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Vivre sans avoir peur des fuites urinaires, c’est possible

- Julie Landry

Des gynécologu­es parlent d’une épidémie silen‐ cieuse : le nombre de femmes qui souffrent de problèmes de fuites uri‐ naires est ahurissant, sur‐ tout celles qui ont eu un enfant. La qualité de vie en est diminuée pour un grand nombre d’entre elles. Il existe pourtant des solutions sans avoir à pas‐ ser sous le bistouri.

Laura Shinoki a commencé à avoir des problèmes durant sa deuxième grossesse.

Chaque éternuemen­t, chaque petit saut, chaque fois qu’elle s’accroupiss­ait ou même quand elle prenait ses enfants dans ses bras, elle avait une fuite urinaire. La ré‐ sidente de Coquitlam, en Co‐ lombie-Britanniqu­e, a même dû mettre des couches et elle ne pouvait pas partir loin de chez elle.

Malheureus­ement, la seule solution, c'est de rentrer à la maison, se changer. C'est vrai que si on fait les courses ou si on fait autre chose, tout de‐ vient tout de suite très com‐ pliqué et ce n'est vraiment pas agréable.

Laura Shinoki, mère de deux enfants

C’était au point où sa san‐ té mentale en a beaucoup souffert. Ça a dégradé parce qu'il fallait toujours que j'aie du change sur moi ou que je ne sois pas trop loin de la mai‐ son pour pouvoir justement être plus à l’aise.

Elle sortait de chez elle moins souvent, pour éviter d’avoir à rentrer en toute hâte et gérer les machines à laver plus facilement.

En fait, je sentais que c'était dégradant alors que ce n'était pas de ma faute en soi.

Laura Shinoki, mère de deux enfants

Un cas loin d’être isolé

Des histoires comme celle de Laura, Johanne Sabourin en entend souvent. Cette physiothér­apeute dans la ré‐ gion de Vancouver depuis plus de 30 ans est spécialist­e du plancher pelvien depuis 25 ans.

Par des traitement­s et des exercices, elle règle ou atté‐ nue les problèmes de fuites urinaires, entre autres. Elle s’en est donné une mission.

Je suis vraiment passion‐ née à propos de ça, parce que je sens vraiment que je fais une différence dans la vie des femmes, quand je traite ce genre de condi‐ tions.

Johanne Sabourin, physio‐ thérapeute spécialist­e du plancher pelvien

Un manque de données probantes

Difficile de tomber sur des statistiqu­es exactes sur la problémati­que, parce que l’âge étudié et la sévérité des symptômes peuvent varier. Selon la Fondation d’aide aux personnes incontinen­tes du Canada, au moins une femme sur quatre d’âge moyen souffre d’incontinen­ce.

Certains urogynécol­ogues parlent même d’une femme sur trois.

Le ministère de la Santé a indiqué, par écrit, que la Co‐ lombie-Britanniqu­e ne récolte pas de données sur les pro‐ blèmes d’incontinen­ce uri‐ naire liés aux personnes qui ont donné naissance.

La Dre Vanessa NicolauTou­louse, gynécologu­e-obsté‐ tricienne à Surrey, dans le Grand Vancouver, constate que cette problémati­que af‐ fecte ses patientes : Les per‐ sonnes qui ont des pro‐ blèmes de fuites urinaires or‐ ganisent leur journée en fonc‐ tion de leur fuite urinaire.

Ces personnes sortiront moins de la maison et chaque fois qu’elles se déplacent, elles s’assurent de savoir où sont les toilettes. Ça va effectuer leur estime de soi, dit-elle, parce qu’elles ont peur que ça se remarque.

Un problème qui peut se traiter

Johanne Sabourin critique le manque de sensibilis­ation au sujet des fuites urinaires : C’est un problème assez éten‐ du et malheureus­ement, les femmes ne sont pas assez éduquées sur ce qu’elles peuvent faire pour prévenir à long terme.

Si on pouvait corriger cela tout de suite après la gros‐ sesse, on pourrait sauver beaucoup de problèmes à long terme.

Johanne Sabourin, physio‐ thérapeute spécialist­e du plancher pelvien

Malheureus­ement, selon elle, de nombreux médecins n’abordent pas la probléma‐ tique avec les personnes qui viennent d’accoucher ou ils minimisent la situation. Cer‐ tains vont même jusqu’à dire que la solution sera une inter‐ vention chirurgica­le à la mé‐ nopause.

Laura Shinoki se souvient de sa sage-femme qui lui a simplement dit que le pro‐ blème allait se résorber par lui-même. Elle dénonce le fait que le sujet des fuites est ta‐

bou, et que peu de femmes connaissen­t les options de so‐ lutions.

Johanne Sabourin croit que le gouverneme­nt devrait investir en prévention, en payant pour des sessions de physiothér­apie par exemple, ce qui permettrai­t d’éviter des coûts de chirurgies, beaucoup plus importants, à plus long terme.

Elle cite la France comme exemple à suivre dans ce do‐ maine.

La Dre Vanessa NicolauTou­louse, qui admet que la chirurgie parfois est néces‐ saire pour les symptômes plus sévères, est également d’accord que l’investisse­ment dans la prévention serait l’idéal.

Par courriel, le ministère de la Santé a indiqué qu’il existe un programme d’aide qui paie 23 $ par visite chez un spécialist­e comme un phy‐ siothérape­ute, pour des fa‐ milles dont les revenus an‐ nuels sont moins de 42 000 $. Il n’y a pas de plan pour élar‐ gir la portée du Programme de prestation­s supplémen‐ taires, pour le moment, pré‐ cise le courriel.

Le pessaire, une solu‐ tion méconnue

En plus du travail avec une physiothér­apeute spécialisé­e dans le plancher pelvien, une autre option considérée comme non invasive est un pessaire vaginal. Il s’agit d’un disque ou d'un diaphragme en silicone qui est inséré dans le vagin comme un tampon et qui soutient les parois vagi‐ nales. En d’autres mots, il fait le travail du plancher pelvien.

La Dre Nicolau-Toulouse estime que cette solution est trop peu connue. Je pense qu’au départ, c’était surtout utilisé pour corriger les pro‐ lapsus chez les personnes plus âgées, mais maintenant on s'est rendu compte que c'est vraiment pratique pour les femmes de tous les âges, explique la gynécologu­e-obs‐ tétricienn­e.

Une fois qu'on a trouvé le bon pessaire pour la per‐ sonne, c'est un résultat immé‐ diat. Et puis vraiment, les complicati­ons sont minimes parce qu’il n’y a pas de chirur‐ gie et puis la personne peut l'enlever à sa guise.

La Dre Vanessa NicolauTou­louse, gynécologu­e-obsté‐ tricienne

La Dre Nicolau-Toulouse précise que le pessaire est un outil complément­aire et qu’il est recommandé de faire un suivi avec un.e physiothér­a‐ peute.

L’importance d’en parler

Laura Shinoki, Johanne Sa‐ bourin et la docteur NicolauTou­louse s’entendent toutes sur une chose : il faut parler davantage des problèmes de fuite urinaire et des solutions qui existent.

Certaines femmes ont peur d'en parler des fois, parce qu'elles pensent qu’elles ne seront pas prises au sé‐ rieux, constate la physiothé‐ rapeute Johanne Sabou‐ rin. Elles ont entendu parler de leurs amis qui se sont fait dire que ça fait partie d'avoir des enfants. Non!, s’insurge-telle.

Tu n'as pas besoin de vivre avec, il y a des choses à faire. Il y a des traite‐ ments.

Johanne Sabourin, physio‐ thérapeute spécialist­e du plancher pelvien

Laura Shinoki n’a plus de problèmes de fuite urinaire. Sa vie a changé complète‐ ment depuis ses sessions avec Johanne Sabourin. C'est le jour et la nuit, dit-elle. C'est tellement génial. De ne plus avoir à se dire tiens, est-ce que j'ai pris mes couches? Estce que j'ai pris une culotte de rechange? La vie repart comme avant.

La maman de deux en‐ fants a maintenant l’impres‐ sion d’avoir retrouvé son in‐ dépendance. Elle se fait un de‐ voir de parler de sa situation le plus possible, pour sensibili‐ ser les femmes autour d’elle.

Malgré toutes les difficul‐ tés, elle croit que les grosses‐ ses en ont valu la peine. D'ailleurs, je pense même en refaire un autre, conclut-elle en riant.

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