Lutte contre l’islamophobie : Québec demande la démission d’Amira Elghawaby
Après avoir exigé des ex‐ cuses, le ministre de la Langue française du Qué‐ bec, Jean-François Roberge, a demandé lundi la démis‐ sion de la représentante spéciale pour la lutte contre l’islamophobie au gouvernement fédéral, Amira Elghawaby.
La journaliste et militante des droits de la personne a dû clarifier vendredi ses déclara‐ tions passées au sujet de la Loi sur la laïcité de l'État. Dans une chronique datant de 2019, elle dénonçait le sen‐ timent antimusulman qui au‐ rait entouré, selon elle, l'adop‐ tion par Québec de la loi 21.
Ces clarifications n'ont pas satisfait le ministre Roberge.
Au nom du gouverne‐ ment, je lui ai demandé de re‐ tirer ses propos et de s'excu‐ ser. Or, elle n'a fait que tenter de justifier ses propos odieux. Ça ne passe pas. Elle doit dé‐ missionner et si elle ne le fait pas, le gouvernement doit la démettre sans délai, a affirmé le ministre responsable de la Laïcité et des Relations cana‐ diennes dans une note écrite à Radio-Canada.
Dans La Presse, le ministre Roberge avait déjà qualifié de douteuse la nomination, annoncée la semaine der‐ nière, d'Amira Elghawaby, une personne qui semble être ani‐ mée d’un sentiment antiqué‐ bécois.
Les propos de Mme Elgha‐ waby ont fait réagir le premier ministre du Canada Justin Tru‐ deau, qui l'avait invité à clari‐ fier sa position, de même que Pablo Rodriguez, ministre fé‐ déral du Patrimoine, qui s'était dit profondément bles‐ sé.
Lundi, le chef du Bloc Qué‐ bécois, Yves-François Blan‐ chet, a pour sa part sollicité une rencontre urgente avec Mme Elghawaby. Ses inter‐ ventions passées sont davan‐ tage divisives que rassem‐ bleuses, et si je ne demande pas mieux que de croire en son acte de contrition, j’ai des doutes. De gros doutes, a-t-il déclaré dans un communi‐ qué.
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ger de langue d'affichage.
Et ce n’est qu’en octobre 2021 que le gouvernement a mis en ligne une application pour iPhone qui permettait de changer de langue après le téléchargement.
Le gouvernement fédéral a déposé la version anglaise de ses affidavits devant la Cour fédérale le 26 septembre. Les versions françaises ont été déposées le 1er décembre dernier.
Le gouvernement refuse maintenant de commenter le dossier qui est devant les tri‐ bunaux.
Un utilisateur frustré
En déplacement aux ÉtatsUnis en 2021, Darius Bossé a tenté d’obtenir la version fran‐ çaise de l’application Arrive‐ CAN sans succès.
Ayant accès uniquement à la version anglaise de l’appli‐ cation sur son téléphone por‐ table, il a tenté d’indiquer sur son profil d’utilisateur que le français était sa langue de préférence pour ses commu‐ nications avec le gouverne‐ ment fédéral.
Malgré tout, il a dû conti‐ nuer à utiliser la version an‐ glaise de l’application lors de sa période d’isolement obliga‐ toire de 14 jours. Selon cet avocat bilingue, le choix de la langue d’exploitation d’un cel‐ lulaire est personnel et ne de‐ vrait avoir aucune incidence sur ses droits linguistiques.
Après avoir porté plainte, Darius Bossé a eu gain de cause devant le Commissariat aux langues officielles au prin‐ temps 2022.
Dans son rapport d’en‐ quête, le Commissariat note que l’Agence de la santé pu‐ blique du Canada était au courant des difficultés d'ex‐ ploitation de l’application dans la langue de son choix sur les iPhone.
Le rapport ajoute que l’Agence n’a pas informé le pu‐ blic […] ni de ce fait ni de la fa‐ çon de procéder pour accéder à l’application dans sa langue officielle de préférence.
En juin 2022, Darius Bossé s’est tourné vers la Cour fédé‐ rale pour tenter de prouver que l’Agence a bafoué ses droits linguistiques en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi sur les langues officielles. Il re‐ vendique des dommages et intérêts de 22 500 $.
La Constitution prévoit qu’on a le droit [...] d’être servi par le gouvernement fédéral dans la langue officielle de son choix. Pour moi, c’est im‐ portant que la Cour fédérale puisse reconnaître formelle‐ ment cela, explique-t-il.
Dans un affidavit déposé en Cour fédérale en sep‐ tembre dernier, le respon‐ sable de l’application Arrive‐ CAN, Chulaka Ailapperuma, a confirmé avoir fait face à de nombreuses difficultés tech‐ nologiques en lien avec la langue d’affichage sur les pla‐ teformes Apple en 2020 et 2021.
Une solution possible
Un expert embauché par Darius Bossé répond dans un affidavit distinct que le gou‐ vernement aurait dû donner la possibilité aux utilisateurs d’ArriveCAN de changer de langue d’affichage à l’intérieur même de l’application.
Le fondateur de l’entre‐ prise Sidekick Interactive Inc., Gregory Cerallo, donne l’exemple d’applications bi‐ lingues créées par Environne‐ ment Canada, la SAQ ou Hy‐ dro-Québec, qui offrent toutes cette fonction.
Selon mon expérience, in‐ sérer ou maintenir une fonc‐ tion de langue personnalisée dans une application mobile pose un défi supplémentaire, mais pas insurmontable, af‐ firme Gregory Cerallo.
Il calcule que le développe‐ ment de cette fonction aurait coûté 72 000 $ en frais supplé‐ mentaires.
En tout, Gregory Cerallo estime que le développement d’une application comme Arri‐ veCAN n’aurait pas dû coûter plus de 2 millions de dollars.
Le gouvernement fédéral a plutôt dépensé des dizaines de millions en lien avec la création et la mise en oeuvre de l’application.
Les langues officielles malmenées à Ottawa
Les libéraux de Justin Tru‐ deau sont arrivés au pouvoir en 2015 en promettant de renforcer l’utilisation des langues officielles au sein du gouvernement fédéral. Sept ans plus tard, leur bilan en la matière est de plus en plus critiqué, surtout en ce qui a trait à la protection du fait français au pays.
Plusieurs nominations de personnes ne parlant pas le français à des postes clés, dont la gouverneure générale du Canada et la lieutenantegouverneure du NouveauBrunswick, ont été contes‐ tées.
La modernisation de la Loi sur les langues officielles se fait encore attendre, près de quatre ans après avoir été promise en campagne électo‐ rale.
Le projet de loi C-13, qui découle de cette promesse, sera de nouveau devant le co‐ mité des langues officielles de la Chambre des communes cette semaine.
Le commissaire aux langues officielles veut que les langues officielles soient res‐ pectées, même lorsque le gouvernement fédéral utilise de nouveaux outils technolo‐ giques.
On doit s'assurer que la loi est technologiquement neutre, c'est-à-dire peu im‐ porte le médium, peu importe la plateforme, peu importe l'application technologique, elle doit être en mesure de ré‐ pondre aux besoins des deux communautés de langues of‐ ficielles, explique Raymond Théberge.
Aux yeux de l’opposition officielle, le bilan du gouver‐ nement libéral en matière de langues officielles est exé‐ crable.
Il faut être cohérent, il faut être rigoureux, il faut avoir la volonté de protéger les deux langues officielles. Mais la plus vulnérable, ce n’est pas l’an‐ glais, c’est le français.
Joël Godin, député conser‐ vateur
Joël Godin ajoute qu’il fau‐ dra amender C-13 pour faire en sorte qu’une seule agence, c’est-à-dire le Conseil du Tré‐ sor, soit responsable de veiller à ce que l’appareil fédéral res‐ pecte la Loi sur les langues of‐ ficielles.
L'avocat Mark Power, spé‐ cialiste des questions linguis‐ tiques, est aussi d'avis que le bilinguisme officiel doit être sous la supervision d'une au‐ torité centrale à Ottawa.
« On doit penser en fran‐ çais et en anglais [...] et quand une institution fédérale ne s'y prend pas correctement, une agence centrale, le Conseil du Trésor, doit intervenir pour corriger le tir à long terme. L'avenir du français passe par des mécanismes qui forcent la fonction publique à penser au français en amont, avant le fait, et non après, en essayant de réparer des pots cassés », avance-t-il.
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