Qui veut la tête des chefs autochtones?
Régulièrement contestées, critiquées, imposées par un système colonial… Les élections des chefs de bande dans les communau‐ tés sont-elles vraiment adaptées aux Autoch‐ tones? Certains plaident pour un retour à un mode d’élection plus tradition‐ nel, d’autres souhaitent une modernisation du sys‐ tème actuel.
À la fin du 19e siècle, avec la Loi sur les Indiens, le gou‐ vernement fédéral a imposé dans les communautés le mode de gouvernance qui perdure encore aujourd’hui : l’élection d’un chef de bande pour un temps donné, ainsi que de plusieurs conseillers dont le nombre varie en fonc‐ tion du nombre de membres.
Mais de nos jours, avec la multiplication des contesta‐ tions d’élections dans plu‐ sieurs communautés, la ques‐ tion se pose quant à savoir si ce système convient vraiment aux Autochtones et s’il est possible de le décoloniser.
Que ce soit à Uashat mak Mani-utenam, à Matimekush– Lac-John ou encore à Lac-Bar‐ rière, les exemples de remise en cause de l'autorité des chefs sont nombreux.
Eva Ottawa, ancienne grande cheffe du Conseil de la Nation Atikamekw (CNA) et professeure de droit à l’Uni‐ versité d’Ottawa, rappelle que les Autochtones, avant l’impo‐ sition de la Loi sur les Indiens et la sédentarisation, avaient toujours fonctionné selon leurs pratiques, avec des chefs de territoire.
Ces chefs-là devaient bien connaître le territoire juste‐ ment, être à l’écoute des fa‐ milles, connaître la toponymie des lieux et s’assurer que tout le monde puisse bien vivre, détaille-t-elle.
Diane Chilton, qui a tra‐ vaillé au sein du CNA, ajoute que le mot politique n'existait même pas dans leur langue. L’idéal, ce serait de revenir au code coutumier, d'impliquer les aînés pour avoir une vraie représentation du territoire. Il faut retourner à la source, croit-elle.
On avait des règles qui fonctionnaient très bien. C’est incontournable de revenir en arrière.
Diane Chilton
Elle pense que l’imposition, par le gouvernement fédéral, du système actuel de vote dans les communautés en‐ traîne un risque de conflits d’intérêts qui peut avoir un impact au moment du vote.
Moi, je n’entendais jamais parler de conflits d’intérêts dans le temps de mon père, lance encore Mme Chilton. Elle ajoute que lorsqu’il y a des soupçons en ce sens, il est compliqué de trouver un in‐ terlocuteur pour s’en plaindre.
On n’a rien pour vraiment régler cela et on doit s’en re‐ mettre aux outils du système non autochtone, dit-elle. Ce qui entraîne la peur de repré‐ sailles pour certains membres qui seraient tentés de dénon‐ cer.
Les représailles sont sub‐ tiles, selon Mme Chilton, qui évoque des postes auxquels les membres qui dénoncent n’auraient plus accès, la mise de côté des plus vulnérables et la création d’une sorte de club de ceux qui ont le pou‐ voir.
Les Wet’suwe’ten, par exemple, ont encore des chefs héréditaires qui sont choisis par les aînés. Une si‐ tuation qui a pu entraîner des divergences : dans le cadre du projet du gazoduc Coastal GasLink, les chefs héréditaires se sont opposés à la décision des chefs de bande.
Ce système à deux têtes soulève aussi des défis chez les Mohawks de Kahnawake.
Sur les ondes de Radio-Ca‐ nada, Kahentinetha, l’une des mères mohawks et aînée, ex‐ pliquait que les traditiona‐ listes ne suivent pas les conseils de bande mis en place par le gouvernement ca‐ nadien. Très peu de per‐ sonnes participent à l’élection de ces conseils, qui ne nous représentent pas, qui ne parlent pas en notre nom. Ces conseils font ce que le gouver‐ nement canadien leur dit de faire. Nous, nous suivons la Constitution de la Nation iro‐ quoise.
Il existe à Kahnawake deux structures de gouvernance qui sèment encore la division au sein de la communauté de la Rive-Sud de Montréal.
Retour en arrière im‐ possible
Jamais on ne va retourner au mode d’élection tradition‐ nel! assure de son côté Réal McKenzie, le chef innu de Ma‐ timekush–Lac-John.
Première raison, selon lui : même si les jeunes ont beau‐ coup de respect pour les an‐ ciens modes de gouvernance, ils sont trop ancrés dans la modernité pour rêver de leur retour.
Surtout, il lui semble im‐ possible d’organiser des élec‐ tions comme autrefois sans que celles-ci suscitent la controverse.
Avant, on se réunissait, on disait "tiens, lui c’est un bon chasseur, il devrait être le chef". Imaginez faire cela au‐ jourd’hui! Personne ne serait d’accord, le chef serait en per‐ manence contesté!
Réal McKenzie, chef de Ma‐ timekush–Lac-John
D’ailleurs, le chef McKenzie confie que le conseil souhaite réformer son code électoral. Il compte faire appel à des ex‐ perts qui ont déjà modifié cer‐ tains codes électoraux dans des communautés de l’Ouest.
M. McKenzie évalue aussi l'option d'impliquer la Sûreté du Québec (SQ), afin que des agents surveillent les urnes du vote par anticipation.
À Uashat, c’est la police de la communauté qui le fait, mais nous, nous n’avons pas de corps policier, alors il fau‐ drait demander à la SQ. Mais il n'est pas sûr qu’elle accepte et qu’elle souhaite se mêler de nos affaires, explique-t-il.
Vide juridique
L’avocat Philippe Laro‐ chelle, qui a été désigné pré‐ sident des dernières élections à Matimekush, a soulevé plu‐ sieurs problèmes organisa‐ tionnels qui, selon lui, contri‐ buent à leur contestation.
Dans un document qu’Es‐ paces autochtones s’est pro‐ curé, il mentionne des délais qui ne sont pas indiqués dans le code électoral actuel, d’autres qui sont trop courts pour permettre une bonne vérification des listes électo‐ rales ou le recours à des boîtes de scrutin fermées à clé de façon systématique.
Il relève aussi de nom‐ breux problèmes logistiques propres aux communautés éloignées, comme Matime‐ kush.
Au-delà de ces enjeux, des Autochtones souhaitent que les nouvelles technologies soient utilisées pour bien or‐ ganiser ces élections.
Guy Niquay, candidat dé‐ fait à la chefferie du CNA, lance le même appel.
Pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas voter électroni‐ quement? se demande-t-il, expliquant que cela pourrait servir à rejoindre plus facile‐ ment les membres installés hors de la réserve.
Il plaide aussi pour un plus grand investissement de la part du gouvernement fédé‐ ral dans l’organisation des élections. Il faut qu’on ait de