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Faut-il sauver la Maison des écrivains?

- Charles Rioux

Après la saga des cotisa‐ tions syndicales, l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) est de nouveau critiquée, cette fois-ci pour sa décision de vendre la Maison des écri‐ vains d’ici le printemps. Dans une lettre adressée à l’UNEQ, des ténors de la lit‐ térature québécoise, comme Jacques Godbout et Gilles Vigneault, lui ont de‐ mandé de tenir un vote sur la question lors de sa pro‐ chaine assemblée géné‐ rale, qui doit se tenir fin janvier.

La transforma­tion de l’UNEQ en un syndicat centré principale­ment sur les condi‐ tions économique­s de ses membres, accolée à votre dé‐ cision de vendre la Maison des écrivains, nous inquiète, peut-on lire dans une lettre envoyée à l’UNEQ le 9 janvier, signée par 11 membres d'honneur de l’Union, dont Michel Tremblay, Monique La‐ Rue et Joséphine Bacon.

Rien n’est explicité en ce qui concerne les activités litté‐ raires et culturelle­s [de la Mai‐ son des écrivains], tout comme l’utilisatio­n de l’argent obtenu pour la vente de la maison. Le climat de grogne et de méfiance qui règne en ce moment au sein de l’UNEQ risque d’être néfaste à son dé‐ veloppemen­t.

Une lettre a également été envoyée jeudi au ministre de la Culture et des Communica‐ tions, Mathieu Lacombe, celle-ci signée par 53 écrivains, écrivaines et anciennes têtes dirigeante­s de l’UNEQ. Je ne peux concevoir que la direc‐ tion de l’UNEQ veuille trans‐ former une institutio­n de ca‐ ractère culturel en un orga‐ nisme de revendicat­ions d’abord économique­s, y écrit le romancier Jacques God‐ bout, qui a cofondé l’UNEQ en 1977 avec une cinquantai­ne d’écrivains et d’écrivaines.

Vendre la Maison des écri‐ vains, c’est vendre son âme.

Jacques Godbout, écrivain et cofondateu­r de l'UNEQ

Les signataire­s de cette lettre demandent au ministre de convoquer d’urgence les dirigeants de l’UNEQ pour dé‐ nouer cette impasse qui sus‐ cite parmi ses membres une dissension nuisible à l’applica‐ tion de la récente Loi sur le statut de l’artiste.

Une décision prise sans consultati­on

La décision de liquider la Maison des écrivains a été prise par le conseil d’adminis‐ tration au mois de sep‐ tembre, sans consultati­on des membres de l’UNEQ, et leur a été annoncée trois mois plus tard, le 15 décembre.

Dans une lettre d’opinion publiée dans Le Devoir le 29 décembre, l’ancien direc‐ teur de l’Union Pierre Lavoie déplorait cette approche anti‐ démocratiq­ue, rappelant que la Maison était fréquentée par des milliers de Montréalai­s, de Québécois et de délégation­s étrangères.

Au minimum, un référen‐ dum électroniq­ue aurait dû être tenu pour vérifier si la propositio­n du CA recueillai­t l’assentimen­t d’une majorité d’écrivains, avait-il ajouté.

Une vente nécessaire à la survie même de l’UNEQ, selon un avocat

Selon Daniel Payette, avo‐ cat et membre de l’UNEQ qui a déjà travaillé avec l’Union sur divers dossiers, la liquida‐ tion de la Maison des écri‐ vains serait essentiell­e à la survie même de l’UNEQ, qui avec le financemen­t de ses nouvelles activités syndicales pourrait bientôt manquer de fonds pour acquitter les fac‐ tures liées au bâtiment.

L’UNEQ a acquis la Maison des écrivains en 1990 pour en‐ viron 335 000 $. Sa valeur est aujourd’hui estimée à 2,4 mil‐ lions de dollars. l’entièreté du bâtiment est payée, mais la facture pourrait bientôt grim‐ per en raison des taxes muni‐ cipales.

La Maison profite d’une exonératio­n fiscale pour ces taxes depuis 1997, qui est ré‐ évaluée tous les cinq ans sous une condition principale : que l’endroit demeure dédié à des manifestat­ions culturelle­s fré‐ quentées par le public en gé‐ néral. C’était le cas depuis 25 ans, mais le récent change‐ ment de vocation de l’UNEQ, qui agit maintenant à titre de syndicat officiel, pourrait lui faire perdre son privilège.

L’UNEQ depuis l’été dernier a une nouvelle mission, en vertu de la loi. [...] À partir de ce moment-là, elle a nécessai‐ rement besoin de nouveaux locaux, explique Daniel Payette. Si elle augmente son espace dans la Maison des écrivains, elle va perdre l’exo‐ nération fiscale. Avec les aug‐ mentations de taxes, [...] c’est au-delà de son budget.

L’UNEQ a confirmé par courriel les propos de Daniel Payette, estimant que les taxes foncières pourraient s’évaluer autour de 70 000 $ à 80 000 $ par année. Cela re‐ présentera­it entre 6 à 8 % de notre budget, et 35 à 40 % du total des cotisation­s an‐ nuelles des membres (selon les chiffres 2022).

Un joyau patrimonia­l et sentimenta­l

La Maison des écrivains s’inscrit depuis trente ans dans la vie culturelle de Mont‐ réal, et du Québec en général. Le bâtiment classé patrimo‐ nial est situé près du square Saint-Louis, à quelques pas de l’ancienne maison d’Émile Nel‐ ligan, et a été fréquenté ou habité par de nombreuses plumes du Québec, comme Gaston Miron, Pauline Julien, Michel Tremblay et tant d’autres.

Davantage qu’un siège so‐ cial pour l’UNEQ, c’était un lieu de promotion de la littératur­e québécoise et de défense des droits des écrivains et écri‐ vaines, qui accueillai­t réguliè‐ rement des conférence­s, des tables rondes, des lectures d'oeuvres, des lancements et des spectacles.

C’est une maison patrimo‐ niale, elle est symbolique‐ ment fondamenta­le pour les écrivains. [...] C’est un peu violent de décider de vendre la Maison des écrivains sans nous consulter en même temps que de créer un syndi‐ cat avec différente­s exigences, se désole la poète Diane Ré‐ gimbald, membre de l’UNEQ et secrétaire générale de l’Aca‐ démie des lettres du Québec.

Qu’est-ce qu’on peut faire pour la sauver? Elle appar‐ tient aux membres, pas à l’UNEQ. [...] Le CA est voté par les membres, il ne faut pas l’oublier, je trouve que c’est antidémocr­atique de fonc‐ tionner de la sorte, ajoute-telle, rejoignant les propos de Pierre Lavoie.

Jusqu’ici, l’UNEQ a refusé d’ajouter le sujet de la vente de la Maison des écrivains à l’ordre du jour de sa pro‐ chaine assemblée générale, au cours de laquelle les membres devront voter sur la question des cotisation­s syn‐ dicales en vue de l’adoption d’une première convention collective. L’UNEQ s’est donné jusqu’au printemps pour vendre le bâtiment.

Ce texte a été écrit à partir d'entrevues réalisées par Ca‐ therine Richer, chroniqueu­se culturelle à l'émission Le 1518. Les propos ont pu être édités à des fins de clarté ou de concision.

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