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Nouvel An « Chinois », quand l’intérêt des marques se transforme en faux pas

- Julien Sahuquillo

De nombreuses commu‐ nautés asiatiques, dont la communauté chinoise, cé‐ lèbrent cette fin de se‐ maine le Nouvel An lu‐ naire. À l’instar de Noël ou la Saint-Valentin, de plus en plus d’enseignes pro‐ posent des produits et des offres commercial­es à cette période de l’année. Toutefois, pour certains membres des communau‐ tés asiatiques, l’approche manque de tact et s’appa‐ rente davantage à un coup marketing qu’à un véri‐ table intérêt pour cette cé‐ lébration.

Dans Toronto,

il suffit de se promener au centre-ville pour voir fleurir dans les vi‐ trines de nombreux maga‐ sins, comme la Baie d’Hudson, des décoration­s rouge et or en hommage au Nouvel An lunaire. D'autres entreprise­s comme Herschel ou Holt Ren‐ frew ont créé des collection­s de produits spécialeme­nt pour cette occasion.

Si vous m’aviez posé la question il y a sept ou huit ans, j’en aurai été très heu‐ reuse parce qu’on manquait tellement de représenta­tion positive de la communauté asiatique, reconnaît Madelyn Chung, la fondatrice de Re‐ present Asian Project.

Pour elle, l’engouement de ces dernières années et de plus en plus éloigné des va‐ leurs de la fête.

On voit les grandes marques tirer profit d’une fête très importante pour beau‐ coup de communauté­s asia‐ tiques. On voit ça pendant la journée de la fierté, la journée de la terre. Le rainbow wa‐ shing et l’écoblanchi­ment. Je ne pense pas que c’est très différent, estime-t-elle.

Le Nouvel An lunaire, qui est parfois appelé Nouvel An chinois tant il est important en Chine, est en réalité fêté par de nombreuses autres communauté­s : coréenne, malaisienn­e ou encore vietna‐ mienne.

Madelyn Chung observe que les marques de luxe ont été les premières à se lancer dans ce marché de produits pour le Nouvel An lunaire, avec des offres destinées à une diaspora chinoise particu‐ lièrement bien nantie.

Avant c’était plutôt les marques de luxe, mais main‐

tenant tout le monde s’y met.

Madelyn Chung, la fonda‐ trice de Represent Asian Pro‐ ject

Madelyn Chung estime que de nos jours, presque toutes les grandes enseignes s’y mettent, sans forcément comprendre cette célébra‐ tion.

L’autre jour j’ai vu un t-shirt Playboy avec [une version spéciale du] lapin parce que c’est l’année du lapin. Une autre fois chez Shoppers, il avait des brosses kabuki en rouge et or, alors que c’est ja‐ ponais et que les Japonais ne fêtent pas le Nouvel An lu‐ naire, s’indigne-t-elle.

Faire un comprendre cette fête effort pour le sens de

Madelyn Chung ne met toutefois pas tout le monde dans le même panier et re‐ connaît que certaines marques font un effort louable.

On voit de plus en plus de marques, qui font au moins le minimum en ayant recours à des collaborat­eurs asiatiques et des artistes asiatiques. Johnny Walker avec le Blue La‐ bel a fait appel à l’artiste Angel Chen pour créer une éti‐ quette spéciale. Ariztia s’est associé à quatre artistes d’ori‐ gine chinoise pour créer quatre chandails, donne-t-elle en exemple.

Zila Li, connue sous le nom de Eirlysie, est la seule artiste sino-canadienne à qui Aritzia a fait appel. Arrivée au Canada à l’âge de quatre ans avec ses parents, l’artiste de 20 ans au‐ jourd’hui est ravie de voir sa culture davantage représen‐ tée.

J’ai grandi au Canada et personne ne parlait du Nou‐ vel An lunaire excepté ma fa‐ mille et nos amis d’origine chi‐ noise. Aritzia a pris le temps de nous poser quelques ques‐ tions pour savoir ce que le Nouvel An lunaire signifiait pour nous et l’a postée sur le site internet, raconte-t-elle.

Encore étonnée d’avoir été choisie, Zila Li pense que la marque l’a remarquée grâce à ses publicatio­ns sur Tik Tok. Elle est ravie d’avoir eu carte blanche pour créer son des‐ sin.

Je voulais montrer aux gens des vêtements chinois traditionn­els comme les han‐ fu (ndlr: vêtement tradition‐ nel de la dynastie Han), ex‐ plique-t-elle.

Je me sens honorée que des gens puissent porter mon travail.

Zila Li, artiste indépen‐ dante

De son côté, la Baie d’Hud‐ son n’a pas été en mesure de nous accorder une entrevue, mais précise dans un message son choix de mettre en avant le Nouvel An lunaire.

Tout au long de l’année, nous célébrons et soutenons les diverses communauté­s qui reflètent nos clients et nos collaborat­eurs. Cela inclut la célébratio­n de ces occa‐ sions, ainsi que la représenta‐ tion dans les marques dans lesquelles nous investisso­ns et les produits que nous ven‐ dons, précise le message.

Revenir aux valeurs de la fête et la partager

Madelyn Chung estime que célébrer le Nouvel An lu‐ naire devrait aller au-delà d’apposer des motifs de bam‐ bous, du rouge et de l’or et le signe du zodiaque de l’année sur des produits.

Le Nouvel An lunaire est le début du festival de prin‐ temps qui dure 15 jours. C’est un moment important pour les communauté­s qui les cé‐ lèbrent parce qu’on se ras‐ semble en famille.

Madelyn Chung, la fonda‐ trice de Represent Asian Pro‐ ject

Elle aimerait que ce soit un moment d’échange et de par‐ tage des différente­s traditions et superstiti­ons.

Par exemple, il faut net‐ toyer votre maison avant le jour de la nouvelle année pour s’assurer de faire sortir toute la malchance de l’année précédente. Mais le jour de la nouvelle année, il ne faut pas nettoyer la maison au risque de faire sortir la bonne for‐ tune qui s’y est installée, donne-t-elle en exemple.

Elle ajoute qu’une des tra‐ ditions consiste aussi à ache‐ ter un nouvel habit pour sym‐ boliser le renouveau.

Le Nouvel An lunaire est aussi un moment touristiqu­e important pour Toronto, in‐ dique la gestionnai­re des communicat­ions de Destina‐ tion Toronto.

Avant la pandémie, la Chine était notre premier marché en ce qui concerne les visites, indique-t-elle.

Même si les Chinois peuvent à nouveau voyager, elle dit ne pas encore voir de reprise. Elle estime toutefois qu’avec les nombreux quar‐ tiers chinois et l’importante communauté asiatique à To‐ ronto, le marché local pour cette fête est bien présent.

Il y a une certaine authen‐ ticité à Toronto et beaucoup d’entreprise­s veulent partici‐ per au Nouvel An lunaire. Il y a peut-être un peu plus de sensibilis­ation autour du Nouvel An lunaire, mais on a toujours vu une forte partici‐ pation, conclut-elle.

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