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Punaises de lit, discrimina­tion, mauvaise gestion… le centre Ullivik dans l’eau chaude

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Nellie Tookalook était à Ul‐ livik le mois dernier avec son fils, qui devait être opé‐ ré à sa jambe cassée.

Bien qu'elle ait apprécié pouvoir rester là pendant une période difficile, elle a raconté que les couloirs étaient sombres et que les lits et les oreillers étaient inconfor‐ tables.

Ils ne conviennen­t pas aux personnes qui se remettent d'une fracture, a déclaré Mme Tookalook.

Mais sa plus grande plainte concernait le person‐ nel de la réception. Certains employés auraient été irres‐ pectueux selon elle. Alors qu’elle voulait se plaindre d’un manque de considérat­ion, elle s’est adressée à un employé du centre.

Je lui ai dit que je n'aimais pas la façon dont nous étions traités et il m'a dit de parler à l'un de ses superviseu­rs. J'ai demandé qui était le supervi‐ seur et il m'a dit de me dé‐ brouiller toute seule, a-t-elle déclaré lors d'un entretien té‐ léphonique.

Les personnes qui tra‐ vaillent pour nous doivent être plus compréhens­ives, plus attentionn­ées et ne pas être aussi grossières.

Nellie Tookalook, mère d'un patient

Elle a ajouté que de nom‐ breux patients ont l'impres‐ sion que leurs commentair­es ont été ignorés.

Je pense que les gens qui dirigent l'endroit doivent ins‐ pecter tout le bâtiment. Les douches, les lits. Ils doivent al‐ ler voir par eux-mêmes pour voir de quoi nous parlons, a dit Mme Tookalook.

Misty Tertiluk a séjourné à Ullivik pendant 12 jours en oc‐ tobre. Elle a dit que l'établisse‐ ment était sale et qu'un membre du personnel est ve‐ nu à l'improviste dans sa chambre pour vérifier qu'elle allait bien pendant la nuit.

Je ne veux plus jamais en‐ trer dans ce bâtiment, a-t-elle déclaré dans un échange sur Facebook.

Une autre femme qui a sé‐ journé à Ullivik à plusieurs re‐ prises a déclaré que les gardes de sécurité et les chauffeurs qui emmènent les patients à l'aéroport et les ramènent font eux aussi parties du pro‐ blème. Elle dit s'être sentie vic‐ time de discrimina­tion en rai‐ son de ses origines.

Tous les Inuit sont mis dans la même catégorie, celle des ivrognes, dit-elle.

La femme, et plusieurs autres personnes qui ont par‐ lé avec CBC, ont demandé à ne pas être identifiée­s parce qu'elles comptent sur Ullivik et s'attendent à devoir y sé‐ journer à nouveau lors‐ qu'elles recevront un traite‐ ment médical.

Cumul de problèmes

Pendant des années, les Inuit qui s'envolaient vers le sud de Montréal pour rece‐ voir des soins médicaux étaient relégués dans un YM‐ CA situé à l'ouest du centrevill­e.

Enfin, en 2016, un nou‐ veau centre appelé Ullivik a été ouvert près de l'aéroport de la ville.

Il était destiné à servir de lieu de guérison pour les cen‐ taines de personnes qui viennent chaque mois se faire soigner dans la ville.

En effet, le Nunavik compte deux centres de san‐ té sur son territoire, mais pour les interventi­ons ma‐ jeures et les cas plus com‐ plexes, les patients doivent s'envoler vers le sud pour se faire soigner.

Offrir un environnem­ent accueillan­t a été un défi dès le début.

Lorsque le centre de 91 chambres et 143 lits a ou‐ vert ses portes il y a cinq ans, il a été considéré comme un pas en avant dans l'accès aux soins de santé pour les Inuit vivant au Nunavik, le terri‐ toire autonome du nord du Québec.

Mais rapidement, avéré trop petit.

Le jour de son ouverture, Ullivik a dû louer 11 chambres dans un hôtel voisin pour ac‐ cueillir le surplus de patients.

Depuis, Ullivik a conclu un accord avec un hôtel voisin pour accueillir plusieurs di‐ zaines de patients par nuit. Cet hôtel a également fait l'objet de plaintes similaires, notamment de punaises de lit et de tensions avec le person‐ nel.

Des patients d'Ullivik ont publié sur les médias sociaux des dizaines de photos de pu‐ naises de lit et de nourriture peu appétissan­te, et se sont plaints du traitement réservé par le personnel de sécurité.

Le centre a également dû faire face à une forte rotation du personnel et à des alléga‐ tions de mauvaise gestion. Au milieu de ces bouleverse‐ ments, Rita Novalinga a été embauchée comme directrice d'Ullivik en novembre. Elle est

il s’est devenue la cinquième per‐ sonne à occuper ce poste de‐ puis 2020.

J'ai deux rôles à jouer : faire preuve de compassion et être un leader, a déclaré Mme No‐ valinga, ancienne secrétaire générale de la Société Maki‐ vik, une organisati­on qui re‐ présente les Inuit du Nunavik.

En août dernier, deux femmes séjournant au pa‐ villon ont été heurtées et tuées par des véhicules sur l'autoroute voisine, à moins de 24 heures d'intervalle.

Leurs décès font l'objet d'une enquête du bureau du coroner du Québec.

Par ailleurs, une pétition en ligne lancée plus tôt cette année compte près de 1000 signatures. Elle décrit la nourriture comme atroce et le personnel comme condescen‐ dant envers ceux qui y sé‐ journent.

Selon le ministère de la Santé du Québec, il y a eu plus de 5000 voyages à Mont‐ réal en provenance du Nuna‐ vik pour des soins médicaux en 2019-2020, ainsi qu'environ 2000 voyages pour des ac‐ compagnate­urs.

L'année suivante, le vo‐ lume a chuté à environ 3800 voyages pour les pa‐ tients et 1500 pour les accom‐ pagnateurs en raison de la pandémie.

Problèmes de sécurité

Le centre a une politique d'interdicti­on d'alcool et de drogues, mais il a du mal à contrôler le problème. Entre août et octobre 2022, un tiers des 826 incidents signalés à Ullivik étaient liés à la consommati­on d'alcool ou de drogues, selon une présenta‐ tion faite lors d'une réunion du conseil de l'autorité sani‐ taire.

Le centre dispose d'une salle tranquille où les patients peuvent retrouver leurs es‐ prits et a tenté d'améliorer la situation, en partenaria­t avec le Centre d'amitié autochtone de Montréal.

L'organisati­on effectue des patrouille­s pour identifier les risques dans la zone et ce qui peut être changé.

La décision de la Régie des alcools d'accorder un permis d'alcool à un resto-bar voisin a également été contestée.

Allégation­s de mauvaise gestion

Ullivik a également lutté contre un fort taux de roule‐ ment du personnel et des al‐ légations de mauvaise ges‐ tion.

Un audit interne de 2019 obtenu par CBC News dé‐ taillait les problèmes de comptabili­té d'Ullivik, notam‐ ment l'attributio­n de contrats sans appel d'offres et l'omis‐ sion de tenir un registre de certaines dépenses.

Une ancienne directrice, par exemple, aurait fait livrer et installer à sa résidence per‐ sonnelle des restes de la constructi­on d'Ullivik – 21 boîtes de parquet en bois – selon l'audit.

Un an plus tard, le gouver‐ nement du Québec a ordon‐ né une enquête sur la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, qui supervise Ullivik.

La Régie a fait l'objet de rapports de mauvaise gestion et a dû faire face à des pénu‐ ries de personnel.

Le gouverneme­nt provin‐ cial n'a pas encore rendu pu‐ bliques ses conclusion­s ou re‐ commandati­ons, bien que la Régie régionale de la santé du Nunavik ait confirmé les avoir reçues.

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