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Raymond Bachand a eu une rencontre secrète avec deux leaders étudiants en mai 2012

- Gérald Fillion

Le passage de Raymond Ba‐ chand aux Finances, de 2009 à 2012, a été marqué par l’introducti­on contro‐ versée de la contributi­on santé et l’annonce de la hausse de 75 % sur 5 ans des droits de scolarité. Un mandat tumultueux dont l’ex-ministre se souvient avec beaucoup d’émotion, encore aujourd’hui.

Moi, je suis contre l’austéri‐ té, dit Raymond Bachand dans le cadre de notre série spéciale Dans la peau du mi‐ nistre des Finances du balado économique Question d’inté‐ rêt, sur l’applicatio­n Ohdio.

Mon ADN vient du Fonds de solidarité FTQ, soutient l’ex-ministre. Ce n’est pas vrai que tu mets du monde à pied, que tu baisses les salaires du monde. Tu as une mission de services publics qu’il faut maintenir, particuliè­rement en santé, en éducation, en culture et dans les garderies à l’époque. […] Mais les revenus sont plus petits que les dé‐ penses.

Avec le vieillisse­ment de la population, le gouverneme­nt de Jean Charest veut faire mi‐ grer les investisse­ments vers les soins à domicile. Pour y ar‐ river, et pour maintenir un ni‐ veau de 5 % de croissance du budget de la santé, le ministre Bachand affirme qu’il doit trouver 1 milliard de dollars. Avec les fonctionna­ires, ils ar‐ rivent à la solution d’une contributi­on santé de 200 $ par personne, par année, pen‐ dant 5 ans.

Raymond Bachand affirme qu’il aurait dû adopter une contributi­on progressiv­e, et non fixe, pour la presque to‐ talité des contribuab­les.

Il était tellement fort, le mécontente­ment, que lors de l’élection qui a suivi, je monte les marches d’une église pour aller saluer les gens – les bu‐ reaux de vote sont là – et je vois un bon collaborat­eur qui sort et qui baisse les yeux. Je lui dis bonjour et il me dit : "Tu sais, Raymond, moi je n’ac‐ cepte pas de payer 200 piasses." C’était une riche personne d’Outremont, pour‐ tant!

Raymond Bachand, mi‐ nistre des Finances du Qué‐ bec de 2009 à 2012

La crise étudiante… et la rencontre qui n’a pas existé

Dans le cadre de son se‐ cond budget, présenté en mars 2011, Raymond Ba‐ chand annonce une hausse des droits de scolarité de 75 % sur 5 ans, de 1625 $ au total. Il affirme qu’il ne s’attendait ab‐ solument pas au soulève‐ ment étudiant de 2012 au moment d’annoncer sa hausse, qui a pour but d’aug‐ menter le financemen­t des université­s.

Le débat sur la pertinence de cette hausse a été fait à maintes reprises. Du point de vue de Raymond Bachand, toutefois, la blessure est en‐ core vive. Quand on parle des manifestat­ions qui ont mar‐ qué le printemps 2012, sa voix s’étouffe.

Il se rappelle une manifes‐ tation à son bureau de mi‐ nistre des Finances, à Mont‐ réal. Les casseurs arrivent avec des barres de fer. […] L’escouade antiémeute m’a lit‐ téralement pris, mis dans l’as‐ censeur, sorti par le sous-sol, c’était rocamboles­que. Mais la réceptionn­iste, qui a essayé de résister à l’ouverture de la porte, s’est fait casser un bras. Alors moi, la violence, je n’ac‐ cepte pas ça.

Quand tu te rends compte qu’avec ton garde du corps, il y en a un deuxième qui est à l’entraîneme­nt. Et un moment donné, il y a une deuxième auto qui te suit. Et un mo‐ ment donné, tu en as quatre! Et un moment donné, on te dit : "Ta femme ne devrait peut-être pas coucher à la maison." Non… ce n’est pas bien. Tu fais de la politique pour servir le public, pour ai‐ der. On peut être en désac‐ cord sur tout. Mais les me‐ naces personnell­es, ça n’a pas de bon sens.

Raymond Bachand nous apprend qu’une rencontre se‐ crète a eu lieu entre lui et deux des leaders étudiants en mai 2012.

Ça va être le scoop que je gardais pour mes mémoires : j’ai rencontré à Québec Léo Bureau-Blouin et Martine Des‐ jardins. On a passé quatre heures ensemble, si ce n’est pas cinq, un après-midi. […] On a eu une entente, on a eu un deal, d’une rencontre qui n’a jamais existé. On a conve‐ nu que la rencontre n’existait pas. Eux, ils ne voulaient pas se faire lyncher. Léo BureauBlou­in était sous protection de la SQ parce qu’il était me‐ nacé aussi par les casseurs, souligne M. Bachand.

Et à minuit, ils ont appelé le cabinet de Line Beauchamp en disant : "On est d’accord nous deux, mais Gabriel Na‐ deau-Dubois et son associa‐ tion sont contre. Alors, on ne fera rien et l’entente n’existe pas." Et c’est là que tu réalises que, malgré tout le dialogue possible, il n’y aura pas d’en‐ tente.

Raymond Bachand, mi‐ nistre des Finances du Qué‐ bec de 2009 à 2012

L’ancien ministre garde un goût amer de cette période alors qu’il cherchait, disait-il, à préserver le financemen­t de la santé et des université­s, sans augmenter les impôts, tout en contrôlant les fi‐ nances publiques.

Finalement, la contribu‐ tion santé a été modulée par le Parti québécois qui a pris le pouvoir en septembre 2012, puis abandonnée en 2017 par les libéraux de Philippe Couillard. Et la hausse des droits de scolarité a été annu‐ lée par Pauline Marois.

Dans la peau du ministre des Finances

Écoutez nos entrevues de la série spéciale Dans la peau du ministre des Finances

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