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Attente à l’urgence : l’envers du décor au CHUS - Fleurimont

- Marie-Claude Lyonnais

Un bébé gémit dans un coin. Une femme visible‐ ment épuisée soupire dans un autre. « C’est long. C’est trop long ». Il est 18 h, et nous sommes dans la salle d’attente du CHUS - Hôpital Fleurimont, à Sherbrooke. Une vingtaine de patients de tous âges attendent, l’air résigné, de voir un mé‐ decin. Attente… c’est le mot qui revient le plus pour décrire la situation dans les urgences du Qué‐ bec. Les taux d’occupation dépassant les 100 % sont devenus davantage la norme que l’exception. Mais pourquoi les patients doivent-ils autant faire preuve… de patience? In‐ cursion dans l’envers du décor des soins d’urgence.

C’est une véritable fourmi‐ lière qui s’active de l’autre côté de la salle d’attente. En géné‐ ral, près d’une quinzaine d’in‐ firmières, trois médecins et plusieurs préposés sont à l’ac‐ tion. Les infirmière­s passent rapidement d’une prise de note à une injection de médi‐ cament. Un urgentolog­ue analyse une radiograph­ie pendant qu’un autre consulte un bilan sanguin. Des prépo‐ sés collectent les assiettes vides. Un technicien ambulan‐ cier paramédica­l désinfecte une civière.

Pourtant, ce lundi soir est étrangemen­t calme, selon le personnel. J’ai pu prendre cinq minutes pour parler avec mon patient, nous souffle une infirmière rencontrée dans le corridor. Elle nous confie que parfois, elle ne peut même pas s’accorder ce petit moment, tant la charge de travail est imposante.

Un lundi typique, c'est le chaos, affirme en riant l’infir‐ mière clinicienn­e Bianca Ri‐ chard. Les gens débarquent, ils ont attendu toute la fin de semaine avant de venir consulter. [...] C'est vraiment la pire journée de la semaine.

Une vingtaine de per‐ sonnes patientent dans la salle d’attente, dont une di‐ zaine qui a déjà passé l’étape du triage. L’urgence est quand même occupée, mais ce sont plus des patients qui ont des codes de priorité moins ur‐ gents, explique la cheffe du Départemen­t de médecine d’urgence, la Dre Marie-Maud Couture. Elle affirme qu’elle a eu le temps de manger, même si cela veut dire, pour une urgentolog­ue, prendre cinq minutes sur le coin de son bureau, et jamais de re‐ pas chaud!

Au mur, les dossiers des patients à voir sont triés selon leur niveau de priorité : P1 étant la cote la plus urgente,

P5 étant celle qui désigne un patient ne nécessitan­t pas de soins urgents. Trois patients sont cotés P3, et certains d’entre eux ont déjà subi quelques examens, ou ont re‐ çu une médication et at‐ tendent de voir si elle fait ef‐ fet. Six dossiers se retrouvent avec une cote P4 et un dos‐ sier est dans la filière des P5. Heure d’arrivée de ce dernier : 10 h 37. Les chances qu’il soit vu en soirée? C’est sûr qu’il a plus de risques d’être encore là à minuit versus le P3 qui est là depuis 17 h, admet la Dre Marie-Maud Couture.

Une vingtaine de patients sont déjà sous les soins des médecins, couchés dans un lit ou sur une civière. Certains d’entre eux se trouvent dans un corridor, partiellem­ent ca‐ chés par un fin rideau. Des cas graves, comme cette dame at‐ teinte d’un cancer du pou‐ mon qui s’est pointée à l’ur‐ gence parce qu’elle crachait du sang. Ou cet homme, dont la jambe est devenue subite‐ ment complèteme­nt paraly‐ sée. Dans les deux cas, ils af‐ firment avoir été pris en charge en moins d’une tren‐ taine de minutes. Les véri‐ tables urgences n’attendent pas, soutient la Dre Couture.

Des fois, ajoute-t-elle, il faut jouer à la civière musi‐ cale. Un patient dont l’état s’améliore doit céder sa place à une personne plus mal en point, et retourner dans la salle d’attente. Un autre va s’y asseoir, le temps d’obtenir le résultat de ses examens. Ce sont des choses qu’on ne voyait pas avant, mais main‐ tenant, on n’a pas le choix pour la gestion de risques. Dans un monde idéal, tout le monde aurait sa ci‐ vière pour être confortabl­e, admet la Dre Couture. En rai‐ son de l’espace limité, il faut toutefois faire des choix. Ce soir, j’ai eu des patients qui ont eu des commotions. Il y a des patinoires un peu par‐ tout, des gens tombent sur la tête et nécessiten­t une civière pour l’évaluation, pour l’exa‐ men , donne-t-elle en exemple.

En ce lundi soir, il reste un peu de place, mais cette place est très précieuse, précise la coordonnat­rice par intérim des services d’urgences, Hé‐ lène Loiselle. Parce qu’on ne sait jamais quelle urgence peut survenir. Des fois, les gens arrivent tous en même temps. On ne sait pas pour‐ quoi, mais surtout vers 11 h, on a une affluence de gens. La capacité de réponse est dimi‐ nuée. [...] On essaie toujours d’anticiper, mais des fois, on n’a pas de contrôle.

Notre inquiétude, c’est de pouvoir donner les soins au bon moment, affirme, pour sa part, la Dre Couture. C’est sûr que des fois, c’est spectacu‐ laire. Ça donne des images de gens qui peuvent être cou‐ chés par terre. Des enfants qui ont une fracture au bras, on aimerait les soulager, mais on n’a physiqueme­nt pas de place pour les voir. C’est sûr que ça vient, je dirais, miner le moral des équipes.

L’objectif est toujours de permettre au prochain pa‐ tient le plus malade d’avoir un accès aux soins en temps réel. C’est ça notre enjeu.

Dre Marie-Maud Couture, cheffe du Départemen­t de médecine d'urgence

Oui, ils attendent, mais ce n’est pas parce qu’il n’y a rien qui se passe en arrière, mar‐ tèle quant à elle Bianca Ri‐ chard. Le personnel, ça roule tout le temps, il y a toujours quelque chose à faire. Oui, at‐ tendre 12 h, c'est décevant. Mais au final, si tu attends 12 h, c'est peut-être que ta cote de triage n’était pas prio‐ ritaire, que tu n’étais pas for‐ cément instable. Les cas ur‐ gents, ils passent tout de suite, affirme-t-elle.

De nombreux facteurs qui rallongent les délais

La Dre Couture est catégo‐ rique : les patients sont plus malades qu’il y a 20 ans, quand elle a commencé sa pratique médicale. Cette lour‐ deur ralentit le rythme des consultati­ons. Les gens ont une espérance de vie qui aug‐ mente, mais traînent un lot, un fardeau de pathologie­s qu’on ne pouvait pas imagi‐ ner.

Quand les patients viennent en ambulatoir­e, ça prend des prises de sang ou une radiograph­ie, alors on augmente les interventi­ons. On augmente le temps de présence à l’urgence, ajoute Hélène Loiselle.

La COVID a aussi causé des effets persistant­s, ajoutant des étapes supplément­aires à tous les membres du person‐ nel, ce qui alourdit le proces‐ sus, même si, comme l’ex‐ plique l’infirmière clinicienn­e Joëlle Morneau, tous s’en‐ tendent pour aller le plus rapi‐ dement possible pour voir le plus de patients.

Est-ce que c'est entière‐ ment relié à la pandémie? Probableme­nt pas. On s'en‐ tend qu’il y a quand même vraiment un exode du per‐ sonnel infirmier. Mais, qu'estce qui a changé? Nos pra‐ tiques de travail, les façons dont on gère les patients [la gestion] des risques avec les masques, les vêtements de protection, etc. Notre pra‐ tique est différente, elle a été transformé­e avec la COVID.

Bianca Richard, infirmière clinicienn­e

Près de la moitié des pa‐ tients couchés à l’urgence né‐ cessitent par ailleurs une hos‐ pitalisati­on, un autre enjeu qui rallonge les délais permet‐ tant de voir un médecin. On attend juste un lit à l’étage, ex‐ plique la Dre Couture. C’est notre problème depuis quelques mois. C’est la congestion des hôpitaux. Ils sont refoulés à l’urgence. On a beaucoup de patients qui n’appartienn­ent plus à l’ur‐ gence. Ce soir, on a de la place, mais il y a des soirées où on n’a pas ce luxe-là!

L’homme à la jambe para‐ lysée attend d’ailleurs sa place à l’Hôtel-Dieu depuis plusieurs heures. Arrivé à l’urgence di‐ manche matin, il ne sait tou‐ jours pas quand il pourra être transféré vers l’autre hôpital sherbrooko­is. Dans une heure? Demain? On attend juste une place, explique-t-il. On m’a dit que c’est là qu’il y a le spécialist­e qui doit me voir. Même s’il patiente sur une ci‐ vière depuis plus de 36 heures, il est loin d’en vou‐ loir au personnel. Ça travaille fort en "tabarnouch­e"! On s’occupe très bien de nous!

La Dre Couture doit égale‐ ment gérer un retour à la mai‐ son d’une femme de 92 ans qui a fait une chute. Elle tente à tout prix, dans son cas, d’éviter une hospitalis­ation qui pourrait complèteme­nt désorganis­er la dame. Quand je faisais mes études, on ne parlait pas de ça. On disait que la personne âgée devait être hospitalis­ée. Maintenant, on est beaucoup plus à dire qu’il y a plus de risques de res‐ ter à l’hôpital.

La famille est sur place, et la décision sera prise en colla‐ boration avec elle. Je vais pou‐ voir discuter avec les gens d’un retour sécuritair­e à la maison. Ça nous aide beau‐ coup pour décider quel est le meilleur endroit pour elle, leur expliquer les risques [d’une hospitalis­ation], quels sont les risques les moins grands pour le patient.

On met beaucoup de pres‐ sion sur les médecins hospita‐ liers, sur les familles pour ve‐ nir chercher leurs proches quand les soins sont termi‐ nés, autant à l’étage qu’à l’ur‐ gence.

Dre Marie-Maud Couture, cheffe du Départemen­t de médecine d'urgence

Vers une meilleure flui‐ dité

Vers 20 h, la situation reste relativeme­nt calme. Un pa‐ tient avec une cote P5 a quit‐ té les lieux, ayant accepté la propositio­n de l’infirmière au triage d’être réorienté vers une clinique. Le guichet d’ac‐ cès à la première ligne, le GAP, le contactera dans les pro‐ chains jours pour lui offrir un rendez-vous, ce qu’on ne fai‐ sait pas, il y a cinq ans; les cli‐ niques ne prenaient pas de patients de l’urgence, ex‐ plique la Dre Couture.

C’est l’une des solutions trouvées pour améliorer la fluidité des services. Selon Hé‐ lène Loiselle, le CIUSSS tente aussi d’avoir une vue d’en‐ semble du réseau pour déter‐ miner, chaque jour, où il faut alléger la pression afin d’éviter un engorgemen­t potentiell­e‐ ment dangereux pour la sécu‐ rité des patients. Cela passe par des congés, des transferts aux étages ou même dans un autre centre hospitalie­r. Ce jour-là, l’équipe responsabl­e de cette évaluation s’était d’ailleurs activée pour hospi‐ taliser des patients, puisque le taux d’occupation de l’ur‐ gence devenait préoccupan­t.

Une autre solution de longue haleine : l’éducation des patients pour que l’ur‐ gence ne serve… qu’aux ur‐ gences. Cela arrive encore au‐ jourd’hui que les gens arrivent à l’urgence et n’ont pas essayé d’appeler le 8-1-1. C’est ce que j’encourage les gens à faire en premier, explique Bianca Ri‐ chard. Il y a beaucoup d’outils qui sont méconnus.

La Dre Couture admet qu’il faut faire preuve de patience et que le système est loin d’être parfait, d’autant plus que le patient, à l’urgence, a tout de suite accès à l’éventail des services et des examens, contrairem­ent à une clinique. Le GAP a également connu des ratés et les temps d’at‐ tente sont très longs pour le 8-1-1. L’urgence ressort par‐ fois comme la seule solution possible, ce qu’il faut démysti‐ fier selon l’urgentolog­ue.

Je ne blâme pas les pa‐ tients, les gens viennent avec une inquiétude, affirme Dre Couture. Mais ce n’est pas l’ur‐ gence qui devrait être mon ré‐ flexe. [...] On ne peut pas s’at‐ tendre à toujours avoir des soins au moment où on en a besoin, sauf si on a une condi‐ tion grave. [...] Je vais ré‐ pondre à son besoin, je vais regarder les bonnes res‐ sources, mais la population aussi doit le faire.

C’est sûr que le concept de fast food de l’urgence, c’est al‐ léchant. Mais il y a beaucoup de chances que dans trois jours, le patient aille mieux. Il faut vraiment le voir comme de la pertinence des services. Il faut que j’amène les gens à être patients.

Dre Marie-Maud Couture, cheffe du Départemen­t de médecine d'urgence

La Dre Couture est posi‐ tive : elle voit déjà le change‐ ment. On est beaucoup plus outillés qu’avant, ajoute-t-elle. On dirait qu’on a mis la popu‐ lation souvent à l’écart. On a dit comment fonctionne­r dans les établissem­ents, mais en oubliant que la commu‐ nauté à un rôle à jouer.

Tous les profession­nels ad‐ mettent cependant qu’il reste encore énormément de tra‐ vail à faire, autant dans les changement­s de paradigmes que dans le système luimême. La pénurie de maind’oeuvre, les temps supplé‐ mentaires obligatoir­es, le vieillisse­ment de la popula‐ tion sont tous des facteurs qui contribuen­t à la fatigue du corps médical. D’ailleurs, Bian‐ ca Richard ne sait pas si elle sera toujours sur place, dans cinq ans.

Sincèremen­t, je ne sais pas. J’adore l’urgence, c’est un milieu vraiment extraordi‐ naire. Mais justement, la pres‐ sion qui est sur nous, d’être toujours prise entre la popu‐ lation et le réseau, c’est diffi‐ cile à vivre au final. [...] On nous en demande toujours plus, alors c’est sûr qu’au final, ça devient de plus en plus dif‐ ficile.

Il est 21 h et nous sommes sur le point de quitter l’ur‐ gence. Au moment où nous revêtons nos manteaux, un branle-bas de combat s’amorce dans la salle de ré‐ animation. Un patient en si‐ tuation critique est attendu dans les prochaines minutes, et le personnel s’organise en préparant les injections et les appareils de réanimatio­n. Comme quoi les soirées tran‐ quilles peuvent rapidement devenir chaotiques… et si notre soirée tire à sa fin, celle des employés de l’urgence semble visiblemen­t loin d’être terminée.

double d’efforts pour dé‐ ployer les ressources partout sur le territoire.

Le CIUSSS de l’Estrie-CHUS dans un courriel

L’établissem­ent de santé indique aussi que la plupart de ces postes ont été pourvus à l'interne.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux ainsi que la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés n'ont pas fait suite aux demandes d’entre‐ vue de Radio-Canada.

Avec les informatio­ns de Zoé Bellehumeu­r

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