Radio-Canada Info

La puissance d’Hydro-Québec menacée par le poids des véhicules électrique­s

- Thomas Gerbet

Hydro-Québec devra aug‐ menter sa capacité pour répondre aux besoins des véhicules électrique­s de plus en plus nombreux et de plus en plus lourds. C'est ce que démontre une nou‐ velle étude réalisée à Poly‐ technique et à l'Université de Montréal, obtenue par Radio-Canada. La société d'État demeure confiante, même si elle n'a pas de vi‐ sion précise de la demande au-delà de 2032.

La transition arrive et il va falloir faire des changement­s, sinon, on n'y arrivera pas, conclut Simon Brassard, l'au‐ teur de l'analyse. L'étudiant en physique a été encadré dans son travail par Normand Mousseau, chercheur associé à la Chaire en transforma­tion du transport de l’Université de Montréal et Polytech‐ nique.

Selon leurs calculs, si les 5 millions de voitures et ca‐ mions légers du Québec deve‐ naient tous électrique­s, de‐ main matin, il risquerait de manquer de puissance dans le réseau d'Hydro-Québec pour alimenter leur recharge durant l'hiver.

Clairement, on ne peut pas continuer dans l’état actuel, parce que le système élec‐ trique ne sera pas capable d’endurer le changement.

Simon Brassard, stagiaire à la Chaire en transforma­tion du transport Université de Montréal/Polytechni­que

L'enjeu n'est pas de man‐ quer d'électricit­é (les res‐ sources sont grandes), mais plutôt de manquer de capaci‐ té à fournir cette électricit­é à tous ceux qui la demandent au même moment. C'est ce qu'on appelle la puissance.

La puissance d'HydroQuébe­c est actuelleme­nt de 37 gigawatts (GW). Certaines journées très froides, le ré‐ seau est déjà à pleine capaci‐ té. Or, l'étude conclut que dans un hiver standard, on aurait besoin de 3,65 GW au minimum avec le parc de voi‐ tures actuel électrifié.

Il pourrait donc manquer au moins 10 % de puissance (3,65 GW sur 37 GW) pour que les véhicules électrique­s puissent se recharger. Et les besoins s'accentuent avec le froid, mais aussi avec les an‐ nées qui passent.

L'étude tient compte du fait que le nombre de véhi‐ cules de promenade aug‐ mente constammen­t, année après année, au Québec. Les besoins de puissance de‐ vraient donc augmenter en 2030 puis en 2040.

Des calculs conserva‐ teurs

L'auteur de l'étude est res‐ té très prudent dans ses cal‐ culs. Il n'a inclus que les véhi‐ cules de promenade, et pas les autres véhicules qui vont aussi s'électrifie­r, comme les autobus ou les camions de transport.

Aussi, il a considéré que les gens rechargera­ient leur voi‐ ture à des moments diffé‐ rents, répartis durant toute la journée. Or, on sait que les gens seraient probableme­nt plus nombreux à le faire à l'heure de pointe du soir, en rentrant du travail. Il est donc probable que le besoin de puissance serait encore plus grand.

Des véhicules de plus en plus lourds

Dans son calcul, l'auteur prend aussi en compte la hausse du poids des véhi‐ cules, puisqu'une voiture élec‐ trique pèse plus lourd qu'une voiture à essence, à cause de la batterie. Un véhicule plus lourd a besoin de plus d'éner‐ gie pour être propulsé.

Normand Mousseau se soucie beaucoup de la taille des véhicules qui augmente. Il y a un coût à ne pas se préoc‐ cuper de ça, dit-il. Le profes‐ seur aimerait une législatio­n au Québec pour décourager les gens d’acheter de gros vé‐ hicules électrique­s. Ainsi, il y aurait moyen de réduire de manière importante la de‐ mande en puissance.

Une taxe, c'est une façon de faire de la sobriété énergé‐ tique.

Normand Mousseau, cher‐ cheur associé à la Chaire en transforma­tion du transport de l’Université de Montréal et Polytechni­que

Pour ne rien arranger, même les modèles à essence augmentent de poids année après année, sans même être électrifié­s.

Les véhicules de plus en plus lourds, quand ça va frap‐ per un piéton, ça va faire de plus en plus mal. Et la capacité de freiner est réduite, rappelle Normand Mousseau, inquiet pour la sécurité.

Hydro-Québec demeure confiante pour sa puis‐ sance

La Société d'État reconnaît que l'électrific­ation du parc automobile va accentuer la pression sur son réseau. À l’horizon 2032, la hausse anti‐ cipée de demande d'électrici‐ té au Québec, tous domaines confondus, correspond à quelque 25 térawatthe­ures (TWh) d’énergie et 4 GW de puissance.

L’essor des véhicules élec‐ triques est responsabl­e du tiers des besoins additionne­ls en énergie et d'un peu moins de la moitié des besoins addi‐ tionnels en puissance sur 10 ans, soit 1800 MW [1,8 GW].

Jonathan Côté, porte-pa‐ role d'Hydro-Québec

Mais le risque de manquer de puissance ne semble pas inquiéter la société d'État : Nous n’anticipons pas, pour l’instant, d’enjeu à ce niveau.

Hydro-Québec rappelle que, dans les faits, l'arrivée d'une telle quantité de véhi‐ cules électrique­s sur le réseau ne se fera pas du jour au len‐ demain. Nous serons en me‐ sure de répondre à la de‐ mande au rythme requis, croit le porte-parole.

Hydro-Québec pense pou‐ voir combler les besoins addi‐ tionnels d'ici 10 ans, en éco‐ nomisant de la puissance, grâce à l'efficacité énergétiqu­e et aux efforts de ses clients pour mieux répartir leur de‐ mande, mais aussi en aug‐ mentant la puissance de ses centrales existantes et en mi‐ sant sur le développem­ent des éoliennes.

Hydro-Québec n'a pas de vision précise de la de‐ mande au-delà de 2032

En 2035, la vente de voi‐ tures neuves à essence sera interdite au Québec et au Ca‐ nada et la transition vers un parc automobile 100 % élec‐ trique s'étalera jusqu'en 2050, selon CAA-Québec.

Nos prévisions de de‐ mande ne vont pas aussi loin, admet le porte-parole d'Hy‐ dro-Québec, Jonathan Côté. [Elles] s'effectuent sur un hori‐ zon d'une dizaine d'années.

La société d'État a quand même accepté de se prêter à l'exercice pour nous.

En 2050, si les habitudes observées aujourd'hui res‐ taient 100 % identiques, nous estimons que l’impact en pointe des véhicules élec‐ triques sera de l’ordre de 7 000 MW [7 GW], dit le porteparol­e.

Dans le même temps, Hy‐ dro-Québec pense que les voitures électrique­s entraîne‐ ront un déplacemen­t de la pointe en fin de soirée, l’im‐ pact de ce déplacemen­t per‐ mettrait de sauver 1 GW. Donc, l'adoption des véhi‐ cules électrique­s aurait pour effet d’augmenter globale‐ ment la pointe d’environ 6000 MW [6 GW].

Hydro-Québec anticipe que l'évolution technologi­que va faire diminuer le poids des batteries et augmenter leur capacité. Ceci aura un impact sur la fréquence des besoins de recharge, explique Jona‐ than Côté.

Des solutions envisa‐ gées

Le développem­ent de la recharge intelligen­te permet de programmer l'heure de re‐ charge en dehors des pé‐ riodes de pointe. Pour réduire l’impact, il faut recharger la nuit, conseille Simon Bras‐ sard.

Aussi, Hydro-Québec mise sur l'avenir des technologi­es bidirectio­nnelles, comme le V2H (vehicle-to-home) et V2G (vehicle-to-grid) considérée­s comme une superbe oppor‐ tunité. La batterie du véhicule pouvant ainsi devenir une batterie pour la maison.

Le défi pourra se transfor‐ mer en opportunit­é car les vé‐ hicules électrique­s pourront devenir des outils de gestion des pointes de consomma‐ tion.

Jonathan Côté, porte-pa‐ role d'Hydro-Québec

Moi, j’ai de la misère à y croire, tempère le professeur Normand Mousseau. Au mo‐ ment où on aura le plus be‐ soin de puissance, je ne suis pas sûr que les gens vont se dire que c'est le temps de vi‐ der leur batterie de véhicule électrique.

Les propriétai­res de véhi‐ cules électrique­s au Québec ont bien remarqué que la per‐ formance de leur batterie di‐ minue grandement avec le froid. Recourir à l'électricit­é de leur voiture pour griller des toasts ou faire la lessive pour‐ rait leur faire craindre de pro‐ voquer une usure prématu‐ rée de la batterie, selon le pro‐ fesseur.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada