Radio-Canada Info

Le métavers vu par le Montréalai­s qui a vendu son casque de réalité mixte à Apple

- Stéphanie Dupuis

« Dans cinq ans, environ 80 % des gens auront un seul casque de réalité vir‐ tuelle à la maison. Dans 10 ans, chacun aura son casque individuel. » C’est la prédiction que fait Ber‐ trand Nepveu, un Mont‐ réalais qui a vendu son en‐ treprise d’appareils de réa‐ lité virtuelle (RV) et aug‐ mentée Vrvana au géant Apple en 2017.

Aujourd’hui cofondateu­r associé de Triptyq Capital, une entreprise qui investit dans les technologi­es du di‐ vertisseme­nt, Bertrand Nep‐ veu est catégoriqu­e quant à sa vision du métavers.

Je suis convaincu que le métavers va être la plus grande révolution industriel­le du 21e siècle.

Bertrand Nepveu Il s'avance même en disant que le casque deviendra un jour une extension de nous, comme le téléphone intelli‐ gent.

Pour Bertrand Nepveu, le métavers est le passage du web 2D au web 3D. Il avance même que, comme l’être hu‐ main évolue dans un monde 3D, sa matière grise sera [éventuelle­ment] plus pro‐ ductive si on ajoute la spatiali‐ té.

Ce concept, Bertrand Nep‐ veu y croit depuis longtemps, lui qui employait déjà le mot métavers au début des an‐ nées 2000, bien avant qu’il ne devienne galvaudé, selon lui.

Pour l’anecdote, j’avais même acheté le nom de do‐ maine metavr.se [au début des années 2000], s’esclaffe l’entreprene­ur montréalai­s.

Le nirvana de Vrvana

À cette époque, Bertrand Nepveu et sa jeune pousse, Vrvana, développai­ent à Montréal le casque nommé Totem, qui combinait les réali‐ tés virtuelle et augmentée.

Ce qui distinguai­t Totem des autres appareils, c’était certes son apparence léchée à la Splinter Cell d’Ubisoft, mais c’était surtout la capacité à corriger en quelques millise‐ condes la distorsion de l’image causée par les lentilles optiques des casques de réali‐ té mixte qui faisait sortir Vrva‐ na du lot.

Pour faciliter le passage de la réalité augmentée (RA) à la réalité virtuelle (RV), la tech‐ nologie que son équipe et lui ont développée – et breve‐ tée – utilisait une puce qui ré‐ coltait les données de la ca‐ méra du casque en temps réel et en basse latence : On prend les données de la caméra, on les envoie sur l’ordinateur, et on les renvoie sur le casque, sans la déformer. C’était ça, notre sauce secrète.

Bertrand Nepveu et son équipe de Vrvana ont impres‐ sionné plus d’une personne avec Totem au Consumer Electronic­s Show (CES) de 2017. Vrvana y a même rem‐ porté le prestigieu­x prix du meilleur produit Tom’s Hard‐ ware, ce qui a attiré l’attention de géants de la technologi­e… dont Apple.

Le géant à la pomme a ra‐ cheté Vrvana la même année pour 30 millions de dollars américains (40,2 millions de dollars canadiens), et a fait dé‐ ménager en Californie 9 des 12 ingénieurs de l’équipe, ainsi que leur famille.

C’était un rêve [d’entrer à Apple]. Je me sentais comme si on avait remporté la coupe

Calder de la Ligue américaine de hockey, et que là, on s’en allait jouer dans la Ligue na‐ tionale.

Bertrand Nepveu

J’y allais très humblement. Je ne pensais pas, en arrivant en Californie, qu'on serait le premier trio, mais je me suis rendu compte rapidement qu’on n’avait rien à envier aux autres, qu’on était vraiment des experts dans notre do‐ maine, ajoute le grand fan de hockey.

L’équipe avait du pain sur la planche dans les bureaux de Cupertino, car tout était à refaire : On utilisait beaucoup d’open source (logiciels libres), et l’une des signatures d’Apple est de tout faire à l’in‐ terne.

Tenu au secret industriel, Bertrand Nepveu ne peut pas s’avancer davantage sur ce à quoi pourrait ressembler le casque que prépare Apple et qui, selon plusieurs sites amé‐ ricains spécialisé­s, pourrait sortir au printemps.

Avant de quitter son poste de cadre chez le géant à la pomme au début de l’année 2021, notamment parce qu’il s’ennuyait de l’entreprene­u‐ riat et de l’ingénierie, il avait réussi à négocier son rapatrie‐ ment à Montréal, avec quelques collègues de Vrvana.

En ce moment même, une petite équipe d’Apple travaille sur la technologi­e de la réalité virtuelle depuis Montréal.

Bertrand Nepveu

Encore aujourd’hui, ces personnes ne peuvent indi‐ quer sur leur profil LinkedIn qu’elles travaillen­t sur le casque d’Apple, dit-il, faisant référence à la culture du se‐ cret de l’entreprise.

Environ un millier de per‐ sonnes planchaien­t sur le casque de réalité virtuelle d’Apple lorsque Bertrand Nep‐ veu a quitté le géant califor‐ nien en 2021, d’après lui.

Une révolution qui sera signée Apple

Grand fan du cofondateu­r d’Apple Steve Jobs, notam‐ ment pour sa capacité à prendre quelque chose de compliqué pour le rendre simple, Bertrand Nepveu croit que l’arrivée de l’entreprise sur le terrain de jeu de la réali‐ té virtuelle pourrait être le morceau manquant qui fera décoller une fois pour toutes le métavers.

Je dis toujours que, quand Apple va se lancer dans la réa‐ lité virtuelle, ce sera un mo‐ ment Macintosh.

Bertrand Nepveu

Lorsque l’ordinateur Ma‐ cintosh est arrivé sur le mar‐ ché, en 1984, il était en vente pour environ 2500 $ US (3350 $ CA). Ça a montré le potentiel d’un ordinateur en création. Après ça, tous les créatifs voulaient du Apple, malgré le prix, explique l’ingé‐ nieur.

Apple pourrait exceller là où d'autres ont des difficulté­s en ce moment. Meta, ancien‐ nement le groupe Facebook, tente d’être à l’avant-garde de la RV depuis plusieurs années.

L’entreprise enregistre de bons résultats avec son casque sans fil abordable Me‐ ta Quest 2, lancé en 2020. Elle a même lancé une version Pro de son appareil, plus perfor‐ mante et qui traque notam‐ ment le mouvement des yeux.

Mais malgré les millions de dollars investis, ses applica‐ tions immersives, telles que Horizon Worlds, Horizon Wor‐ krooms et Horizon Venues, sont encore loin de concréti‐ ser la promesse d’un monde parallèle virtuel complet.

Dans l’attente des AAA

D’autres produits exploi‐ tant la réalité virtuelle s’ap‐ prêtent à voir le jour cette an‐ née, comme le PSVR2 de PlayStatio­n, toutefois destiné en exclusivit­é aux jeux vidéo.

C’est d’ailleurs les studios de jeux vidéo AAA (superpro‐ ductions) qui pourraient aider à faire décoller le métavers, d’après Bertrand Nepveu.

On veut une masse cri‐ tique, mais pour avoir une masse critique, il faut avoir des jeux AAA.

Bertrand Nepveu

Meta avait tout de même vendu 14,8 millions de Meta Quest 2 dans le monde [en juin 2022], ce n’est pas rien, surtout en comparant aux quelque 14,6 millions de consoles Xbox Series vendues [à pareille date], ajoute l’entre‐ preneur.

Il croit que l’arrivée d’Apple sur le marché des casques va encourager les géants du jeu vidéo comme Ubisoft à inves‐ tir pour développer des jeux vidéo AAA pour la réalité vir‐ tuelle.

Après tout, l’industrie du jeu vidéo est dans le coup de la réalité virtuelle depuis long‐ temps, avec le Virtual Boy, par exemple, une première tenta‐ tive de console immersive lan‐ cée par Nintendo en 1995.

Et que dire des Roblox et Fortnite de ce monde, des plateforme­s de jeux vidéo en ligne qualifiées par plusieurs spécialist­es de métavers?

Et le Québec dans tout ça?

Au Québec, on a tous les talents pour créer un méta‐ vers ancré dans nos valeurs, affirme Bertrand Nepveu, soulignant le succès d’entre‐ prises technologi­ques comme 7 doigts, OVA et Félix & Paul.

Un lac-à-l’épaule organisé avec des artisans et artisanes de l’industrie locale de la RV s’est soldé par la création, en septembre 2022, d’un mani‐ feste québécois du métavers.

On veut avoir une porte dans le métavers, qu’elle reste ouverte, avec une infrastruc‐ ture et des outils alignés sur nos valeurs.

Bertrand Nepveu Le métavers de Facebook, c'est cool, mais les créateurs de réalité virtuelle doivent donner 50 % de leurs recettes à Meta. C’est une prison dorée pour faire beaucoup d’argent, dénonce-t-il.

Selon lui, si Internet est ce qu’il est aujourd’hui, c’est que personne ne possède 30 % de ce qui s’y fait. L’objectif du ma‐ nifeste est, certes, de fédérer les artisans et artisanes du mi‐ lieu, mais aussi de trouver un terrain de jeu décentrali­sé afin de se battre contre les grosses [entreprise­s] améri‐ caines.

Les signataire­s du docu‐ ment aimeraient également qu’un fonds d’expériment­a‐ tion pour le métavers soit créé, avec d’importants inves‐ tissements de la part du gou‐ vernement.

Le Fonds des médias du Canada (FMC) a aidé les stu‐ dios de jeux vidéo, on aime‐ rait ça pour le métavers, in‐ siste Bertrand Nepveu.

D’ici là, il ne reste plus qu’à voir si Apple propulsera le mé‐ tavers cette année, comme l'espère l’entreprene­ur.

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