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Webster signe la première traduction française du livre Le contrat racial

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Véritable compagnon de lutte pour plusieurs groupes minoritair­es de‐ puis sa parution en 1997, le livre The Racial Contract, du philosophe américain Charles W. Mills, n’avait ja‐ mais été traduit en fran‐ çais. Le rappeur et histo‐ rien montréalai­s Webster s’est attelé à la tâche il y a deux ans et sa traduction, Le contrat racial, a été lan‐ cée mercredi chez Mé‐ moire d’encrier, qui cé‐ lèbre cette année son 20e anniversai­re.

C’est une première incur‐ sion dans le monde de la tra‐ duction pour Webster, qui signe le livre sous son vrai nom Aly Ndiaye. Il est tombé sur l’oeuvre par hasard en 2020, terminant sa lecture environ au même moment où George Floyd perdait la vie aux mains de policiers blancs aux États-Unis, propulsant le mouvement Black Lives Mat‐ ter.

J’ai eu ce sentiment d’ur‐ gence et je me suis dit "je vais le traduire", explique le rap‐ peur. N’étant ni traducteur, ni philosophe, je me suis lancé un peu follement dans l’aven‐ ture. Comme je dis dans une chanson, c’est en sautant sans parachute que tu voles de tes propres ailes.

Tout au long de l’exercice, Webster a eu l’appui de Mé‐ moire d’encrier et de son fon‐ dateur Rodney Saint-Éloi, ain‐ si que de Charles W. Mills luimême jusqu’à son décès en septembre 2021.

Le contrat social est avant tout un contrat ra‐ cial, selon Mills

Charles W. Mills est né à Londres en 1951, mais a gran‐ di à Kingston en Jamaïque. Formé à l’Université des Indes occidental­es et à l’Université de Toronto, il a passé une vie principale­ment académique, en tant que professeur, au‐ teur et philosophe.

The Racial Contract, son ouvrage phare, expose les failles du contrat social, qui est avant tout un contrat ra‐ cial, selon lui; un contrat éla‐ boré par le système de domi‐ nation européenne.Le contrat racial, c’est la façon dont la su‐ prématie blanche a façonné le monde moderne, explique Webster.

Il n’y a pas de monde mo‐ derne sans l’esclavage transat‐ lantique des Africains. Il n’y a pas de monde moderne sans la dépossessi­on territoria­le autochtone, sans le génocide autochtone. La révolution in‐ dustrielle n’existe pas sans ces crimes contre l’humanité.

La notion de race a façon‐ né une humanité à deux vi‐ tesses. On a une humanité blanche, qui a des droits et des privilèges, et on a une se‐ mi-humanité non blanche.

Aly Ndiaye, alias Webster Webster poursuit en expli‐ quant que les balbutieme­nts du contrat social ont vu le jour au siècle des Lumières, alors que les scientifiq­ues se sont mis à classifier tout ce qui les entourait; une époque marquée par un universa‐ lisme européen.

On classe les plantes, les animaux. On classe les hommes, on les hiérarchis­e, on les essentiali­se. Je vous laisse deviner qui on met en haut de la pyramide, résume le traducteur.

Un sujet criant d’actua‐ lité

À l’époque de sa publica‐ tion, Le contrat racial n’avait pas réellement fait sensation au sein du milieu philoso‐ phique, ni auprès du grand public, mais l’ouvrage a réson‐ né fort chez les activistes anti‐ racistes, et les personnes op‐ primées en général.

Si Webster a voulu le tra‐ duire en français, c’est qu’il est d’avis que les propos de Mills sont encore brûlants d’actua‐ lité. Ce que Mills explique fina‐ lement, c’est quelque chose qu’on vit, qu’on ressent, qu’on sait, mais qu’on n’articule pas nécessaire­ment de cette ma‐ nière-là, explique-t-il.

Il espère que sa traduction amènera le livre à être ajouté dans les cursus universita­ires francophon­es, chose faite de‐ puis longtemps aux ÉtatsUnis et au Canada anglo‐ phone; un décalage qu’il ex‐ plique par l’absence d’une ver‐ sion française, mais aussi par les luttes sociales propres au Québec.

Mon souhait le plus ar‐ dent, c’est que Le contrat ra‐ cial fasse partie des cursus scolaires, mais que le prover‐ bial monsieur madame tout le monde puisse le lire aussi.

Aly Ndiaye, alias Webster On a moins accès à la litté‐ rature antiracist­e dans le monde francophon­e, ce qui fait qu’on accuse un certain retard dans la théorisati­on de ces luttes-là par rapport aux États-Unis ou au Canada an‐ glais, explique-t-il. Et je pense qu’[au Québec], la lutte concernant les oppression­s a toujours été à travers la di‐ chotomie anglo-franco, tout le reste a été subordonné.

Le contrat racial n'est pas une fatalité

Webster espère aussi que le livre de Mills pourra ouvrir les yeux au grand public sur le concept de blanchité, qui fait référence entre autres à l’hé‐ gémonie sociale, culturelle et politique blanche à laquelle sont confrontée­s les minori‐ tés raciales.

Mills théorise la blanchité comme étant quelque chose de volontaire; ce n’est pas parce que tu es blanc que tu es signataire de la blanchité. Quand tu arrives à com‐ prendre tes privilèges, quand tu arrives à te positionne­r contre cette structure de pou‐ voir, tu peux refuser de signer le contrat racial, explique Webster.

Mills a écrit Le contrat ra‐ cial pour qu'on puisse com‐ prendre la nature réelle de notre histoire, et partir de là pour remettre en question le statu quo. C’est en nommant les choses qu’on peut les re‐ travailler, les changer.

Le contrat racial est ac‐ compagné d’une nouvelle préface signée par l’auteur ori‐ ginal Charles W. Mills. Deux lancements en compagnie de Webster sont prévus pour le livre, le premier le 10 février à la Librairie Racines à Montréal et le second le 17 février à la Librairie Pantoute à Québec.

Ce texte a été écrit à partir d’une entrevue réalisée par Catherine Richer, chroni‐ queuse culturelle à l’émission Le 15-18. Les propos ont pu être édités à des fins de clar‐ té ou de concision.

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