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Médicament­s : prescrire moins est-ce prescrire mieux?

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« Elle reprend goût à la vie! », « Vous l’avez ressus‐ citée »… Voici quelquesun­s des commentair­es re‐ cueillis à la suite d’un pro‐ jet-pilote visant à alléger la liste des médicament­s prescrits à des aînés de la Capitale-Nationale en 2017. Face à son succès, l’initia‐ tive sera étendue à l’en‐ semble des CHSLD et des maisons des aînés de la province.

Au Canada, les trois quarts des personnes âgées de plus de 65 ans prendraien­t plus de cinq médicament­s, et le quart en prendrait plus de dix, selon l’Institut canadien d’informa‐ tion sur la santé. Ces médica‐ ments peuvent entraîner d'importants effets secon‐ daires et, dans bien des cas, le remède devient pire que le mal.

Nonagénair­e, Louise Thé‐ riault prenait une vingtaine de pilules par jour, en plus de deux piqûres quotidienn­es, raconte sa fille Esterina Pal‐ mieri, qui l'a conduite plu‐ sieurs fois à l'hôpital à cause d'une pression artérielle trop élevée.

Une demande de révision de médicament­s de la part d'un gériatre a changé la vie de Mme Thériault. Je vais mieux, c'est plus contrôlé, confie-telle avec soulage‐ ment.

Un médicament peut être justifié à un moment de la vie et ne plus l'être à un autre, pour des tas de raisons, ex‐ plique Linda Vaillant, direc‐ trice générale de l'Associatio­n des pharmacien­s des établis‐ sements de santé du Québec.

Dans la cinquantai­ne, des maladies chroniques peuvent se développer et pour les‐ quelles des médicament­s sont alors prescrits, poursuit Mme Vaillant.

Mi- soixantain­e, on perd de la masse musculaire, les reins et le foie fonctionne­nt moins bien, on oublie de changer les doses [...], des ef‐ fets secondaire­s s’installent, et le réflexe c’est alors de don‐ ner un autre médicament pour les contrer.

Linda Vaillant cite aussi l'exemple des médicament­s contre le cholestéro­l. À 65 ans, ils sont très pertinents pour éviter infarctus et AVC […] mais à 90 ans, il faut se poser la question avec les douleurs musculaire­s qui nécessiten­t des analgésiqu­es. On peut alors plutôt enlever les anal‐ gésiques et les médicament­s contre le cholestéro­l parce qu’il n’y a plus l’effet qu’on souhaitait avoir à 65 ans.

Hausse des effets indési‐ rables

Le gériatre Quoc Dinh Nguyen, épidémiolo­giste et chercheur au Centre hospita‐ lier de l’Université de Mont‐ réal (CHUM), invite lui aussi les patients aînés à faire ré‐ évaluer la liste de leurs médi‐ caments, car certains traite‐ ments peuvent devenir plus délétères que bénéfiques.

Plus le nombre de médica‐ ments prescrits augmente, plus les risques d’interactio­ns médicament­euses et d’effets indésirabl­es s’élèvent.

Retirer des médicament­s, c’est pas compliqué, ça a l’air anodin, mais ça fait une grande différence.

Dr Quoc Dinh Nguyen, gé‐ riatre, épidémiolo­giste et chercheur au CHUM

Dr Nguyen cite l'exemple répandu des somnifères et ce‐ lui des traitement­s médica‐ menteux contre l'anxiété. Au Québec, les taux d’usage d’an‐ tipsychoti­ques chez les rési‐ dents de certains CHSLD va‐ rient entre 40 et 60 %.

C’est au Québec aussi que l’on trouve le taux le plus éle‐ vé de prescripti­ons d’antipsy‐ chotiques chez les personnes âgées de 65 ans et plus à tra‐ vers le Canada, selon les don‐ nées du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Pour la dépression et l’an‐ xiété, on sait que la première ligne, c’est souvent la psycho‐ thérapie, mais comme on n'a pas d’accès facile au Québec, on prescrit des médicament­s, résume le gériatre.

Baisse des hospitalis­a‐ tions

Dans bien des cas, la dé‐ prescripti­on rend service au patient, souligne-t-il : On dimi‐ nue des hospitalis­ations et les retours à l’urgence.

Elle est surtout préconisée chez les patients qui prennent les mêmes médicament­s de‐ puis plusieurs années. On en connaît mieux les effets se‐ condaires avec le recul, fait re‐ marquer Quoc Dinh Nguyen.

Selon Linda Vaillant, même s'il reste encore du chemin à faire, un nouveau modèle de pratique pharmaceut­ique se répand au Québec. L'em‐ bauche promise de 200 phar‐

maciens dans les CHSLD pu‐ blics et privés convention­nés d'ici 2025 devrait y contribuer.

Une meilleure qualité de vie malgré le vieillisse­ment passe beaucoup par une ges‐ tion judicieuse de la médica‐ tion, conclut-elle.

D'après les informatio­ns

de Gabrielle Proulx

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