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La relation franco-allemande à la recherche d’un nouveau souffle

- Raphaël Bouvier-Auclair

« C’est vrai que la relation, l’entente, on va dire l’har‐ monie, s’est dégradée. » C’est le constat que fait Hé‐ lène Miard-Delacroix, spé‐ cialiste de l’Allemagne contempora­ine et profes‐ seure à l’Université ParisSorbo­nne, pour décrire l’état de la relation entre les deux pays les plus peu‐ plés de l’Union euro‐ péenne.

Ce fameux couple francoalle­mand, parfois considéré comme le moteur de l’Europe, est-il en froid? Chose certaine, les agacements de part et d'autre n’ont pas échappé à la presse ces derniers temps.

Rhin ne va plus, a ainsi ti‐ tré en octobre le journal fran‐ çais Libération, en référence au fleuve qui sépare les deux pays, pour évoquer le report d’un conseil des ministres mixte, tradition répétée à plus de 20 reprises entre les gou‐ vernements français et alle‐ mand. Ce sommet a finale‐ ment lieu ce dimanche.

C’est vrai qu’il y a eu un certain nombre de pannes, un certain nombre de couacs entre Paris et Berlin sur des sujets qui sont précisémen­t ceux où on n'est pas tout à fait sur la même ligne et avec des traditions différente­s.

Hélène Miard-Delacroix, professeur­e à l’Université Pa‐ ris-Sorbonne

L’experte ajoute ainsi que quand Olaf Scholz a annoncé en septembre un plan d’inves‐ tissement de 200 milliards d’euros, une stratégie qui a suscité des craintes chez cer‐ tains partenaire­s européens, dont la France, le chancelier n’avait pas même informé son voisin français.

Des désaccords entre Paris et Berlin ont par ailleurs été exposés au grand jour cet au‐ tomne, lors de négociatio­ns autour d’une propositio­n eu‐ ropéenne de plafonneme­nt des prix du gaz.

Des différends de longue date

Claire Demesmay, cher‐ cheuse au Centre Marc Bloch de Berlin, explique que la rela‐ tion entre les deux pays a toujours été marquée par des approches différente­s dans certains domaines cruciaux, notamment la défense.

Selon elle, on trouve d’un côté une France qui a cette ambition d’avoir une souve‐ raineté en matière de dé‐ fense, qui aimerait dévelop‐ per une Europe de la défense, et de l’autre une Allemagne qui, elle, confie sa défense et sa sécurité depuis des années aux États-Unis.

Idem en ce qui concerne l'énergie : Paris a en grande partie orienté sa stratégie au‐ tour du nucléaire, alors que Berlin a davantage misé sur les énergies renouvelab­les et le gaz russe.

De l’avis de Claire Demes‐ may, l’invasion russe de l’Ukraine, qui a poussé l’Alle‐ magne à revoir ses stratégies en matière de défense et d’énergie, a contribué à ali‐ menter certaines incompré‐ hensions de part et d’autre du Rhin.

La France et l'Allemagne réussissen­t parce qu'elles font des compromis à partir d'inté‐ rêts différents, à partir de mo‐ dèles différents. À partir du moment où l'Allemagne ellemême est en train de repen‐ ser son modèle, là, ça devient compliqué, explique-t-elle.

De politique nationale à politique internatio­nale

Selon la chercheuse au Centre Marc Bloch, la dyna‐ mique politique interne au sein du gouverneme­nt alle‐ mand peut également avoir contribué à la complicati­on des relations avec le parte‐ naire français.

Le chancelier Scholz est à la tête d’une coalition formée de trois partis : son Parti so‐ cial-démocrate, le Parti vert et le Parti libéral. Ces trois for‐ mations ont parfois des avis divergents qui ralentisse­nt la prise de décision.

L’exemple le plus récent est le débat autour de l’envoi de chars d’assaut de fabrica‐ tion allemande en Ukraine, ce à quoi le gouverneme­nt alle‐ mand n’a toujours pas donné son feu vert.

Dans ce dossier, la forma‐ tion du chancelier s’oppose à l’idée d’autoriser l’achemine‐ ment de blindés lourds, alors que des élus des autres partis au sein de sa coalition y sont favorables.

Le fait que cette coalition ne soit pas elle-même tou‐ jours sur une position claire et univoque complique évidem‐ ment les choses, ensuite, pour aller en négociatio­n avec la France ou avec d'autres partenaire­s.

Claire Demesmay, cher‐ cheuse au Centre Marc Bloch

C’est donc avec différents membres de son gouverne‐ ment que le chancelier Scholz visite Paris dimanche, non seulement pour participer à un conseil des ministres mixte, mais aussi pour souli‐ gner le 60e anniversai­re du traité de l’Élysée, qui, en 1963, avait scellé la réconcilia­tion entre la France et l’Allemagne.

Cet anniversai­re survient alors qu’un sondage mené ré‐ cemment par la maison Ipsos montre que 39 % des Français et 40 % des Allemands es‐ timent que la relation entre les deux pays s’est détériorée.

La grande majorité des ci‐ toyens des deux pays jugent néanmoins qu’un moteur franco-allemand est toujours nécessaire pour l’Union euro‐ péenne.

Une fois sa relation réta‐ blie, le couple franco-alle‐ mand devra peut-être, parmi ses principaux défis, convaincre ses autres parte‐ naires européens qu’il joue toujours un rôle aussi crucial à l’échelle continenta­le.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, certains, particuliè­rement dans les États baltes ou en Europe centrale, n’hésitent pas à criti‐ quer des prises de position, des décisions ou des hésita‐ tions venues de Berlin ou de Paris.

L’exercice de thérapie au‐ quel se prêtent aujourd’hui la France et l’Allemagne devra peut-être être élargi.

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