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Le retour du mauvais film sur le plafond de la dette américaine

- Frédéric Arnould

Saviez-vous que les ÉtatsUnis ont atteint au‐ jourd’hui le plafond de la dette fédérale, soit la jolie somme de 31 381 milliards de dollars américains? En‐ core une fois, le film où les élus se font peur à cause de ce plafond recom‐ mence. Les acteurs changent, mais le même mauvais scénario de‐ meure, au risque de plon‐ ger le pays dans une crise économique sans précé‐ dent.

En ce mois de janvier, lors‐ qu’on reçoit les comptes de cartes de crédit, on fronce les sourcils, mais on essaie de payer le solde le plus vite pos‐ sible pour s’acquitter de cette dette. Une décision logique qui permet d'éviter des consé‐ quences plus fâcheuses.

Aux États-Unis, sous le lea‐ dership de Kevin McCarthy, les républicai­ns du Congrès estiment qu’il n’est pas ques‐ tion de relever une nouvelle fois le plafond de la dette, du moins sans couper de façon draconienn­e dans les dé‐ penses gouverneme­ntales et dans les programmes sociaux.

Il a d’ailleurs récemment utilisé l’analogie de la carte de crédit pour parler du plafond de la dette américaine. Si vous donnez une carte de crédit à votre enfant et qu’il a atteint le plafond des retraits autori‐ sés, est-ce que vous augmen‐ tez sa capacité d’emprunt ou vous lui demandez de chan‐ ger sa façon de faire?

Une analogie fallacieus­e puisque, en fait, ce que M. Mc‐ Carthy préconise ici, c’est de ne pas payer ce qui a déjà été acheté grâce à la carte de cré‐ dit et qui a déjà été autorisé par les parents de l’enfant. Donc, si on transpose cela sur le plafond de la dette, refuser de le relever équivaut à ne pas payer des dépenses déjà approuvées.

Cette fausse équivalenc­e est évidemment très ven‐ deuse politiquem­ent, surtout depuis que Kevin McCarthy a fait des promesses aux membres de l'aile ultraconse­r‐ vatrice du Parti républicai­n en échange de leurs votes pour qu'il soit élu président de la Chambre des représenta­nts.

Un vieux problème

Le spectre de ce fameux plafond resurgit tout le temps et cause chaque fois des re‐ mous au sein du Congrès américain, qui devient alors le terrain d’une bataille politique à ce sujet.

Qu'est-ce que le plafond de la dette? C’est la limite lé‐ gale du montant total de la dette fédérale que le gouver‐ nement peut accumuler.

En fait, c’est en 1917, avant la Première Guerre mondiale, que le Congrès a décidé d’ap‐ prouver chaque émission d’obligation­s des administra‐ tions américaine­s. À l’époque, cette limite imposée sur la dette permettait de financer l’effort de guerre sans avoir besoin d’une série perpétuell­e de votes. Mais depuis, cette mesure est devenue une pomme de discorde entre po‐ liticiens élus.

Habituelle­ment, tant sous des présidents républicai­ns que sous des présidents dé‐ mocrates, le Congrès s’entend pour relever ce fameux pla‐ fond de la dette. D’ailleurs, de‐ puis les années 1960, ce pla‐ fond a été relevé plus de 70 fois sans vraiment avoir dû passer par des crises ma‐ jeures.

Un plafond sans cesse relevé

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Congrès et le président ont modifié le plafond de la dette une centaine de fois. Au cours des années 1980, le plafond de la dette est passé de moins de 1000 milliards à près de 3000 milliards de dollars amé‐ ricains. Ce montant a ensuite doublé au cours des an‐ nées 1990 et des années 2000. Il dépasse aujourd’hui les 31 000 milliards de dollars.

Sous Barack Obama, la loi sur le contrôle budgétaire de 2011 a automatiqu­ement relevé le plafond de la dette de 900 milliards de dollars américains. Depuis fé‐ vrier 2013, les législateu­rs ont suspendu la limite de la dette, plutôt que de la relever d'un montant spécifique, à sept re‐ prises. Plus récemment, la li‐ mite de la dette a été aug‐ mentée dans un projet de loi de décembre 2021 qui a offi‐ ciellement porté le plafond à sa limite actuelle de 31 381 milliards de dollars.

Est-ce que les démo‐ crates auraient pu éviter le problème?

Lorsqu'ils contrôlaie­nt les deux chambres du Congrès, de janvier 2021 à janvier 2023, les élus démocrates ont discu‐ té de la possibilit­é d'utiliser ce qu'on appelle le processus de réconcilia­tion budgétaire pour relever le plafond de la dette.

Cependant, la MaisonBlan­che a abandonné tout es‐ poir, car les chances d'obtenir des votes républicai­ns et de disposer des 50 votes démo‐ crates au Sénat étaient quasi nulles pour une adoption par réconcilia­tion.

Pourquoi un plafond?

Les États-Unis empruntent des sommes colossales d'ar‐ gent en vendant des obliga‐ tions du Trésor à des investis‐ seurs du monde entier et uti‐ lisent ces fonds pour… payer les obligation­s financière­s existantes. Cela inclut les sa‐ laires des militaires, les presta‐ tions du filet de sécurité so‐ ciale et… les intérêts de la dette nationale.

Qu’arrive-t-il une fois le plafond atteint?

À moins que les élus du Congrès ne s'entendent pour le relever, il faut alors prendre des mesures extraordin­aires, c'est-à-dire trouver des façons de contourner le problème de façon comptable. Ce que pro‐ pose Janet Yellen, la secrétaire au Trésor américain, c’est de prioriser le paiement de cer‐ taines obligation­s financière­s et d’en laisser tomber d'autres.

Dans ce cas-ci, le gouver‐ nement suspendra d’abord temporaire­ment les paie‐ ments aux fonds de retraite, d’invalidité et de santé des employés fédéraux et cessera ensuite temporaire­ment de réinvestir des obligation­s d’État arrivant à échéance dans les comptes d'épargne retraite des fonctionna­ires. Tout cela devrait permettre de continuer à financer les ac‐ tivités gouverneme­ntales jus‐ qu'au mois de juin prochain.

Il faut savoir que les secré‐ taires au Trésor de toutes les administra­tions ont utilisé ces mesures extraordin­aires au moins 16 fois depuis 1985.

Et après?

Si les mesures de contour‐ nement ont toutes été épui‐ sées et si les élus du Congrès ne se sont pas entendus pour relever le plafond de la dette, le pays se retrouvera alors en défaut de paiement.

Cela pourrait se traduire par des pertes colossales d’emplois, par une récession à impact mondial et par des taux d’intérêt plus élevés qui compliquer­aient davantage la gestion de… la dette fédérale.

En outre, un défaut réel de paiement par les États-Unis pourrait signifier que les in‐ vestisseur­s finissent par avoir perdu confiance dans les paiements futurs sur la dette américaine.

Le défaut de paiement estil possible? Oui, mais les ÉtatsUnis n'ont jamais manqué in‐ tentionnel­lement à leurs obli‐ gations en raison du plafond de la dette.

Comme le Danemark?

Le Danemark est le seul autre pays à s’être doté d’un plafond de la dette, dans les années 1990, à titre de déro‐ gation constituti­onnelle pour permettre le transfert des res‐ ponsabilit­és quotidienn­es de la dette nationale du minis‐ tère des Finances à la banque centrale indépendan­te du Da‐ nemark.

Toutefois, ce plafond a été fixé de manière si élevée qu’il ne devrait probableme­nt (en principe) jamais être atteint. Avoir inscrit ce plafond dans une loi n'a donc eu aucun im‐ pact politique puisque les po‐ liticiens danois ont créé un seuil trop élevé pour donner lieu à un débat constant.

Un combat de coqs amé‐ ricains

Dans le contexte actuel, les républicai­ns demandent des réductions potentiell­es de dé‐ penses en échange d’un relè‐ vement de la limite de la dette. Réponse de la MaisonBlan­che : c’est une prise en otage de l'économie améri‐ caine, donc pas question.

Joe Biden refuse en effet de lier des réductions de dé‐ penses au relèvement de ce fameux plafond. Résultat : l’impasse va perdurer.

En attendant, le scénario de peur et de menace conti‐ nue de défiler sur la scène po‐ litique, au gré des chantages en coulisses et des coups de théâtre devant un parterre de spectateur­s (les Américains) qui ont le plus à perdre dans ce drame politique.

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