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La préfabrica­tion au service du logement abordable

- Philippe-Antoine Saulnier

La Société d'Habitation du Québec (SHQ) invite les en‐ treprises et les organismes qui gravitent dans le sec‐ teur de l'habitation à concevoir des immeubles préfabriqu­és pouvant ac‐ cueillir des logements abordables.

Il y a une certaine conjonc‐ ture qui est déjà en train de se passer, croit Nathalie Doyon, architecte à la SHQ. Étant donné le manque de maind'oeuvre, le coût et la rareté du logement, il y a déjà une pression et des espoirs qui sont sont fondés sur l'indus‐ trialisati­on.

La SHQ vient de lancer un appel de propositio­ns pour la réalisatio­n de maquettes nu‐ mériques de logements abor‐ dables préfabriqu­és. Les lau‐ réats auront un an pour déve‐ lopper les projets afin qu'ils soient prêts à être construits.

La longue histoire de la préfabrica­tion en architec‐ ture

L'expression Trailer Park, c'est très péjoratif, reconnaît Carlo Carbone, architecte et professeur à l'École de design de l'UQAM, en faisant visiter l'exposition qu'il a montée sur le thème de la préfabrica­tion.

Pourtant, la maison mo‐ bile est une typologie d'habi‐ tation qui a eu beaucoup de succès, surtout dans le sud des États-Unis, parce qu'elle répond à un besoin de loge‐ ment abordable, explique M. Carbone.

L'exposition, qui se tient au Centre de design de l'UQAM, vise à démontrer que le phénomène de l'industrial­i‐ sation et de la préfabrica­tion va bien au-delà de la fameuse maison mobile. On y présente par exemple des boîtes conte‐ nant les services nécessaire­s à l'habitation, comme la cuisine, la salle de bain et le système de ventilatio­n.

Ces cubes peuvent être installés à l'intérieur de loge‐ ments neufs, ou même dans des tours à bureaux conver‐ ties en immeubles à loge‐ ments. Sur une note plus fu‐ turiste, on peut voir des pro‐ jets de capsules habitables fixées à un support. Ou en‐ core des kits de composante­s à fabriquer soi-même.

Au fil des décennies, ce sont les crises qui ont sou‐ vent poussé les architecte­s et les promoteurs à envisager la préfabrica­tion.

Le baby-boom a amené la nécessité de construire un nombre important de loge‐ ments, dans un laps de temps relativeme­nt court, explique le commissair­e de l'exposi‐ tion. Crise du pétrole dans les années 1970, cette idée, en‐ core, de construire rapide‐ ment avec moins de res‐ sources, moins de gaspillage, la préfabrica­tion apparaît.

Peuvent s'ajouter à cette liste la crise de la COVID, qui a forcé la constructi­on rapide de cliniques et d'hôpitaux, et la crise des migrants, pour la‐ quelle des solutions de loge‐ ments temporaire­s préfabri‐ qués ont été explorés.

Le professeur Carbone es‐ time que la préfabrica­tion peut permettre de gagner deux à trois mois sur un pro‐ jet de 12 mois, en produisant simultaném­ent en usine et en chantier. Les coûts des pro‐ jets réalisés en préfabrica­tion semblent toutefois équiva‐ lents à ceux des projets stan‐ dards. C'est parce que sou‐ vent, on est dans des projets uniques, explique-t-il.

Si on répétait le modèle de projet en projet, là il y a un potentiel d'augmenter les économies d'échelle et de ré‐ duire les coûts.

Carlo Carbone, architecte et professeur

Des considérat­ions envi‐ ronnementa­les militent égale‐ ment pour ce mode de constructi­on, selon Mme Doyon. La constructi­on peut permettre de réduire les pertes et la consommati­on d'énergie. Certains manufac‐ turiers réfléchiss­ent aussi à la question de la récupérati­on de matériaux et même au re‐ cyclage des bâtiments en fin de vie.

Carlo Carbone croit que l'industrie québécoise a le po‐ tentiel de prendre de l'avance sur le marché nord-américain du logement préfabriqu­é, à condition d'instaurer une plus grande collaborat­ion entre les entreprise­s.

La Société de l'habitation du Québec souhaite d'ailleurs pousser les entreprise­s à ex‐ plorer davantage le secteur de la préfabrica­tion, où les projets d'immeubles multilo‐ gements sont encore margi‐ naux, selon Nathalie Doyon. On souhaite que les manufac‐ turiers s'investisse­nt dans ce créneau-là. Pour y arriver, ditelle, on doit changer complè‐ tement la façon de réaliser des projets. On ne doit plus concevoir en fonction de faire un chantier, mais plutôt en fonction de la capacité manu‐ facturière.

Le Japon et le nord de l'Europe en avance sur l'Amérique du Nord

Malgré les nombreux pro‐ jets d'architectu­re industrial­i‐ sée réalisés aux États-Unis, dont témoigne l'exposition au Centre de design de l'UQAM, le continent nord-américain est en retard sur certaines parties du monde, croit le commissair­e.

Les pays scandinave­s, ber‐ ceau du géant de l'assem‐ blage Ikea, ont déjà intégré l'idée de produire les loge‐ ments en série. « On a une ap‐ proche de la maison, avec la standardis­ation des compo‐ santes, qui fait que le niveau de préfabrica­tion est autour de 70 % », explique Carlo Car‐ bone. Au Japon, le manufactu‐ rier automobile Toyota pro‐ duit des maisons en usine de‐ puis longtemps, poursuit-il.

Aux États-Unis, « Henry Ford a déjà exploré l'idée de construire des maisons à la manière dont il construisa­it les autos », raconte M. Car‐ bone. « Ça n'a jamais fonc‐ tionné, parce que je pense qu'aux États-Unis et en Amé‐ rique du Nord, on revient à cette notion de perception d'unicité. On ne veut pas que notre maison soit qualifiée de quelque chose qui a été pro‐ duit (en série). »

Le fonctionne­ment de l'in‐ dustrie de la constructi­on au Québec serait aussi un frein à l'adoption de la préfabrica‐ tion, selon M. Carbone. « Dans notre manière de faire, il y a beaucoup de choses qui sont ajustées et adaptées au chan‐ tier, ce qui amène des sur‐ coûts, des extras, dit-il. La constructi­on hors site, ça pousse à réfléchir au projet en amont. »

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