Réformes des retraites : le dossier qui pourrait secouer la France en 2023
À la demande d’Emmanuel Macron, le gouvernement français doit confirmer mardi son intention d’aug‐ menter l’âge légal de dé‐ part à la retraite, qui pas‐ sera de 62 à 64 ou 65 ans.
Ça risque d’attiser encore plus les braises, lance le chef de train et représentant syn‐ dical Sud Rail Xavier Bregail en parlant de l’impact de la ré‐ forme des retraites sur le cli‐ mat social français.
Quelques jours avant notre entretien, lors de son traditionnel message télévisé du 31 décembre, le président Emmanuel Macron réitérait sa volonté d’apporter des chan‐ gements à la manière dont est gérée la retraite dans le pays.
Comme je m’y suis engagé devant vous, cette année sera en effet celle d’une réforme des retraites qui vise l’équi‐ libre de notre système pour les années à venir. Il nous faut travailler davantage.
Emmanuel Macron, pré‐ sident de la France.
En France, le système fonc‐ tionne par répartition. Ainsi, les Français qui sont actifs sur le marché du travail paient des cotisations utilisées pour verser des prestations aux re‐ traités.
Le ratio entre les retraités et les actifs est absolument déterminant pour l’équilibre des comptes de retraite, pré‐ cise Gilbert Cette, professeur de politique économique à la NEOMA Business School.
Or, selon le gouverne‐ ment, c’est notamment en rai‐ son des changements à cet équilibre, occasionnés par le vieillissement de la popula‐ tion, que le système est me‐ nacé.
Selon les données de l’Or‐ ganisation de coopération et de développement écono‐ mique (OCDE), en 1950, pour un retraité français, on comp‐ tait environ cinq personnes actives sur le marché du tra‐ vail. En 2020, ce ratio était passé à environ un pour trois.
Selon l’organisation inter‐ nationale, en 2050, on dé‐ nombrera moins de deux Français potentiellement ac‐ tifs sur le marché du travail par retraité.
La déformation du ratio nombre de retraités sur nombre de personnes en em‐ ploi est assez forte. Ce ratio augmente dans le temps, ce qui contribue au déséquilibre des systèmes de retraite.
Gilbert Cette, professeur émérite à la NEOMA Business School
Dans son rapport de sep‐ tembre dernier, le Conseil d’orientation des retraites (COR) constatait des excé‐ dants dans les caisses de re‐ traite en 2021 et 2022, mais prévoyait de possibles déficits au cours des années sui‐ vantes.
Le choix d’augmenter l’âge de départ à la retraite
Pour assurer la pérennité du système, diverses proposi‐ tions ont été formulées par des politiciens, des experts et des syndicats.
Nous, on pense que les ef‐ forts, ce sont à nos em‐ ployeurs de le faire, explique par exemple le syndicaliste Xavier Bregail.
L’une des options propo‐ sées est ainsi d’augmenter la part de cotisation, notam‐ ment celle de l’employeur ou de l’État, versée aux caisses de retraite.
Une autre possibilité : di‐ minuer le montant des pres‐ tations versées aux retraités.
Le gouvernement français a préféré une autre voie : celle d’augmenter la période de co‐ tisation aux caisses de retraite en haussant l’âge de départ à la retraite.
Selon les déclarations pu‐ bliques du président Macron et de ses ministres, l’âge légal du départ à la retraite passe‐ rait ainsi de 62 à 64 ou 65 ans.
Cette réforme, qui, si elle est adoptée, entrerait en vi‐ gueur dès l’été, rapprocherait la France de plusieurs de ses voisins européens, où le seuil de départ à la retraite a déjà été relevé ou est en voie de l’être.
Selon le professeur Gilbert Cette, pour qu’un tel change‐ ment soit accepté, il faut ab‐ solument que cette mesure d’âge soit associée à d’autres composantes.
Ainsi des exceptions de‐ vraient être prévues pour les personnes handicapées, ou encore pour les Français qui ont eu de longues carrières, ayant par exemple commen‐
cé à travailler avant l’âge de 20 ans.
L’importance de fixer des exemptions pour les tra‐ vailleurs qui occupent des métiers pénibles et qui sont notamment exposés au bruit ou à des températures ex‐ trêmes, ou qui travaillent de nuit, est également souvent évoquée dans le débat public.
On estime que tous les métiers dits "pénibles" de‐ vraient partir plus tôt à la re‐ traite pour souffler. […] On a autour de nous des collègues qui meurent quelques années après leur départ à la retraite et on ne veut pas ça.
Xavier Bregail, syndicaliste et chef de train
Vers un printemps de contestation?
En 2010, sous la prési‐ dence de Nicolas Sarkozy, les élus avaient adopté une ré‐ forme faisant passer l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans. À l’époque, plusieurs manifestations ont été orga‐ nisées pour dénoncer ce changement.
Plus récemment, autour de 2019, un mouvement de contestation s’est également opposé à une première tenta‐ tive par le président Macron de légiférer dans le dossier des retraites. Ce changement, qui aurait transformé les bases mêmes du système, a finalement été abandonné en 2020 pendant la pandémie.
Quelle sera la réaction en 2023? Difficile à prédire, es‐ time le professeur Cette.
La France est un pays à la conflictualité très élevé, mais elle est difficilement prévi‐ sible. Donc, il est tout à fait possible qu’à partir de la fin du mois de janvier au mois de février, la France vive un conflit social de très grande ampleur. Comme il est tout à fait possible que cette ré‐ forme des retraites, finale‐ ment, passe avec quelques petites difficultés, mais sans difficulté majeure, explique-til.
Le chef de train Xavier Bre‐ gail s’attend, lui, à un fort mouvement de contestation, d’autant plus que tous les grands syndicats du pays se sont opposés à une augmen‐ tation de l’âge de départ à la retraite. Il estime que cette ré‐ forme, ajoutée aux impacts de l'inflation, pourrait devenir un élément déclencheur.
Nous, on estime qu'on a ce pouvoir-là. En France, il y a des entreprises plus grosses, il y a des métiers qui ont le plus de facilité à faire grève, à contester. Et on estime qu'on est dans cette position-là, lance le syndicaliste.
De récents sondages montrent également que l’opinion publique française est majoritairement défavo‐ rable à la réforme. Un son‐ dage Harris Interactive, réalisé pour le compte de RTL et pu‐ blié le 2 janvier, avançait ainsi que 54 % des Français ne vou‐ laient pas de cette réforme.
Selon un autre coup de sonde mené par la firme Elabe pour BFMTV, seulement 27% des personnes sondées sont favo‐ rables à la hausse de l'âge de départ à la retraite.
Malgré les risques de ma‐ nifestations et de grèves, le gouvernement semble, cette fois-ci, déterminé à agir. Selon le réseau BFMTV, le président Macron aurait ainsi déclaré à son équipe de ne pas céder aux professionnels du mal‐ heur lors d’un récent conseil des ministres.
La table est mise pour d'éventuelles turbulences sur les plans politique et social.