour. À quoi ressemble le processus? Que doit prouver le procureur géné‐ ral?
Le gouvernement n’a pas de grands arguments à faire valoir. C’est un processus créé par la loi spéciale qui rend la chose très facile. Tout ce que le procureur général doit faire, c’est de prouver que les biens visés appartiennent vraiment à M. Abramovitch et qu’ils sont détenus ou contrôlés, même indirectement, par lui.
Quels sont les recours possibles pour Roman Abramovitch?
Ses avocats pourraient in‐ voquer l’article 8 de la Charte canadienne des droits et liber‐ tés, qui protège contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. La Cour de‐ vra examiner si la saisie a été raisonnable et si elle respec‐ tait sa vie privée, par exemple.
L’autre possibilité serait de plaider qu’Ottawa n’a pas juri‐ diction dans cette affaire, puisqu’il ne s’agit pas de droit criminel, mais plutôt de droit civil. Donc, c’est le pouvoir provincial, côté régime de confiscation des droits à la propriété et tout ça, qui entre en jeu.
Il y a toute une question constitutionnelle assez inté‐ ressante sur ce partage des pouvoirs qui pourrait être soulevée et prendre beau‐ coup de temps à régler. Mais le fardeau de la preuve sera alors sur M. Abramovitch, et non sur le gouvernement fé‐ déral.
Même si Ottawa gagnait sa cause, pourrait-il devoir rembourser les biens confisqués à M. Abramo‐ vitch?
Oui. Il aurait un recours en vertu du droit du commerce international. Le Canada et la Russie (l’URSS) ont signé en 1991 l’Accord sur la promotion et la protection des investis‐ sements.
L’entente protège notam‐ ment les investisseurs contre l'expropriation. Et une des clauses stipule que si jamais une expropriation est justi‐ fiée, le gouvernement doit of‐ frir une compensation.
Donc on peut s’attendre à ce que M. Abramovitch dise : Voyez-vous, mon argent déte‐ nu au Canada a dans les faits été exproprié, et exige un ar‐ bitrage international.
Si le tribunal décidait en sa faveur, le Canada devrait lui redonner ses 26 millions de dollars. Ce serait un peu bi‐ zarre comme développement bien sûr, mais c’est possible.
D’ici là, quelles sont les chances que la Russie en‐ tame des représailles contre le Canada?
Il faudra faire très atten‐ tion. Les risques de repré‐ sailles sont réels. Devant une action unilatérale du Canada, Vladimir Poutine pourrait se sentir justifié de lui rendre la monnaie de sa pièce.
La Russie pourrait décider, elle aussi, de viser des gens d'affaires ou des entreprises canadiennes qui ont des actifs en Russie, des minières, par exemple. La Russie pourrait les sanctionner et, par la suite, décider de confisquer leurs biens.
Les ministres Joly et Freeland tentent de convaincre les dirigeants européens d’emboîter le pas au Canada dans la confiscation et la revente des avoirs russes. Quelles sont les chances que d’autres pays fassent comme nous?
Je ne suis pas sûr que l’ap‐ pel du Canada change beau‐ coup de choses pour l'Europe. Je pense qu'il y a beaucoup de liens étroits entre l'Europe et la Russie. Il y a toutes sortes de questions fondamentales qui touchent à la production d'énergie nécessaire au fonc‐ tionnement de l'Europe. Cer‐ tains pays sont vraiment dans une situation très difficile.
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