Radio-Canada Info

La soif de boire sans alcool

- Frédéric Arnould

À New York, la tendance du « sans alcool » va au-de‐ là des défis du mois de jan‐ vier sans alcool (« Dry Ja‐ nuary ») et des 28 jours de sobriété grâce à l’ouver‐ ture de bars 100 % sans al‐ cool et à l’organisati­on d’événements hebdoma‐ daires offrant des produits haut de gamme.

Vous avez peut-être suivi le défi du mois de janvier sans alcool, ou peut-être êtes-vous en train d’essayer de faire ce‐ lui des 28 jours de sobriété. Il existe cependant bel et bien une tendance qui semble du‐ rable sur le marché. À New York, par exemple, elle suscite un véritable intérêt, et pas juste pour quelques se‐ maines.

En ce vendredi soir, dans un bar clandestin de type speakeasy de New York, les clients commencent à affluer dès 18 h pour participer à une soirée organisée dans un en‐ droit joliment décoré, où ré‐ sonne une musique dan‐ sante. La bonne humeur est au rendez-vous, et pour cause : pour seulement 40 $, les consommati­ons sont à vo‐ lonté. Ici, les meilleures concoction­s sont préparées par deux créateurs de cock‐ tails avec de savants mé‐ langes qui visent à imiter les grands classiques des cock‐ tails servis dans les bars dits convention­nels.

Comme chaque vendredi soir, Elizabeth Gascoigne, fon‐ datrice d'Absence of Proof, est l’organisatr­ice de l’événement. J'ai arrêté de boire il y a envi‐ ron un an, en janvier, pour des raisons de santé. Je vou‐ lais juste que mon anxiété s'améliore. Quand j'ai arrêté l'alcool, j'ai soudaineme­nt réa‐ lisé qu'il y avait très peu d'op‐ tions sociales. Si vous ne bu‐ vez pas, vous pouvez aller dans un bar, peut-être prendre un cocktail sans al‐ cool juteux, mais rien qui res‐ semble à l'expérience d'un bar normal.

Elle a donc créé ces soirées pour fidéliser le public avec ces produits sans alcool. Mais qui sont donc ses invités cu‐ rieux de découverte­s? Des femmes enceintes, des per‐ sonnes qui sont complète‐ ment sobres et d’autres qui aiment simplement essayer des choses nouvelles et inté‐ ressantes, mais qui n'ont pas l'intention de réduire leur consommati­on d'alcool.

Parmi ces personnes : De‐ ja, qui est venue avec son compagnon et qui se définit comme une sobre curieuse. Parfois, je bois, parfois pas, et je trouve ça bien de faire une pause de temps en temps, dit-elle.

Au-dessus de ce « bar clan‐ destin », il y a Sèchey, une boutique qui vend des di‐ zaines et des dizaines de bois‐ sons différente­s. Le magasin haut de gamme, où s’orga‐ nisent des dégustatio­ns et des événements d'affaires, est surtout une superbe vitrine pour une variété de vins, de spiritueux et de cocktails prêts à boire, le tout sans une once d’alcool.

Nous ne voulons proposer que des marques qui s'alignent vraiment sur notre vision, à savoir un change‐ ment complet de style de vie. Nous essayons de rester na‐ turels, à faible teneur en calo‐ ries, sans sucre ajouté et sans agents de conservati­on ajou‐ tés, explique Veronica Grine, directrice de la vente au détail et des opérations à Sèchey.

Le magasin remporte du succès, à l’image de cette ten‐ dance qui consiste à consom‐ mer moins d’alcool, selon sa tenancière. Je pense que la COVID a été une sorte de ré‐ veil pour beaucoup de gens, lorsque tout le monde était enfermé et buvait probable‐ ment beaucoup trop, parce qu'il n'y avait pas d'horaire fixe ou de routine. Toutefois, je pense que comme nous sortons de la COVID, la rela‐ tion de beaucoup de gens avec l'alcool a changé.

Écoutez le reportage de Frédéric Arnould à l'émission L'heure du monde

Si les défis du type 28 jours sans alcool sont assez popu‐ laires, la tendance du « sans alcool » est là pour de bon, se‐ lon Abby Ehmann, qui a inau‐ guré officielle­ment son bar à élixirs en septembre dernier dans le quartier de l'East Vil‐ lage. Elle a ouvert ce bar, ap‐ pelé Hekate, juste en face de son autre bar – convention‐ nel, celui-là –, où elle a servi des clients dépendants de l’al‐ cool.

J'avais l'impression qu'ils buvaient trop, parce qu'ils ve‐ naient tout le temps au bar, parce qu'ils aimaient l'am‐ biance et la communauté, et j'ai pensé aux gens qui ne boivent pas et qui n'ont pas d'endroit où aller, raconte Mme Ehmann. Le soir, les ca‐ fés ferment généraleme­nt vers 17 h ou 18 h, et vous sa‐ vez, si vous allez dans un res‐ taurant, vous êtes obligé d'acheter de la nourriture. Donc, je voulais donner aux gens qui ne boivent pas un endroit où aller.

Parmi les clients de ce ven‐ dredi soir : Travis Rieter et Evelyn LaBelle, un couple de jeunes mariés qui ne boit pas d’alcool. Pour lui, ce bar à élixirs de ce genre est un coup de chance.

Quand on va dans un bar, on peut généraleme­nt nous servir une bière sans alcool, explique Travis Rieter. Et pour Evelyn, c’est un jus de canne‐ berge avec du tonic ou quelque chose comme ça, mais vous savez, ça devient ennuyeux. Alors, on a décou‐ vert cet endroit et on s'est dit : "Allons voir ça."

Derrière le bar, il y a Syd‐ ney Easton, qui prépare les cocktails, ou plutôt ce qu'on appelle en anglais les mock‐ tails (cocktails sans alcool). Elle apprend à faire les old-fa‐ shioned, les negroni et d'autres classiques du genre avec des ingrédient­s diffé‐ rents. Il y a une courbe d’ap‐ prentissag­e, reconnaît-elle, pour imiter les saveurs et les arômes des « vrais » cocktails. Cela donne un style diffé‐ rent – comme l'est celui des clients – par rapport aux concoction­s des bars où l’on sert de l’alcool, aux yeux de celle qui a travaillé pendant 11 ans dans ce genre d'établis‐ sement.

Je peux avoir des conver‐ sations pendant des heures. Beaucoup de ces clients sont sobres, alors c'est toujours in‐ téressant d'en savoir plus sur la sobriété, dit Mme Easton. Et puis, vous savez, dans les bars ordinaires, vous avez les gens qui boivent toute la nuit et qui deviennent de plus en plus ennuyeux au fil de la soi‐ rée, et je n'ai pas ça ici.

Abby Ehmann, la proprié‐ taire de Hekate, espère qu’elle sera imitée par d’autres te‐ nanciers. La prochaine étape, selon elle, serait d'ouvrir des bars sportifs, mais sans alcool. Dans son cas, elle a doublé ses revenus entre septembre et octobre, et la croissance se poursuit.

Elizabeth Gascoigne, qui a tout quitté pour se lancer dans cette aventure du « sans alcool », y croit aussi dur comme fer.

Je pense que ce n'est pas seulement un truc de janvier sans alcool ou de défi 28 jours sans alcool : j'ai commencé ça en août et on était déjà en rupture de stock. Donc, c'est assurément là pour de bon. Je pense que les gens de‐ viennent beaucoup plus conscients de leur consom‐ mation d'alcool.

Elizabeth Gascoigne, fon‐ datrice et directrice générale d'Absence of Proof

La croissance de la ten‐ dance en matière de boissons non alcoolisée­s aux États-Unis se reflète en tout cas dans les chiffres de vente : entre 2021 et 2022, les ventes totales de boissons sans alcool ont at‐ teint près de 400 millions de dollars américains (536 mil‐ lions de dollars canadiens), soit une croissance de plus de 20 %. Bref, un bon signe pour toutes ces personnes qui ont misé là-dessus.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada