Les horaires de faction causent-ils des délais d’intervention dans les municipalités rurales?
Le 2 janvier dernier, une fa‐ mille d’Esprit-Saint a com‐ muniqué avec le 911 pour obtenir des services médi‐ caux d'urgence. Il a fallu 40 minutes aux ambulan‐ ciers pour se rendre sur place. Ce délai d’interven‐ tion relance le débat sur la conversion des horaires de faction des ambulanciers.
Lors de cet événement, un enfant de 10 ans est mort à la suite d’un anévrisme au cer‐ veau.
Même si le délai d'inter‐ vention des ambulanciers avait été plus rapide, l'enfant n'aurait malheureusement pas pu être sauvé, indique la Fédération des employés du préhospitalier du Québec, qui tire la même conclusion que le Centre intégré de santé et des services sociaux (CISSS) du Bas-Saint-Laurent.
Néanmoins, selon le syndi‐ cat ambulancier, ce triste évé‐ nement met en lumière la faible couverture ambulan‐ cière dans les milieux ruraux de la MRC de Rimouski-Nei‐ gette et dans le Témiscouata. Lorsqu'une personne a be‐ soin de services médicaux, l'intervention des ambulan‐ ciers doit se faire le plus rapi‐ dement possible, explique le vice-président de la Fédéra‐ tion des employés du préhos‐ pitalier du Québec, Jéré‐ mie Landry.
On ne peut jamais garantir si on peut sauver une per‐ sonne ou pas […], mais c’est sûr que des délais de 30 mi‐ nutes additionnelles sur une intervention où le patient est instable et qu’il y a des mi‐ nutes qui comptent pour sa vie […] si on peut sauver 30 minutes, on doit le faire, dit-il.
On s’entend que chaque minute compte, peu importe le résultat.
Jérémie Landry, vice-pré‐ sident de la Fédération des employés du préhospitalier du Québec
Dans le cas du 2 janvier dernier, l’ambulance qui au‐ rait normalement dû ré‐ pondre à l’appel d’urgence était celle de Squatec, à 28,4 kilomètres de distance. Celle-ci intervenait toutefois déjà dans un autre secteur. La seule équipe disponible à ce moment était celle de Caba‐ no, 57 kilomètres plus loin.
Or, une équipe d’ambulan‐ ciers est aussi basée à SaintCyprien, une municipalité lé‐ gèrement plus rapprochée (55,8 kilomètres d'EspritSaint). Bien que les ambulan‐ ciers de Saint-Cyprien étaient plus près, ils n'ont toutefois pas été en mesure d’interve‐ nir en raison de leur type d’horaire, soit l’horaire de fac‐ tion.
L’horaire de faction oblige un ambulancier à demeurer disponible 24 h sur 24 h, sept jours d’affilée sur une pé‐ riode de 14 jours. Il doit être en mesure de rejoindre une caserne en cinq minutes au moment de répondre à un appel d’urgence.
Toutefois, le CISSS ne peut demander à une équipe régie par un horaire de faction de participer à un déploiement dynamique.
On ne peut pas demander aux ambulanciers qui sont en attente 24 h sur 24 h à la mai‐ son d’aller couvrir un terri‐ toire pendant un déploie‐ ment dynamique. Ça leur fe‐ rait une surcharge de travail, commente le vice-président de la Fédération des em‐ ployés du préhospitalier du Québec, Jérémie Landry.
Au Bas-Saint-Laurent, sur 33 équipes disponibles, huit équipes demeurent sous ho‐ raire de faction.
Contrairement à ceux qui travaillent selon des horaires de faction, les ambulanciers qui travaillent à l’heure sont appelés à se déplacer pour couvrir les autres territoires qui subissent momentané‐ ment une découverture.
Qu’est-ce qu’un déploie‐ ment dynamique?
Un déploiement dyna‐ mique est le terme employé par le milieu préhospitalier pour décrire la couverture d’un territoire. Le CISSS répar‐ tit les ambulances disponibles aux endroits susceptibles de recevoir un fort volume d’ap‐ pels lorsque des équipes sont occupées.
Par exemple, cinq ambu‐ lances, régies par un horaire à l’heure, sont en attente à Ri‐ mouski. Si un appel à SaintFabien nécessite le déplace‐ ment d’ambulances, un véhi‐ cule d’une autre municipalité avoisinante devra prêter main-forte aux équipes qui restent en place à Rimouski, afin d’assurer une couverture complète du territoire en tout temps.
Depuis des années, on dit que la couverture ambulan‐ cière est désuète sur le terri‐ toire du Bas-Saint-Laurent, af‐ firme M. Landry, qui est aussi ambulancier.
On revendique les horaires de faction pour avoir des ho‐ raires à l’heure. On reven‐ dique aussi le déploiement dynamique dans la région de Squatec. C’est un des seuls endroits dans le Bas-SaintLaurent où il n’y a pas de dé‐ ploiement dynamique des vé‐ hicules ambulanciers sur ce territoire-là, déplore-t-il.
Interpellé pour commen‐ ter la situation, le préfet de la MRC de Rimouski-Neigette s’est dit profondément attris‐ té par la situation.
Il faut trouver un moyen de ne plus être à découvert, réclame Francis Saint-Pierre. Est-ce que ça prendrait une, deux, ou trois ambulances de plus?, se demande-t-il.
Moi, dans ma tête, un ci‐ toyen de la MRC, qu’il soit à Esprit-Saint, qu’il soit à SaintEugène ou qu’il soit sur la rue Saint-Germain à Rimouski, il a le droit aux mêmes services. Il n’y a pas de citoyen de pre‐ mière classe ou de deuxième classe.
Francis Saint-Pierre, préfet de la MRC de Rimouski-Nei‐ gette
Le CISSS et le MSSS ré‐ pliquent
La conversation de l'ho‐ raire de faction de Saint-Cy‐ prien fait partie de demandes du CISSS du Bas-SaintLaurent auprès du ministère de la santé et des services so‐ ciaux (MSSS) depuis bon nombre d'années, mentionne d’emblée le Dr Simon Delisle, directeur médical des services préhospitaliers d’urgence au Bas-Saint-Laurent.
Je pense qu'à terme, il y aura probablement des ho‐ raires à l’heure un petit peu partout. Ça se fait progressi‐ vement, témoigne Dr Delisle.
En juin dernier, Québec convertissait 46 équipes d’am‐ bulanciers à horaire de fac‐ tion, dont celle de Saint-Pas‐ cal, une à Trois-Pistoles et celle de La Pocatière.
Maintenant, est-ce qu’il doit avoir des horaires de fac‐ tion partout? Ben là, ça appar‐ tient plus au ministère de le déterminer, croit-il.
Selon le directeur médical au CISSS du Bas-SaintLaurent, certaines municipali‐ tés ne nécessitent pas qu’un ambulancier soit sur un ho‐ raire à l’heure en raison du faible volume d’appel.
En 2021, le secteur de Squatec a reçu 325 appels du‐ rant l’année. Ça ne fait pas un appel par jour. Si on mettait des horaires à l’heure, sou‐ vent, ces gens-là doivent res‐ ter dans le véhicule ambulan‐ cier pour être prêts à partir en moins d’une minute. Alors que quand on est sur un ho‐ raire de faction, on peut faire ses autres activités, explique le directeur médical.
C’est une question de ges‐ tion de risque, soutient Dr Si‐ mon Delisle.
Selon lui, d’autres mesures complémentaires pour ré‐ pondre aux situations d’ur‐ gence doivent être déployées.
La réponse ambulancière est un des éléments de ré‐ ponse, mais la chaîne de sur‐ vie, ça part à partir de l’ap‐ pel 911.
Dr Simon Delisle, directeur médical des services préhos‐ pitaliers d’urgence du BasSaint-Laurent
Qui plus est, le MSSS af‐ firme par courriel qu’une ana‐ lyse de la situation sera faite. Si au terme de l’analyse des changements doivent être ap‐ portés, ce sera fait, confirme par écrit la relationniste avec les médias, Marjorie La‐ rouche.
Si le CISSS du Bas-SaintLaurent dit que le secteur n’a pas le volume d’appels suffi‐ sant pour implanter le dé‐ ploiement dynamique pour le moment, il s’agit d’une déci‐ sion locale de l’établissement. Les établissements mettent en place des plans de dynami‐ sation selon leur évaluation locale de pertinence, se dé‐ fend le ministère.
Le CISSS et le MSSS éva‐ lueront les besoins
Chaque année, le CISSS évalue le nombre d’appels dans chacune des municipali‐ tés afin de bonifier la couver‐ ture ambulancière dans cer‐ tains secteurs.
L’organisation envoie en‐ suite ses recommandations au ministère de la Santé et des Services sociaux pour qu’il accorde les budgets néces‐ saires à la conversion d’ho‐ raire de faction.
Par ailleurs, Matane, qui fi‐ gurait parmi les recommanda‐ tions du CISSS, n’a pas été sé‐ lectionnée par le ministère de la Santé et des Services so‐ ciaux l’an dernier. Le CISSS du Bas-Saint-Laurent compte une fois de plus en 2023 re‐ commander la conversion de l’horaire de faction pour l’équipe matanaise.