La préfabrication au service du logement abordable
La Société d'Habitation du Québec (SHQ) invite les en‐ treprises et les organismes qui gravitent dans le sec‐ teur de l'habitation à concevoir des immeubles préfabriqués pouvant ac‐ cueillir des logements abordables.
Il y a une certaine conjonc‐ ture qui est déjà en train de se passer, croit Nathalie Doyon, architecte à la SHQ. Étant donné le manque de maind'oeuvre, le coût et la rareté du logement, il y a déjà une pression et des espoirs qui sont sont fondés sur l'indus‐ trialisation.
La SHQ vient de lancer un appel de propositions pour la réalisation de maquettes nu‐ mériques de logements abor‐ dables préfabriqués. Les lau‐ réats auront un an pour déve‐ lopper les projets afin qu'ils soient prêts à être construits.
La longue histoire de la préfabrication en architec‐ ture
L'expression Trailer Park, c'est très péjoratif, reconnaît Carlo Carbone, architecte et professeur à l'École de design de l'UQAM, en faisant visiter l'exposition qu'il a montée sur le thème de la préfabrication.
Pourtant, la maison mo‐ bile est une typologie d'habi‐ tation qui a eu beaucoup de succès, surtout dans le sud des États-Unis, parce qu'elle répond à un besoin de loge‐ ment abordable, explique M. Carbone.
L'exposition, qui se tient au Centre de design de l'UQAM, vise à démontrer que le phénomène de l'industriali‐ sation et de la préfabrication va bien au-delà de la fameuse maison mobile. On y présente par exemple des boîtes conte‐ nant les services nécessaires à l'habitation, comme la cuisine, la salle de bain et le système de ventilation.
Ces cubes peuvent être installés à l'intérieur de loge‐ ments neufs, ou même dans des tours à bureaux conver‐ ties en immeubles à loge‐ ments. Sur une note plus fu‐ turiste, on peut voir des pro‐ jets de capsules habitables fixées à un support. Ou en‐ core des kits de composantes à fabriquer soi-même.
Au fil des décennies, ce sont les crises qui ont sou‐ vent poussé les architectes et les promoteurs à envisager la préfabrication.
Le baby-boom a amené la nécessité de construire un nombre important de loge‐ ments, dans un laps de temps relativement court, explique le commissaire de l'exposi‐ tion. Crise du pétrole dans les années 1970, cette idée, en‐ core, de construire rapide‐ ment avec moins de res‐ sources, moins de gaspillage, la préfabrication apparaît.
Peuvent s'ajouter à cette liste la crise de la COVID, qui a forcé la construction rapide de cliniques et d'hôpitaux, et la crise des migrants, pour la‐ quelle des solutions de loge‐ ments temporaires préfabri‐ qués ont été explorés.
Le professeur Carbone es‐ time que la préfabrication peut permettre de gagner deux à trois mois sur un pro‐ jet de 12 mois, en produisant simultanément en usine et en chantier. Les coûts des pro‐ jets réalisés en préfabrication semblent toutefois équiva‐ lents à ceux des projets stan‐ dards. C'est parce que sou‐ vent, on est dans des projets uniques, explique-t-il.
Si on répétait le modèle de projet en projet, là il y a un potentiel d'augmenter les économies d'échelle et de ré‐ duire les coûts.
Carlo Carbone, architecte et professeur
Des considérations envi‐ ronnementales militent égale‐ ment pour ce mode de construction, selon Mme Doyon. La construction peut permettre de réduire les pertes et la consommation d'énergie. Certains manufac‐ turiers réfléchissent aussi à la question de la récupération de matériaux et même au re‐ cyclage des bâtiments en fin de vie.
Carlo Carbone croit que l'industrie québécoise a le po‐ tentiel de prendre de l'avance sur le marché nord-américain du logement préfabriqué, à condition d'instaurer une plus grande collaboration entre les entreprises.
La Société de l'habitation du Québec souhaite d'ailleurs pousser les entreprises à ex‐ plorer davantage le secteur de la préfabrication, où les projets d'immeubles multilo‐ gements sont encore margi‐ naux, selon Nathalie Doyon. On souhaite que les manufac‐ turiers s'investissent dans ce créneau-là. Pour y arriver, ditelle, on doit changer complè‐ tement la façon de réaliser des projets. On ne doit plus concevoir en fonction de faire un chantier, mais plutôt en fonction de la capacité manu‐ facturière.
Le Japon et le nord de l'Europe en avance sur l'Amérique du Nord
Malgré les nombreux pro‐ jets d'architecture industriali‐ sée réalisés aux États-Unis, dont témoigne l'exposition au Centre de design de l'UQAM, le continent nord-américain est en retard sur certaines parties du monde, croit le commissaire.
Les pays scandinaves, ber‐ ceau du géant de l'assem‐ blage Ikea, ont déjà intégré l'idée de produire les loge‐ ments en série. « On a une ap‐ proche de la maison, avec la standardisation des compo‐ santes, qui fait que le niveau de préfabrication est autour de 70 % », explique Carlo Car‐ bone. Au Japon, le manufactu‐ rier automobile Toyota pro‐ duit des maisons en usine de‐ puis longtemps, poursuit-il.
Aux États-Unis, « Henry Ford a déjà exploré l'idée de construire des maisons à la manière dont il construisait les autos », raconte M. Car‐ bone. « Ça n'a jamais fonc‐ tionné, parce que je pense qu'aux États-Unis et en Amé‐ rique du Nord, on revient à cette notion de perception d'unicité. On ne veut pas que notre maison soit qualifiée de quelque chose qui a été pro‐ duit (en série). »
Le fonctionnement de l'in‐ dustrie de la construction au Québec serait aussi un frein à l'adoption de la préfabrica‐ tion, selon M. Carbone. « Dans notre manière de faire, il y a beaucoup de choses qui sont ajustées et adaptées au chan‐ tier, ce qui amène des sur‐ coûts, des extras, dit-il. La construction hors site, ça pousse à réfléchir au projet en amont. »