Radio-Canada Info

La guerre en Ukraine et les lacunes de l’armement canadien

- Louis Blouin

Un milliard de dollars en aide militaire à l’Ukraine en 2022 : le montant peut sembler considérab­le, mais des experts croient que la contributi­on canadienne est loin d’avoir atteint son plein potentiel depuis le début de la guerre.

Le bruit des lampes à sou‐ der résonne 24 heures sur 24 dans l’usine de blindés de l'en‐ treprise Roshel à Mississaug­a en Ontario. Le gouverneme­nt canadien vient de lui com‐ mander 200 véhicules pour équiper l’Ukraine.

Ici, le personnel compte environ 80 travailleu­rs ukrai‐ niens, récemment arrivés au Canada. Ils participen­t à l’ef‐ fort de guerre avec fierté, même à 8000 km du front. Je dois faire tout ce que je peux, nous explique un soudeur qui préfère taire son nom. Sa fa‐ mille est toujours dans son pays d’origine, où la guerre fait rage. C’est une façon d’ai‐ der mes parents, explique-t-il.

Ici, les gens sont très conscients du poids de la res‐ ponsabilit­é qui nous incombe, confie le président de Roshel, Roman Shimanov, c’est-à-dire de protéger les soldats ukrai‐ niens. Il peut sentir le senti‐ ment d’urgence en prove‐ nance du front. Il assure que les 200 véhicules seront livrés avant l’été.

Blindés, caméras pour équiper des drones, fusils de précision : Ottawa a signé des contrats avec plusieurs entre‐ prises canadienne­s pour équi‐ per l’armée ukrainienn­e. Tou‐ tefois, le Canada aurait pu en faire plus, selon des membres de l’industrie et des observa‐ teurs du milieu de la défense.

Commandes de matériel canadien pour équiper les Ukrainiens

62 caméras de drones (L3 HARRIS)

34 fusils de précision (Prai‐ rie Gun Works)

8 véhicules blindés com‐ merciaux (Roshel Corpora‐ tion)*

39 véhicules blindés de soutien au combat (General Dynamics Land Systems)

Source : Gouverneme­nt du Canada en date du 12 octobre 2022

* À ce nombre s’ajoutent les 200 annoncés le 18 janvier

2023

Des munitions pro‐ duites au Canada

En mai dernier, le grand patron des Forces armées, le général Wayne Eyre, a deman‐ dé à l’industrie canadienne de la défense d’être sur le pied de guerre. Depuis, la communau‐ té d’affaires attend toujours un signal clair.

Il faut être moins réactifs et plus stratégiqu­es, laisse tomber Christyn Cianfarani, présidente et directrice géné‐ rale de l'Associatio­n cana‐ dienne des industries de dé‐ fense et de sécurité.

Elle déplore le manque d’informatio­ns offert à l’indus‐ trie de la part du gouverne‐ ment fédéral à propos de son plan d’approvisio­nnement mi‐ litaire destiné à l’Ukraine.

Le pays compte plusieurs entreprise­s spécialisé­es prêtes à contribuer à l'effort de guerre. Certaines pro‐ duisent du matériel pour me‐ ner la guerre cybernétiq­ue, par exemple, fait remarquer Christyn Cianfarani.

Le Canada aurait aussi la capacité industriel­le de four‐ nir beaucoup plus de muni‐ tions à l’armée ukrainienn­e. Des usines installées au Qué‐ bec peuvent fabriquer des obus d’artillerie de 155 mm, fortement en demande sur le front. Pour l’instant, le Canada n’a donné que 27 000 obus aux Ukrainiens, dont 7000 ont été puisés dans l'inventaire canadien, le reste a dû être acheté aux Américains. De quoi fournir les soldats ukrai‐ niens pendant… 5 jours.

Pourtant, le gouverne‐ ment canadien tarde toujours à bonifier ses commandes de munitions de manière signifi‐ cative et à signer de nouvelles ententes d’approvisio­nne‐ ment à long terme.

L’industrie assiste à des an‐ nonces à la pièce du gouver‐ nement fédéral alors qu’elle s’attendait à une stratégie dé‐ taillée pour combler les be‐ soins des forces ukrainienn­es.

Nous aurions dû avoir ces discussion­s il y a six mois, un an.

Christyn Cianfarani, prési‐ dente et directrice générale de l'Associatio­n canadienne des industries de défense et de sécurité

Un inventaire négligé, le Canada en rattrapage

Le Canada n’a pas fait beaucoup en comparaiso­n avec ses alliés, déplore le lieu‐ tenant-général à la retraite et ex-député du gouverneme­nt Trudeau, Andrew Leslie. C'est le symptôme d’un problème plus large, croit-il.

Il estime que l’inventaire des Forces canadienne­s a été négligé ces dernières années par Ottawa. Selon ses calculs, 15 milliards de dollars du bud‐ get de la défense n’ont tout simplement pas été dépensés depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux. Le résultat : on ne peut pas envoyer des équi‐ pements modernes à l’Ukraine et on manque aussi pour les capacités essentiell­es de nos forces, explique-t-il.

Les besoins pressants de l’Ukraine révèlent des failles. L’armée canadienne est à court de certaines armes stra‐ tégiques et doit se tourner de manière urgente vers d’autres pays pour s’en procurer. La semaine dernière, le Canada a annoncé l’achat aux Améri‐ cains d’un système de dé‐ fense antiaérien­ne destiné à l’Ukraine d’une valeur de 406 millions de dollars. Un type d’armes absent de l’arse‐ nal canadien depuis des an‐ nées, malgré les appels répé‐ tés de hauts dirigeants mili‐ taires.

Si les Américains n’étaient pas là, s’ils n’avaient pas leur grand inventaire et la volonté de faire de grandes contribu‐ tions, l’Ukraine serait fichue, estime Andrew Leslie.

À ses yeux, c’est tout le système d’approvisio­nne‐ ment militaire qui doit être re‐ vu au Canada.

Le système est vraiment cassé. On a besoin du leader‐ ship du premier ministre.

Andrew Leslie, lieutenant général à la retraite

Appelé à réagir à ces cri‐ tiques mercredi, Justin Tru‐ deau semblait admettre du bout des lèvres que le Canada doit investir davantage. On doit être prêts pour pouvoir aider dans un monde de plus en plus instable. Pour ça, on va continuer d’investir dans nos Forces armées, a-t-il dé‐ claré tout en soulignant la gé‐ nérosité de la contributi­on ca‐ nadienne jusqu’ici.

À l’usine Roshel, les tra‐ vailleurs ukrainiens n’ont qu’une chose en tête. Je veux gagner la guerre, déclare le soudeur à qui nous avons parlé.

Il espère que son ardeur au travail puisse servir d’inspi‐ ration et peut-être inciter le Canada à en faire plus pour ai‐ der son pays.

Avec la collaborat­ion de Marie Chabot-Johnson

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