Radio-Canada Info

Hausse de taux : « C’est la goutte qui fait déborder le vase »

- Olivier Bourque

La dernière hausse du taux directeur par la Banque du Canada, aussi petite soitelle, est celle de trop et pourrait entraîner des dommages collatérau­x, se‐ lon l’économiste en chef et stratège à la Banque Natio‐ nale Stéfane Marion.

Il arrive un moment donné dans le cycle économique où chaque hausse marginale a un effet qui n’est plus linéaire. C’est beaucoup plus sérieux, c’est comme la goutte qui fait déborder le vase, a souligné M. Marion, en entrevue à Ra‐ dio-Canada.

Ce dernier est très critique face à la décision de la Banque du Canada qui aurait dû appli‐ quer un principe de précau‐ tion alors que l’économie mondiale nage en pleine in‐ certitude avec la hausse des taux d’intérêt, les relents de la pandémie et la guerre en Ukraine.

Prendre une pause, c’était une police d’assurance. La hausse supplément­aire, c’est prendre un risque supplé‐ mentaire pour le cycle écono‐ mique, c’est un risque de faire culbuter l’économie, surtout lorsqu’on ne voit pas un pas devant soi à cause du brouillard géopolitiq­ue, as‐ sure-t-il.

La Banque du Canada a annoncé mercredi une hausse de 0,25 % de son taux direc‐ teur, ce qui le porte à 4,5 % et correspond à une huitième augmentati­on d’affilée.

On a tardé à monter les taux en 2021, et là, on y va tous azimuts, sans considérer le fait que les autres banques centrales ont agi de la même façon, affirme M. Marion.

Au total, ça veut dire que les hausses de taux sont cu‐ mulées. Il y a eu plus de 43 augmentati­ons de taux d’intérêt; moi, je n’ai jamais vu cela. On n’a jamais vu autant de banques centrales s’achar‐ ner, poursuit l’économiste qui n’hésite pas à les comparer à une meute de loups affamés.

Dans plusieurs ménages, notamment les emprunteur­s, l’effet est brutal. Pour une hy‐ pothèque de 400 000 $ avec un amortissem­ent sur 25 ans, la hausse mensuelle est tout près de 900 $.

De plus en plus de proprié‐ taires ont d’ailleurs atteint leur taux limite, c’est-à-dire qu’ils ne payent plus du tout de capital sur leur paiement hypothécai­re. Plusieurs d’entre eux ont été contactés récemment par leur institu‐ tion financière pour hausser leurs paiements.

Avant la hausse d’hier, la proportion d’hypothèque­s qui vont frapper leur taux li‐ mite était de 66 %. Avec les 25 points de base, la propor‐ tion est passée à 72 %.

Stéfane Marion, écono‐ miste en chef et stratège à la Banque Nationale

Avec plus d’argent alloué aux emprunts, les ménages risquent de dépenser moins ailleurs, ce qui pourrait provo‐ quer une cascade d’effets et un ralentisse­ment écono‐ mique ou une récession.

D’autres critiques

Ces inquiétude­s rejoignent aussi celles de l’économiste chez Deloitte, Mario Iacobacci, qui craint l’effet de toutes ces hausses sur les ménages.

Le problème dans tout ce‐ la, c’est qu’on n’a pas encore vu l’impact des hausses déjà mises en place de presque 400 points. Ce sont les hausses les plus rapides. Elles vont faire très mal aux mé‐ nages canadiens, parce qu’ils sont très endettés, constatet-il.

Lors des derniers mois, de plus en plus de consomma‐ teurs ont pigé dans leurs éco‐ nomies afin d’éponger la hausse des taux d’intérêt.

Ça va aller en empirant, car il y aura de plus en plus de ménages qui font face au re‐ nouvelleme­nt de leur hypo‐ thèque. Ça va mener à une baisse de la consommati­on. C’est sûr que 25 points ne va pas changer la donne. Mais le gros du dommage a déjà été fait, dit-il.

Selon Guillaume Hébert, économiste à l’Institut de re‐ cherche et d’informatio­ns so‐ cioéconomi­ques (IRIS), les po‐ litiques de la Banque du Cana‐ da ont paradoxale­ment un ef‐ fet inverse que celui recher‐ ché.

Ce qui a le plus poussé l’IPC [l’indice des prix à la consommati­on] en 2022, si on exclut le mazout et le gaz na‐ turel, c’est le coût de l'intérêt hypothécai­re. On est dans une drôle de situation actuel‐ lement où une des choses qui contribuen­t le plus à l'infla‐ tion, ce sont les hausses des taux d'intérêt de la Banque du Canada qui cherche à se battre contre l’inflation, iro‐ nise-t-il.

Le chercheur rappelle que la Banque du Canada a une incidence seulement sur la de‐ mande, alors que les pro‐ blèmes majeurs qui ex‐ pliquent l’inflation sont reliés à l’offre, à la chaîne d’approvi‐ sionnement fortement en‐ dommagée par la pandémie.

La Banque du Canada n’a pas les outils nécessaire­s pour agir sur les causes de l’infla‐ tion ici ou ailleurs. Il aurait fal‐ lu travailler par d’autres moyens que par la politique monétaire, dit-il.

L’inflation en baisse

L’économiste Marion s’in‐ terroge aussi sur la stratégie de la Banque du Canada qui a haussé ses perspectiv­es de croissance économique pour justifier sa hausse de taux. C’est un peu bizarre, je ne crois pas qu’on aurait dû pro‐ céder comme cela.

De toute façon, selon lui, la banque centrale envoie le mauvais message aux consommate­urs, car l’infla‐ tion est déjà en repli. Sur trois mois, en excluant le coût des hypothèque­s, l’essence et les aliments, l’inflation a plutôt été de 2,4 %. Sur un an, elle a toutefois monté de 6,3 % en décembre passé, en baisse de 0,5 % face à novembre.

Les prix sont en déflation, ils baissent à une cadence de 5 % aux États-Unis présente‐ ment, ce qui est du jamais-vu en plus de 60 ans. Et on aura la même situation ici, dit-il.

Les problèmes avec la chaîne d’approvisio­nnement que l’on avait vus durant la pandémie sont en train de se régler, si bien que l’offre se stabilise et que les entreprise­s se retrouvent avec un surplus de stocks.

Les entreprise­s doivent li‐ quider leurs stocks. Moi, je pense qu’il y aura des baisses de prix pour certains biens qui vont faire baisser l’en‐ semble de l’inflation plus rapi‐ dement, au cours des pro‐ chains mois, assure-t-il.

Un point de vue partagé par Guillaume Hébert qui constate que l’inflation a été moins importante au cours des derniers mois.

L’affaire que j’aurais aimé entendre, c’est que, depuis six mois, entre juin et dé‐ cembre 2022, les prix se sont stabilisés. Donc, on aurait clai‐ rement dû appliquer les freins, explique-t-il.

Cela dit, la Banque du Ca‐ nada n’a pas d’échéancier en vue de baisser les taux d'inté‐ rêt. Mais, selon M. Marion, ce‐ la pourrait survenir plus rapi‐ dement que prévu.

L’inflation pourrait at‐ teindre 3 % cet été. Donc, la banque centrale pourrait re‐ calibrer et baisser ses taux pour converger vers l’inflation qui baisse, dit-il.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada