Ces Italiens qui ne pleurent pas le pape
Pigneto n’est pas le Vati‐ can. Ici, pas d’habits de prêtre ou de chants reli‐ gieux, mais des jeunes ta‐ toués qui écoutent du rock, une bière à la main. Quand on leur demande ce qu’ils pensent de la mort du pape, ils sourcillent. « Tu es dans le mauvais quartier », répètent-ils, l’air parfois amusé, parfois méfiant.
Ce quartier de l’est de Rome affiche son progres‐ sisme sur ses murs. Le long de la Via del Pigneto, des graffitis anarchistes coexistent avec des librairies féministes et des bars de quartier. À sept kilo‐ mètres seulement de la place Saint-Pierre, les funérailles du pape semblent bien loin.
Je ne savais même pas qu’il était mort jusqu’à ce que quelqu’un me le dise quelques jours plus tard, illustre Francesca Giudici. La jeune femme est assise sur la terrasse de la librairie-bar Tu‐ ba avec une amie qui, elle aus‐ si, semble bien peu attristée par la mort de Benoît XVI.
Je ne suis pas l’Église ou la religion catholique.
Francesca Giudici, rési‐ dente de Rome
Francesca, 25 ans, est les‐ bienne et bouddhiste. Bapti‐ sée à la naissance, la jeune femme a grandi dans une fa‐ mille très religieuse. Elle dit ne pas se sentir connectée à cet aspect de l’Italie.
La plupart des gens que je connais ne sont pas catho‐ liques, renchérit Daniel Pri‐ mucci. Pour le trentenaire qui se revendique de l’agnosti‐ cisme, la religion est surtout une affaire culturelle.
Ma grand-mère a une pho‐ to du pape chez elle, mais elle ne vit pas selon les enseigne‐ ments de l’Église, explique-t-il.
Des Italiens moins ca‐ tholiques que le pape
Cette religiosité en déclin n’est pas propre à la jeunesse de Pigneto. Partout en Italie, le catholicisme perd en popu‐ larité.
Entre 2009 et 2019, le nombre de catholiques prati‐ quants est passé de 21 % à 14 % de la population, alors que le nombre de noncroyants a presque doublé.
Les baptêmes et les ma‐ riages à l’église sont aussi de moins en moins nombreux dans une Italie en pleine crise de natalité, signe de la désaf‐ fection des nouvelles généra‐ tions pour la religion organi‐ sée.
Il y a une tendance à la sé‐ cularisation qui touche l’Italie, l’Europe et le monde occiden‐ tal.
Loup Besmond de Senne‐ ville, journaliste pour La Croix
La tendance est en train de changer en Occident, constate le correspondant permanent du journal La Croix au Vatican. Pour Loup Besmond de Senneville, cette sécularisation accélérée joue dans le rapport au pape, aux institutions, aux corps établis et à l’autorité.
Quand le Saint-Père se mêle de politique
Cette tension s’est accen‐ tuée face aux rapports de plus en plus crispés entre l’Église et l’État italien.
Dans les dernières années, le pape François a en effet multiplié les invectives plus ou moins explicites à l’endroit de l’extrême droite au pou‐ voir. Sur la question migra‐ toire, l’universalisme et la cha‐ rité prônés par le pape se butent à l’ultranationalisme du gouvernement élu par les Italiens.
Même si la pratique a chu‐ té, l’Église est encore une fi‐ gure très importante [sur les plans] moral et politique, sou‐ ligne Loup Besmond de Sen‐ neville.
Francesca Giudici, elle, est désillusionnée.
Nous avions beaucoup d’attentes à l'égard du pape François. Je pense que c'est un homme exceptionnel, mais dans cet environne‐ ment, il est incapable de chan‐ ger quoi que ce soit, conclut la jeune femme, l’air résigné, ci‐ garette roulée aux lèvres.