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Maroc : la sécheresse qui n’en finit plus

- Myriam Fimbry

« Pas de pluie, pas d’eau. L’agricultur­e, ça ne marche pas en ce moment », ré‐ sume Youness Soukrifi, 31 ans, qui cultive des lé‐ gumes près du village de Toundoute, à 60 km de Ouarzazate, dans le sud-est du Maroc.

Les amandiers, figuiers, dattiers et oliviers, ainsi que les noyers et les pommiers, ont beaucoup souffert de la sécheresse cette année. You‐ ness Soukrifi se promène au‐ tour de chez lui avec son ap‐ pareil photo pour documen‐ ter les dommages.

C’est l’une des pires séche‐ resses dans la région, qui riva‐ lise avec celle de 2005 et l’autre plus ancienne de 19851986 dont lui parlaient ses pa‐ rents, aujourd’hui décédés. Des dates gravées dans la mé‐ moire locale.

Cette fois, c’est sa durée qui accable les agriculteu­rs. Le Maroc manque d’eau pour la 4e année consécutiv­e.

Selon un rapport publié cet été par la Banque mon‐ diale, le royaume est en situa‐ tion de stress hydrique struc‐ turel. Il dispose de seulement 600 m3 d’eau par habitant et par an et se rapproche du seuil de pénurie absolue (500 m3).

En plein mois de juillet, les principaux barrages affi‐ chaient un taux de remplis‐ sage de 30 %, contre 46 % l’an‐ née dernière, selon le minis‐ tère de l’Équipement et de l’Eau.

Principale cause : le manque de précipitat­ions

Youness essaye de se sou‐ venir de quand date la der‐ nière grosse averse. En jan‐ vier, il y a eu de la neige, au mois de mars un peu de pluie, et depuis, rien.

Rien, ou presque. Pas de quoi renflouer les rivières et les nappes phréatique­s. Avant, la pluie pouvait tom‐ ber 15 jours en continu, jour et nuit. Maintenant, quand il pleut, c’est une demi-heure, observe Youness Soukrifi.

Il n’y a rien à faire, dit-il, un peu fataliste mais convaincu que la pluie finira par revenir, Inch’Allah (si Dieu le veut). Dans son bled, on puise l’eau de façon traditionn­elle, par des puits qui rejoignent des sources.

Ça demanderai­t un grand budget de trouver des solu‐ tions pour avoir de l’eau, donc on laisse ça comme ça, dit-il.

Au souk de la ville de Skou‐ ra, 30 000 habitants, les mar‐ chands s’abritent du soleil sous des toiles tendues audessus de leurs étals. C’est la canicule en ce début no‐ vembre, une situation inhabi‐ tuelle.

Brahim Mrabou, père de quatre enfants, fait ses courses pour la semaine. Poi‐ vrons, tomates, carottes, na‐ vets, choux, oranges, gre‐ nades… Tout est 100 % bio ici et produit localement! dit-il avec fierté en montrant des pommes de l’Atlas, des dattes de Skoura et des coings.

Un marchand explique qu’il fait pousser ses fruits et légumes dans les montagnes de l’Atlas. Son puits de 15 mètres de profondeur n’a plus beaucoup d’eau. Il fau‐ drait creuser plus profond, mais c’est difficile et coûteux dans une terre caillouteu­se. Compte tenu de ses maigres profits, l’investisse­ment n’est pas rentable.

Chaque mètre supplémen‐ taire coûte 500 dirhams (58 $ CA). Une petite fortune : un Marocain sur deux à la campagne vit avec moins de 108 $ par mois, selon les sta‐ tistiques du Haut-Commissa‐ riat au Plan, qui a mesuré le niveau de vie médian en 2019.

Sans eau, y a rien, lance un vieux producteur de dattes. Il en attrape deux dans ses mains pour les faire goûter aux potentiels acheteurs. Les autorités ne viennent pas nous demander si on va bien, de quoi on manque. Mais Al Hamdoulill­ah, Dieu soit loué! C’est Dieu qui décide!

Un peu plus loin, ce sont les moutons qui attendent de trouver preneur sous le soleil de plomb et d’être amenés au bout d’une corde, à bord de petits camions.

Brahim montre une race locale de moutons, plus proli‐ fique que d’autres et moins gourmande en eau, désor‐ mais privilégié­e dans la ré‐ gion : la race de D’man. Mais la maigre brebis et son agneau n’ont pas l’air en forme.

Exode vers les villes

Au Maroc, c’est l’agricultur­e qui est la plus gourmande en eau. Pilier de l’économie, elle représente au moins 85 % de la consommati­on nationale.

Parmi les agriculteu­rs et les éleveurs frappés par la sé‐ cheresse, plusieurs songent à plier bagage, à quitter le bled qui les a vus grandir, pour tra‐ vailler en ville dans la constructi­on ou l’automobile. Ils s’exilent jusqu’à Casablan‐ ca, Marrakech ou Fès, à plu‐ sieurs centaines de kilomètres de leurs racines, et repartent à zéro.

Cet exode rural provoqué par le changement climatique décompose les familles.

Youness Soukrifi se ques‐ tionne lui aussi, bien qu’atta‐ ché à la région où il a grandi. Son avenir profession­nel est devant lui. Je pourrais tra‐ vailler dans le commerce, ou bien… ou bien… quitter le Ma‐ roc, vers l’Europe ou l’Amé‐ rique! lâche-t-il avec un grand sourire.

En attendant, avec sa li‐ cence en études cinématogr­a‐ phiques, il est à l’affût de contrats dans le domaine de l’audiovisue­l. La région de Ouarzazate est réputée pour ses tournages de films, mais c’est un domaine saisonnier et, depuis le début de la pan‐ démie, il n’y a pas de travail.

La neige attendue avec impatience

Le potier Mohamed Kabor, lui aussi, a besoin d’eau, qu’il mêle à l’argile pour fabriquer des jarres et des vases dans son atelier de la palmeraie de Skoura, où vivent environ 8000 habitants, répartis en 17 tribus et autant de quar‐ tiers.

Son puits de 18 mètres, creusé par son grand-père, n’a pas d’eau en ce moment. Il pense qu’il lui faudrait creuser jusqu’à 26 mètres pour en trouver.

Le changement climatique est devenu une réalité dans son quotidien. Avant, ici, on avait beaucoup de sources, et maintenant, elles sont sèches, regrette-t-il.

Heureuseme­nt, un châ‐ teau d’eau géré par une asso‐ ciation locale permet de des‐ servir la communauté.

Je suis très content quand je vois la neige, dit Mohamed Kabor. La chaîne de mon‐ tagnes toute proche se couvre normalemen­t de blanc durant l’hiver, en particulie­r le M’Goun, troisième plus haut sommet du Maroc (4071 mètres).

C’est ce qui permettra de remplir les rivières lors de la fonte des neiges au prin‐ temps. Plusieurs oueds sont à sec actuelleme­nt, au point de pouvoir traverser leur lit à pied ou en voiture.

En attendant, il essaye d’utiliser moins d’eau et de la récupérer. Quand il se lave les mains, il place une bassine sous le robinet, afin de réutili‐ ser l’eau pour la poterie.

Et il ne prend jamais de douche, au sens occidental du terme. Il utilise plutôt un seau d’eau, chauffé dans un four à bois, et une carafe pour se la‐ ver une fois par semaine.

Il peut aussi s’offrir le ham‐ mam de temps en temps, au centre-ville de Skoura, à partir de 8 dirhams – 1 $ environ – soit quatre fois le prix d’une galette de pain.

Le conseil de Khadija

À l’autre bout de la palme‐ raie de Skoura, Khadija Mra‐ bou, 11 ans, sait depuis sa tendre enfance qu’il ne faut pas gaspiller l’eau. S’il n’y a pas d’eau, il est mort, l’homme. Ils sont morts, les animaux. Ils sont morts, les végétaux, nous dit-elle en français, langue qu’elle apprend à l’école.

Les mains décorées de henné, elle aime écrire des contes de princesse et rêve de devenir architecte. Malgré son jeune âge, elle s’intéresse à la question de l’eau et au regard de l’humain sur la nature.

Ses parents lui ont appris à

ne jamais laisser un robinet ouvert. Ils lui disaient que l’eau n’était pas illimitée et qu’un jour il n’y en aurait plus. Pour moi, c’est un trésor, il faut le préserver.

À écouter :

Le Maroc en manque d'eau, diffusé à Désautels le dimanche du 18 décembre.

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