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2500 plaintes de fonctionna­ires canadiens pour du travail donné à des consultant­s

- Thomas Gerbet

« Dérive », « exagératio­n », « gaspillage »... Les syndi‐ cats de fonctionna­ires fé‐ déraux témoignent à Ra‐ dio-Canada de leur inquié‐ tude, alors qu'ils constatent que les contrats octroyés à des firmes externes de consul‐ tants comme McKinsey sont en forte croissance depuis l'arrivée au pouvoir du gouverneme­nt Tru‐ deau.

On est déçus, dit la prési‐ dente de l'Institut profession‐ nel de la fonction publique du Canada (IPFPC), Jennifer Carr, qui représente 57 000 fonc‐ tionnaires. Ça nous inquiète.

Son syndicat dénombre plus de 2500 griefs en cours, directemen­t liés à la sous-trai‐ tance de consultant­s en tech‐ nologies de l'informatio­n (TI).

Au fédéral, les employés en TI ont une clause dans leur contrat de travail qui leur per‐ met de dénoncer par grief un sous-traitant qui fait leur tra‐ vail.

La sous-traitance entraîne une hausse de coûts, une baisse de qualité de services, un manque de transparen­ce et de responsabi­lisation ainsi qu'une perte de connais‐ sances et de compétence­s institutio­nnelles.

Jennifer Carr, présidente de l'Institut profession­nel de la santé publique

La présidente du syndicat, qui représente aussi des pro‐ fessionnel­s en services de santé, des ingénieurs de la fonction publique et des em‐ ployés de Revenu Canada, ai‐ merait que le gouverneme­nt adopte une politique d'em‐ bauche moderne, pour rendre plus facile le recours aux fonctionna­ires.

En ce moment, il est tout simplement plus facile pour les gestionnai­res d'embau‐ cher des contractue­ls, au lieu de pourvoir les postes, pense Jennifer Carr.

Croissance fulgurante du recours aux consultant­s privés

Entre 2017, le gouverne‐ ment libéral de Justin Trudeau a octroyé 111 millions de dol‐ lars à six grandes firmes de consultant­s, dont McKinsey, Deloitte et Accenture. En 2021, c'était 272 millions $, soit une augmentati­on de 245 %, révèle une étude me‐ née à l'Université Carleton d'Ottawa.

McKinsey est la firme qui a connu la croissance la plus forte des contrats, mais elle est loin d'être la firme qui a re‐ çu le plus d'argent d'Ottawa, a démontré la chercheuse en politique publique et adminis‐ tration, Amanda Clarke.

Ça nous interpelle, dit le président par intérim de l’As‐ sociation canadienne des em‐ ployés profession­nels (ACEP), André Picotte, qui représente 23 000 fonctionna­ires fédé‐ raux, surtout des traducteur­s et des économiste­s.

Même s'il reconnaît que le recours aux consultant­s peut être justifié lorsque l'expertise interne n'est pas suffisante, il s'inquiète de constater la pré‐ sence de sous-traitants fai‐ sant le même travail que des fonctionna­ires.

Il y a une tendance du gouverneme­nt à aller vers l'extérieur. On a l'impression, des fois, qu'ils ont plus confiance dans les consul‐ tants de l'extérieur qu'en leurs propres employés.

André Picotte, président par intérim de l'Associatio­n canadienne des employés profession­nels

Lui-même traducteur pour le gouverneme­nt fédéral, An‐ dré Picotte donne l'exemple du recours à des pigistes en traduction : ça pose des pro‐ blèmes, car souvent, leur tra‐ vail n'atteint pas la qualité exi‐ gée par le bureau, ce qui force l'interventi­on de nos révi‐ seurs.

Il décrit une exagératio­n, actuelleme­nt, du recours à la pige et craint une dérive.

Son syndicat rêve d'une étude comparativ­e des coûts de l'externalis­ation par rap‐ port au coût de recourir à des fonctionna­ires.

Nous croyions qu'une telle étude prouverait qu'il est plus

économique de recourir aux ressources internes.

André Picotte, président par intérim de l'Associatio­n canadienne des employés profession­nels

Un nombre de fonction‐ naires en hausse

On pourrait s'étonner que le recours aux consultant­s ex‐ ternes augmente, alors que dans le même temps, le nombre de fonctionna­ires à l'embauche du gouverne‐ ment est lui aussi en forte hausse. André Picotte y voit une explicatio­n plus politique.

[Les politicien­s] savent qu'ils vont obtenir un certain résultat qui correspond à leurs attentes, alors que les fonctionna­ires fédéraux sont plus objectifs et les résultats de leurs travaux ne corres‐ pondent pas toujours à ce que le gouverneme­nt pense, dit-il.

André Picotte se rappelle que lorsque Justin Trudeau courtisait le vote des fonc‐ tionnaires, en 2015, le parti li‐ béral avait promis de réduire les dépenses en matière d'ex‐ perts-conseils.

Lors de la première jour‐ née de la commission parle‐ mentaire sur les contrats oc‐ troyés à McKinsey, mercredi, une députée du Bloc québé‐ cois s'est inquiétée pour le sort des fonctionna­ires : estce qu’on n’a pas l’expertise à l’interne? Si on ne l’a pas, pourquoi? Et si on l’a, pour‐ quoi on ne l’utilise pas?

Il n'y a rien de plus démoti‐ vant pour un employé que d'avoir l'impression que son travail n'est pas reconnu.

Julie Vignola, députée du Bloc québécois et vice-prési‐ dente du Comité des opéra‐ tions gouverneme­ntales

Mercredi, le premier mi‐ nistre Justin Trudeau a expli‐ qué qu'en parallèle de la com‐ mission parlementa­ire, une analyse des contrats octroyés à McKinsey est en cours, pour s'assurer que chaque dollar investi l'a été de la bonne fa‐ çon et que les Canadiens en ont eu pour leur argent.

Le Secrétaria­t du Conseil du Trésor du Canada nous a aussi expliqué que l’acquisi‐ tion de services profession‐ nels permet au gouverne‐ ment de compléter le travail des fonctionna­ires en faisant l’acquisitio­n d’expertises parti‐ culières et de faire face aux fluctuatio­ns de la charge de travail.

Selon le porte-parole Mar‐ tin Potvin, un contrat octroyé à un fournisseu­r comme McKinsey peut aussi contri‐ buer à combler les pénuries dans certains groupes d’em‐ ploi et dans des lieux géogra‐ phiques précis en vue de maintenir les opérations.

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