Radio-Canada Info

Des agents fédéraux américains conduiraie­nt des migrants au chemin Roxham

- Romain Schué

Il n’y aurait pas que des chauffeurs de taxis améri‐ cains qui amèneraien­t des migrants jusqu’au chemin Roxham pour traverser la frontière canado-améri‐ caine.

Selon les informatio­ns ob‐ tenues par Radio-Canada, des agents des douanes améri‐ caines seraient eux aussi im‐ pliqués dans un tel transport.

Certains en auraient même fait un commerce, en dehors de leurs heures de tra‐ vail, en récupérant ces per‐ sonnes à Plattsburg­h, dans l'État de New York.

C’est dans cette ville, si‐ tuée à une trentaine de mi‐ nutes de la frontière et du chemin Roxham, qu’arrivent la plupart de ces migrants par le biais d’une ligne régulière d’autobus.

C’est connu depuis quelques mois, nous a confié l’une de nos sources.

Combien d’agents améri‐ cains seraient impliqués? Plu‐ sieurs, nous a-t-on indiqué.

Impossible cependant d’en obtenir le nombre exact. Se‐ lon nos sources, ces éléments ont été signalés à la direction des forces de l’ordre cana‐ diennes.

L’ASFC confirme, puis veut connaître les sources

Dans un premier temps, l’Agence des services fronta‐ liers du Canada (ASFC) a confirmé, par écrit et à deux reprises, toutes ces informa‐ tions.

Elle est au courant de la si‐ tuation, a souligné une porteparol­e à Radio-Canada, tout en évoquant des rapports. Celle-ci ajoute que l’ASFC est en contact avec les États-Unis concernant les questions de migration irrégulièr­e.

Dans un autre échange, l’ASFC a répété le même mes‐ sage, tout en nous invitant à contacter le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (USCBP).

Nous sommes au courant de l’informatio­n que vous nous rapportez.

Jacqueline Roby, porte-pa‐ role de l’ASFC

Par la suite, un membre de l’ASFC a contacté Radio-Cana‐ da par téléphone afin de connaître nos sources – que nous n’avons pas révélées. Il nous a aussi informé que les autorités américaine­s, l’USCBP, venaient d’appeler leurs homologues canadiens à ce sujet, à la suite de nos questions.

Une nouvelle communica‐ tion écrite a ensuite été en‐ voyée, dans laquelle l’ASFC in‐ dique n’avoir aucun commen‐ taire concernant [ces] alléga‐ tions, en laissant entendre que les premières réponses fournies n’étaient pas adé‐ quates.

Une autre source bien au fait du dossier nous a néan‐ moins encore confirmé, plus tard, ces informatio­ns.

Une infraction aux lois canadienne­s?

Les présumées activités de ces agents américains contre‐ viennent-elles aux règles ca‐ nadiennes?

Selon la Loi sur l’immigra‐ tion et la protection des réfu‐ giés, il est interdit à qui‐ conque d’organiser l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes ou de les inciter, ai‐ der ou encourager à y entrer.

Aux yeux de l’avocat Sté‐ phane Handfield, cette loi ca‐ nadienne pourrait s’appliquer, même à des agents améri‐ cains.

Le fait de conduire quel‐ qu’un sachant qu’il va passer la frontière, c’est clairement une infraction à l’esprit même de la loi.

Stéphane Handfield, avo‐ cat en droit de l’immigratio­n

Ce dernier jure d’ailleurs ne pas être surpris par ces infor‐ mations. Avant la pandémie, détaille-t-il, des personnes d’origine haïtienne, qu’il avait défendues, lui avaient relaté une histoire similaire.

Ils cherchaien­t le chemin Roxham pour aller au Canada. Au lieu de les arrêter et de les détenir, car c’était des sanspapier­s aux États-Unis, ils les ont embarqués dans leur au‐ to pour les amener à Roxham.

Sur ces questions, les ins‐ tances canadienne­s sont res‐ tées avares de commentair­es. La Gendarmeri­e royale du Ca‐ nada (GRC) n’a pas voulu confirmer ou infirmer ce genre d’informatio­n.

Pour des raisons de pro‐ tection de nos enquêtes cri‐ minelles en cours, nous ne pouvons commenter ce genre de situation.

Charles Poirier, porte-pa‐ role de la GRC

L’USCBP, de son côté, spé‐ cifie prendre très au sérieux toutes les allégation­s d’incon‐ duite et souligne qu’une en‐ quête approfondi­e est me‐ née.

Record à la frontière

Depuis le début de l’an‐ née 2022, le Canada connaît un achalandag­e record à ses frontières.

Près de 100 000 personnes sont venues demander l’asile, en un peu plus d’un an, que ce soit par le chemin Roxham ou par des voies aériennes.

La majorité d’entre elles se sont installées dans la grande région de Montréal, où les or‐ ganismes assurent être dé‐ bordés et en manque de res‐ sources pour les prendre convenable­ment en charge.

De nombreux deman‐ deurs d’asile sont également contraints de travailler au noir, comme l’a révélé une en‐ quête de Radio-Canada, la faute à des permis de travail qui prennent des mois avant d’être envoyés.

Il y a quelques jours, le ca‐ binet du maire de New York a reconnu financer le transport des migrants qui souhaitent quitter leur ville. Certains se dirigent donc vers le Canada et Plattsburg­h, grâce à des billets d’autocar gratuits.

Cette nouvelle avait re‐ bondi à la Chambre des com‐ munes, à Ottawa. Selon le Bloc québécois, les Américains ridiculise­nt le gouverneme­nt [fédéral].

La ministre de l’Immigra‐ tion du Québec, Christine Fré‐ chette, avait elle aussi critiqué cette action new-yorkaise, tout en affirmant que [cette histoire] démontre surtout l'importance de régler le pro‐ blème du chemin Roxham et de [l’Entente sur les tiers pays sûrs] entre le Canada et les États-Unis.

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