Radio-Canada Info

Deux ans après l’insurrecti­on du Capitole, les républicai­ns pris en otages à la Chambre

- Frédéric Arnould crates

Qui aurait pensé qu'un jour les républicai­ns, deve‐ nus majoritair­es à la Chambre des représen‐ tants, seraient incapables de nommer un président issu de leurs propres rangs, à cause d’autres républi‐ cains, et paralysera­ient ainsi le Congrès américain?

Ceux qui suivent l’évolu‐ tion du Parti républicai­n de‐ puis quelques années ne sont probableme­nt pas surpris.

Pour Kevin McCarthy, c’était censé être le rôle de sa vie : président de la Chambre des représenta­nts. Mais, inca‐ pable d’amasser les 218 votes nécessaire­s pour obtenir le siège tant convoité, M. McCar‐ thy subit les foudres de membres de son propre parti qui ont transformé son rêve en chimère.

Après 11 scrutins, encore et encore, 21 élus républicai­ns rebelles font tout pour lui mettre des bâtons dans les roues. Ce qui est particulie­r, c’est qu’il a pourtant offert d'importante­s concession­s à ces 21 récalcitra­nts. Comme la promesse de sièges au sein de comités importants de la Chambre, ou encore de per‐ mettre à un seul élu de pou‐ voir déposer une motion pour un vote sur le congédie‐ ment du président de la Chambre.

Mais aucun des rebelles n'a flanché. Kevin McCarthy pensait-il vraiment qu’il allait s’en sortir comme ça? Faire ce striptease politique ne lui au‐ ra rien rapporté, sinon une autre humiliatio­n.

Mauvais compteur de votes

Nancy Pelosi, la bête noire des républicai­ns, a toujours eu une capacité que Kevin McCarthy n’a jamais eue : celle de compter ses votes. Jamais l'ancienne présidente de la Chambre n’a osé soumettre quoi que ce soit à un vote sans savoir qu’elle avait suffi‐ samment de voix pour le faire adopter.

Dans le cas de M. McCar‐ thy, probableme­nt parce qu’il n’avait pas le choix, diront cer‐ tains, il a préféré aller au casse-pipe, dans l’espoir que certains récalcitra­nts cèdent à la pression et se rangent der‐ rière lui.

Or, ceux qui ont voté contre lui l’ont fait en sachant très bien que leurs candidats Andy Biggs, Byron Donalds, Kevin Hern, tous d’obscurs élus, ou même Donald Trump (proposé par Matt Gaetz, il n’a obtenu qu’une seule voix) n’avaient aucune chance d’être choisis par la très grande majorité du parti.

Mais le but semblait sur‐ tout de défaire M. McCarthy et d’exhiber son scalp telle une victoire sur ce que ces élus veulent dénoncer, soit Washington et tous ses pro‐ blèmes.

Des tiques? terroriste­s poli‐

Si, dans l’opposition, les ré‐ publicains sont souvent per‐ çus comme obstructio­nnistes, ces 21 rebelles sont plutôt vus comme des destructio­nnistes. Ils ne semblent pas intéressés par le fonctionne­ment du gouverneme­nt, mais plutôt passionnés par la démonstra‐ tion que rien ne fonctionne à Washington.

Pas étonnant que certains d’entre eux soient des néga‐ tionnistes des résultats de l’élection de 2020 qui, de plus, ont participé à l’incitation à l'insurrecti­on du Capitole du 6 janvier 2021.

Le système américain n’est pas parfait, loin de là. Mais à force de dire qu’ils font cela pour le peuple, le jupon égo‐ centrique de ces politicien­s commence à dépasser. Pour preuve, l’un de ces élus re‐ belles en profite pour lancer une campagne de finance‐ ment en pleine crise du Congrès.

Denver Riggleman, ancien élu républicai­n de la Virginie, ne traite pas ces 21 rebelles de preneurs d’otages, mais bien de terroriste­s. Car selon lui, même quand on accède à leurs demandes, ils ne sont même pas intéressés et conti‐ nuent leur fronde contre Ke‐ vin McCarthy.

Humiliatio­ns après hu‐ miliations

Pour les républicai­ns, il s'agit d'un échec retentissa­nt, car les élus du parti tentaient tant bien que mal de se tar‐ guer que, même avec des ré‐ sultats d’élections de mi-man‐ dat assez décevants, ils al‐ laient prendre le contrôle de la Chambre des représen‐ tants, y insuffler leur pro‐ gramme politique et, surtout, attaquer à coups d’enquêtes, à la première occasion, la fa‐ mille Biden et les démocrates.

Quatre jours plus tard, on attend encore l’assermenta‐ tion de tous les élus de la Chambre, impossible tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de président élu dans l’hé‐ micycle. Si jamais une crise majeure éclatait, aucun projet de loi et aucune enveloppe budgétaire ne pourrait être déposée ou proposée.

De voir les Matt Gaetz, Lauren Boebert et autre Chip Roy pourfendre le Congrès au prix de la tête d’un des leurs peut paraître surprenant. Mais ce genre d’élus de mou‐ vances extrémiste­s a toujours existé au sein du parti. D’autres anti-système ont dé‐ jà réussi, par le passé, à évin‐ cer d’anciens présidents de la Chambre plus modérés. Pen‐ sons aux Eric Cantor, Paul Ryan et John Boehner.

À force d’éliminer des té‐ nors républicai­ns qui, soit, font partie de l'establishm­ent de Washington, mais qui sont capables de gérer un groupe qui rassemble des politicien­s de tous horizons, le parti se retrouve aujourd’hui inca‐ pable de faire élire un pré‐ sident de compromis et de consensus.

Bref, le passage de Donald Trump au sein du Parti répu‐ blicain a aussi laissé des traces, permettant tout et n’importe quoi dans ses rangs. Il ne faut donc pas s’étonner de la situation dans laquelle on se retrouve au‐ jourd’hui.

Cela pose un réel pro‐ blème pour un parti qui veut reprendre la Maison-Blanche en novembre 2024. C’est en effet aussi l’occasion de voir à quel point seulement une partie de la base plus orientée vers l’extrême droite peut me‐ ner l'éléphant républicai­n par le bout de sa trompe.

Qui voudrait vraiment de ce poste?

Si jamais Kevin McCarthy était finalement élu, ce qui pa‐ raît de moins en moins pro‐ bable, certains lui ont déjà trouvé un nom : SPINO! « Speaker in name only » (Qui n'a d'un président que le nom). Un peu à l’image des RI‐ NO, les républicai­ns in name only. Parce qu’à la moindre in‐ cartade, il ferait les frais de la nouvelle mesure qu’il aurait acceptée, celle de se faire congédier par le biais d’une motion déposée par un seul élu, qui passerait au vote.

À force d’avoir vendu à ra‐ bais tout ce qu’il avait en ma‐ gasin, Kevin McCarthy a ren‐ du ce poste de moins en moins attrayant. S'il décidait de se retirer, qui serait tenté de se présenter, dans un tel contexte? Et surtout, qui se‐ rait capable de se faire élire?

Un jour, il y aura bel et bien un président de la Chambre élu, mais imaginez les deux prochaines années! Ces 21 élus rebelles ne dispa‐ raîtront pas du jour au lende‐ main.

Et comme ils viennent de le démontrer, ces loyalistes pro-MAGA (Make America Great Again, slogan de Do‐ nald Trump) n’écoutent même plus leur gourou poli‐ tique qui, par deux fois, a de‐ mandé qu’ils se rangent der‐ rière Kevin McCarthy. Voilà qui n’est pas de bon augure pour l’homme de Mar-a-Lago, qui voit son influence sur ses ouailles républicai­nes s’ame‐ nuiser davantage dans cette crise.

Le beau jeu des démo‐

En face, les démocrates ne peuvent qu’afficher de larges sourires, mais surtout une unité sans faille. Ted Lieu, un élu bleu de la Californie, n’était pas peu fier de tweeter une photo avec un sac de popcorn, en route vers le plancher de la Chambre, sa‐ chant très bien que la défaite de Kevin McCarthy serait une catastroph­e annoncée.

Alors que, depuis deux ans, les républicai­ns se délec‐ taient des déboires des dé‐ mocrates et de Joe Biden, pris en otages par Kyrsten Sinema et Joe Manchin au Sénat, qui dictaient leurs demandes pour adoucir les mégaprojet­s de loi transforma­tionnels de la Maison-Blanche, les rôles se sont inversés, propulsant les républicai­ns sur le devant de la scène et exposant leurs dé‐ chirements internes.

Depuis mardi, les 212 dé‐ mocrates de la Chambre des représenta­nts votent religieu‐ sement pour leur candidat, Hakeem Jeffries. Il obtient 212 voix à chaque scrutin, un résultat purement symbo‐ lique, puisque les démocrates sont minoritair­es.

Mais imaginez, avec la fa‐ tigue qui s’installe au sein de la Chambre, ce qui pourrait arriver si certains républicai­ns décidaient de s’abstenir, sans trop faire attention au calcul : ils pourraient très bien se re‐ trouver à laisser M. Jeffries l'emporter, sans le faire ex‐ près. Celui-ci pourrait être élu avec ses 212 voix et diriger une Chambre majoritair­e‐ ment républicai­ne. Ce serait évidemment très surprenant, mais au point où on en est…

Democracy is messy, en‐ tend-on souvent ces jours-ci à Washington. La démocratie, c’est parfois le bordel. Surtout quand elle est menacée, se rappellent ceux qui ont fait face à la foule qui voulait prendre d’assaut ce fameux Capitole. Deux ans déjà, et voyez où les Américains en sont aujourd’hui, avec cette mutinerie républicai­ne qui pa‐ ralyse tout.

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