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Qui sont les Canadiens détenus dans des camps en Syrie?

- Rania Massoud

Une cour fédérale a ordon‐ né la semaine dernière le rapatrieme­nt de 23 Cana‐ diens − six femmes, 13 en‐ fants et quatre hommes − détenus depuis des années dans des camps situés dans le nord-est de la Syrie. Com‐ ment se sont-ils retrouvés là? Combien d’autres y sont-ils détenus? Dans quelles conditions viventils?

Letta Tayler, directrice ad‐ jointe de Human Rights Watch (HRW) pour les crises et les conflits, a rencontré plu‐ sieurs de ces Canadiens entre juin 2019 et mai 2022 dans le nord-est de la Syrie, une ré‐ gion autonome gérée par les Forces démocratiq­ues sy‐ riennes (FDS), une alliance do‐ minée par les combattant­s kurdes qui ont lutté contre le groupe armé État islamique (EI).

Beaucoup d'entre eux vivent dans les camps d’al-Roj et d’al-Hol, où des centaines d'adultes et d'enfants sont morts à cause des combats dans la région, du manque de soins médicaux ou de l'insalu‐ brité.

Selon elle, il y a au moins 43 Canadiens, soit 30 enfants, sept femmes et six hommes, aujourd’hui détenus dans ces camps. Parmi eux, 23 doivent être rapatriés dans des délais raisonnabl­es, selon une déci‐ sion de la Cour fédérale, alors que le sort des 20 restants, dont 17 enfants, est toujours inconnu.

Selon Mme Tayler, dix de ces enfants sont nés de pères canadiens − dont la plupart sont portés disparus − et de mères étrangères. Ces mères ont été informées que leurs enfants pourraient être ac‐ ceptés en vue d'un éventuel rapatrieme­nt mais qu’elles ne pourront pas les accompa‐ gner, affirme la chercheuse. C’est une offre déraisonna­ble. [...] Aux yeux du droit interna‐ tional, la réunificat­ion fami‐ liale est primordial­e. Cela doit être examiné au cas par cas [...] pour éviter d’exposer ces enfants à des traumatism­es supplément­aires.

La majorité des Canadiens détenus dans le Nord-Est sy‐ rien sont arrivés dans ce pays ravagé par la guerre à partir de 2014. À cette époque-là, l’influence de l’EI en Syrie et en Irak était grandissan­te : il attirait un nombre sans pré‐ cédent d’étrangers en prove‐ nance de plus d’une centaine de pays. Entre 2014 et 2015, plus de 25 000 combattant­s étrangers se sont engagés au‐ près de ce groupe djihadiste, selon un rapport de l’ONU.

Plusieurs raisons pour expliquer leur présence dans les camps

Parmi les ressortiss­ants ca‐ nadiens qui seront rapatriés en vertu d’une décision de la Cour fédérale figure Jack Letts, un Canadien d'origine britanniqu­e détenu depuis quatre ans dans une prison du nord de la Syrie. Converti à la religion musulmane, M. Letts, qui a grandi à Ox‐ ford, au Royaume-Uni, avait rejoint les combattant­s de l’EI en Irak et en Syrie en 2014 avant sa capture par une mi‐ lice kurde.

Plusieurs raisons ont poussé ces Canadiens à se rendre dans le nord-est de la Syrie, mais nombre d’entre eux font partie de cet afflux d’étrangers venus de partout dans le monde pour rejoindre ce qui était appelé le "califat" de l’État islamique, explique Mme Tayler.

Certains y voyaient une utopie; d’autres voulaient se venger pour les mauvais trai‐ tements réservés aux musul‐ mans, par exemple à Guanta‐ namo; certains tentaient de combattre le régime de Ba‐ char Al-Assad et se sont re‐ trouvés dans les rangs de l’EI, alors que d’autres encore cherchaien­t à soigner des blessés de guerre, voire à sau‐ ver des enfants…, dit-elle.

Il faut se rappeler qu'il y a des victimes parmi les per‐ sonnes qui ont rejoint l’EI. Tous les enfants, peu importe leur âge, sont des victimes et certaines femmes disent avoir été piégées ou forcées par leur mari à se joindre à ce groupe extrémiste. Elles pour‐ raient être des victimes de la traite.

Letta Tayler, directrice ad‐ jointe de Human Rights

Watch pour les crises et les conflits

Mme Tayler rappelle par ailleurs qu’aucun des Cana‐ diens détenus dans le nordest de la Syrie n’a été jugé ni condamné. La Cour fédérale indique également dans son jugement que le gouverne‐ ment n'a fourni aucune preuve démontrant l'implica‐ tion de ces Canadiens dans des activités terroriste­s.

« Prêts à purger une peine en prison »

Depuis la disparitio­n, en 2019, du califat créé par l’EI, le rapatrieme­nt des femmes et des enfants de djihadiste­s s'étant joints à l'EI est une question très délicate dans de nombreux pays.

Le camp d'al-Hol, délabré et surpeuplé, abrite selon l'ONU environ 56 000 proches de djihadiste­s capturés ou ayant fui les offensives contre l'EI, dont 10 000 étrangers, des déplacés syriens et des ré‐ fugiés irakiens.

Tous les Canadiens avec qui j’ai parlé dans les camps d'al-Hol et d'al-Roj ne sou‐ haitent qu’une chose : rentrer au Canada. Ils sont prêts à y purger une peine de prison si cela facilite leur rapatrieme­nt.

Letta Tayler, directrice ad‐ jointe de Human Rights Watch pour les crises et les conflits

Les femmes me disent que leurs enfants sont dévastés, elles veulent leur offrir une meilleure vie, affirme encore Mme Tayler. Je ne sais pas si elles ont commis des crimes graves lorsqu’elles vivaient en‐ core sous le régime de l’EI, mais elles m’ont semblé sin‐ cères dans leur souhait de rentrer au pays pour le bienêtre des enfants.

Des conditions de vie « terrifiant­es »

La chercheuse affirme avoir vu des enfants cana‐ diens malades dans les camps, privés de soins médi‐ caux. J’ai moi-même vu des enfants asthmatiqu­es, inca‐ pables de respirer, dit-elle. Ces enfants sont victimes d'une punition collective.

Il est moralement impor‐ tant pour le Canada de rapa‐ trier ces enfants et de ne pas les laisser souffrir dans un dé‐ sert infernal qui est d’autant plus une zone de guerre régu‐ lièrement visée par des bom‐ bardements turcs. Les condi‐ tions de vie y sont si terri‐

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