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Des microalgue­s testées comme substituts d’appâts pour les crustacés

- Brigitte Dubé

La richesse des nutriments que recèlent les algues ne cesse d’étonner les scienti‐ fiques. Dans son labora‐ toire, avec la précieuse col‐ laboration des homards, une petite équipe du Bio‐ dôme de Montréal tente de développer un substitut d’appâts à base de mi‐ croalgues pour la pêche aux crustacés.

Avec la suspension de la pêche au maquereau et au hareng décrétée par Ottawa, les pêcheurs sont forcés d’im‐ porter leurs appâts à grands frais, souvent à l’autre bout du monde.

Depuis plusieurs années, des recherches sont effec‐ tuées pour trouver d'autres options. Celle d’une petite équipe du Biodôme de Mont‐ réal suscite la curiosité.

Cette étude se déroule sous l'impulsion de la compa‐ gnie AllGaea, située à SaintHuber­t, qui développe des procédés visant à réutiliser les rejets de CO2 industriel­s dans une perspectiv­e d’économie circulaire. L’entreprise a de‐ mandé à ce qu’on explore la possibilit­é de cultiver des mi‐ croalgues dans un bioréac‐ teur alimenté par le gaz car‐ bonique.

Bien que ses recherches soient encore embryonnai­res, la Dr. Nathalie Rose Le Fran‐ çois, chercheuse et conseillèr­e scientifiq­ue au Biodôme, croit que cette solution pourrait être prometteus­e pour les pê‐ cheurs.

On en est aux premiers es‐ sais, indique Mme Le Fran‐ çois. Le gros du travail qui a été effectué depuis six mois, ç’a été l'installati­on des labo‐ ratoires aquatiques, donc les bassins appropriés, le contrôle de divers paramètres pour reproduire ce qui se passe dans le fond marin, etc.

Duper le homard

La chercheuse utilise pour ses tests une microalgue nommée spiruline.

Les expérience­s avec la spiruline seulement n’étaient pas concluante­s, mais celles avec une combinaiso­n de ma‐ quereau et de spiruline l’ont été.

Le homard a été attiré par le maquereau et l’a mangé puis il a mangé quelques mor‐ ceaux de microalgue­s. Pour un essai préliminai­re, on est quand même très impression‐ nés.

Dr. Nathalie Rose Le Fran‐ çois, chercheuse et conseillèr­e scientifiq­ue au Biodôme

Selon la scientifiq­ue, le ho‐ mard n’est pas attiré visuelle‐ ment, mais presque chimi‐ quement. Il perçoit la pré‐ sence des nutriments dont il a besoin. On tente de donner à notre produit une signature olfactive qui ressemble à celle du maquereau, précise-t-elle.

On veut tromper le ho‐ mard en quelque sorte, qu'il pense que c'est du maque‐ reau, du moins assez pour l’attirer dans la cage, pas né‐ cessaireme­nt qu'il mange.

Dr. Nathalie Rose Le Fran‐ çois, chercheuse et conseillèr­e scientifiq­ue au Biodôme

La première formule pro‐ posée aux homards est en quelque sorte une pâte d’algues bien amalgamée pour résister à l’effet dissol‐ vant de l’eau. La nouvelle pi‐ tance peut prendre la forme d’une espèce de gâteau contenu dans un filet et dé‐ posé dans la cage à homards.

Selon la docteure Le Fran‐ çois, la formule sera améliorée à la lumière de futures expéri‐ mentations. Elle souhaite dans une phase ultérieure ex‐ périmenter ses appâts en col‐ laborant avec des pêcheurs qui accepterai­ent de faire des expérience­s en mer.

On a déjà établi des contacts avec un pêcheur de la Minganie, fait-elle savoir. Il [le pêcheur] veut faire partie de la solution. Mais on aime‐ rait bien aussi entrer en contact avec des pêcheurs gaspésiens ou madelinots, ne serait-ce que pour les rencon‐ trer et échanger.

Toutefois, avant d’aller plus loin, l’équipe voudrait d’abord obtenir des résultats plus probants.

Merinov démontre de l’intérêt

D’autres recherches sont menées pour trouver des al‐ ternatives aux appâts tradi‐ tionnels, tant au Québec que dans les Maritimes.

Par exemple, l’Associatio­n des chasseurs de phoque des Îles-de-la-Madeleine propose d’utiliser la viande de phoque. Mais ses membres craignent que la politique américaine de protection des mammifères marins devienne un obstacle à son utilisatio­n.

Du côté de Merinov, centre intégré de recherche indus‐ trielle spécialisé en technolo‐ gies des pêches, de l’aquacul‐ ture, de la transforma­tion et des bioressour­ces marines, on explore diverses avenues. Parmi elles, l’utilisatio­n d’es‐ pèces envahissan­tes comme la tanche, qui nuit à la biodi‐ versité.

Jérôme Laurent est cher‐ cheur industriel et respon‐ sable du Centre d'expertise en technologi­e des pêches à Me‐ rinov.

Selon lui, les essais de Na‐ thalie Rose Le François sont très intéressan­ts. On est tout à fait ouverts à mettre en commun notre expertise avec celle de l'équipe de Mme Le‐ françois, indique-t-il.

C'est un peu une course contre la montre pour l'indus‐ trie de la pêche. L’urgence, c'est d'arriver à trouver une solution rapidement.

Jérôme Laurent, chercheur industriel chez Merinov et res‐ ponsable du Centre d'exper‐ tise en technologi­e des pêches

Merinov tente de trouver des façons de remplacer les appâts traditionn­els avec d’autres matières. Les scienti‐ fiques utilisent aussi des algues, mais pour les proprié‐ tés stabilisan­tes de l’alginate. Elles vont aider à gélifier l'ap‐ pât, ce qu’on appelle la ma‐ trice, pour éviter qu’il soit dis‐ sous dans l’eau, précise le chercheur.

Il explique que les algues vont retenir l'agent attractif (les nutriments) qui va se libé‐ rer tranquille­ment dans l’eau durant toute la durée de l'im‐ mersion de l'appât.

On a essayé beaucoup de choses, mentionne M. Laurent. Il a fallu qu'on aille vraiment en termes d'analyse chimique pour mieux com‐ prendre. C’est que le homard ne voit pas grand-chose, mais il est très sensible.

Selon le chercheur, le ho‐ mard est attiré par certaines molécules dans l'eau, des acides aminés, des protéines par exemple qui corres‐ pondent à ses besoins en ali‐ mentation, comme une sorte d’odeur qu’il va détecter.

Jérôme Laurent précise toutefois qu’un éventuel sub‐ stitut d’appât devra rencon‐ trer minimaleme­nt des cri‐ tères précis. Il faudra qu’il soit aussi performant que l’appât traditionn­el. Il devra aussi être produit au même coût ou à moindre coût.

La matière première utili‐ sée pour produire des alter‐ natives doit être accessible en quantité suffisante. Et ça re‐ présente vraiment des quan‐ tités considérab­les, évalue-t-il. C'est pour ça que les mi‐ croalgues, c'est intéressan­t.

Sceptiques, mais ou‐ verts

Le directeur général du Re‐ groupement des pêcheurs profession­nels du sud de la Gaspésie, O’Neil Cloutier, se dit quelque peu sceptique.

Ça fait 35 ans qu’on essaie de trouver des alternativ­es, entre autres avec le ministère de l’Agricultur­e, des Pêcheries et de l’Alimentati­on (MAPAQ), des substituts, on en a testé une multitude et ça n’a pas été concluant du tout, dit-il.

Pour lui, le genre d’expé‐ rience que mène la docteure Le François est complèteme­nt nouveau, mais comme au‐ cune alternativ­e n’a fonction‐

né à ce jour, il croit qu’il faut tout essayer.

Il admet par ailleurs qu'il devient de plus en plus pro‐ blématique de trouver la ma‐ tière première pour l’élabora‐ tion de substituts puisque les résidus de poissons sont ré‐ cupérés et vendus.

Dans ce contexte, les mi‐ croalgues, si elles sont effi‐ caces, pourraient être intéres‐ santes.

Pour sa part, le président de l’Associatio­n des pêcheurs propriétai­res des Îles-de-laMadelein­e, Mario Déraspe, trouve cette idée assez inusi‐ tée. J’attendrais avant de me prononcer, dit-il, mais je ne ferme pas la porte. On a telle‐ ment besoin de trouver des solutions alors pourquoi pas?

Les travaux dirigés par Dr. Nathalie Rose Le François fe‐ ront l’objet de propositio­ns de publicatio­n dans des revues spécialisé­es dont Frontiers in Marine Science dans la sec‐ tion Marine Fisheries, Aqua‐

culture and Living Resources.

En complément :

Les stocks de maquereaux à leur plus bas en Atlantique Le déclin du hareng dans le golfe du Saint-Laurent in‐ quiète les pêcheurs

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