Radio-Canada Info

Catastroph­e en zone de guerre : privilégie­r les dons d’argent aux aides matérielle­s

- Rania Massoud

Cinq jours après le tremble‐ ment de terre qui a fait plus de 20 000 morts en Tur‐ quie et en Syrie, la commu‐ nauté internatio­nale fait face à un casse-tête logis‐ tique et diplomatiq­ue sans précédent, notamment en Syrie.

Dans ce pays ravagé par 12 ans de guerre, la zone sinis‐ trée par le séisme est divisée entre le territoire contrôlé par le régime de Bachar Al-Assad et la dernière enclave rebelle dans le nord-ouest du pays, où des millions de personnes dépendent déjà de l’aide hu‐ manitaire.

L’un des principaux défis est l’achemineme­nt de l’aide matérielle aux quelque 4,8 millions de personnes qui vivent dans ce dernier grand bastion tenu par les rebelles et les djihadiste­s. Presque toute l'aide humanitair­e y est acheminée depuis la Turquie par Bab Al-Hawa, l'unique point de passage obtenu par résolution des Nations unies et contesté par Damas et Moscou qui dénoncent une violation de la souveraine­té syrienne.

Le régime syrien, sous le coup de sanctions internatio‐ nales depuis le début de la guerre en 2011, appelle la communauté internatio­nale à lui acheminer l’aide humani‐ taire, se disant engagé à la dis‐ tribuer à tous les Syriens sur tout le territoire, tout en reje‐ tant l’idée d’ouvrir d’autres points de passage vers les zones rebelles.

Le séisme a été catastro‐ phique pour tous les Syriens dans le nord du pays, qu’ils soient dans les zones contrô‐ lées par le régime ou celles te‐ nues par l’opposition, dit à Ra‐ dio-Canada Charles Lister, di‐ recteur du programme de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme à l'Institut du Moyen-Orient à Washington. Mais les aides humanitair­es ont pris une tournure poli‐ tique et sont devenues source de controvers­es et de tensions au sein de la com‐ munauté internatio­nale.

Il affirme que Damas a dé‐ jà reçu au moins 36 cargai‐ sons d’aide internatio­nale, no‐ tamment de la part de l’ONU, alors que la zone contrôlée par les rebelles n’en a reçu au‐ cune.

Mercredi, six camions, chargés notamment de tentes, sont entrés en terri‐ toire rebelle en traversant le point de passage de Bab AlHawa, via la Turquie. Mais se‐ lon des responsabl­es locaux, ainsi que les secouriste­s des Casques blancs, il s’agit d'une aide attendue avant le séisme.

C’est absolument tragique que l’ONU n’ait toujours pas envoyé de l’aide aux sinistrés dans la région contrôlée par l’opposition syrienne [...] L’ONU est visiblemen­t sous pression de la part du régime syrien, appuyé par Moscou, afin de faire la différence entre aide humanitair­e et se‐ cours aux sinistrés.

Charles Lister, directeur du programme de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme à l'Institut du Moyen-Orient

L'ONU avait indiqué mardi que l'achemineme­nt par ce passage était perturbé en rai‐ son des routes endomma‐ gées, même si la plateforme de transborde­ment des mar‐ chandises et le point de pas‐ sage lui-même étaient intacts.

Selon le directeur de l'Ob‐ servatoire canadien sur les crises et l'action humanitair­es (OCCAH) à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), François Audet, la transition entre l'aide locale et l'aide in‐ ternationa­le de l'étranger reste possible, puisque les premiers humanitair­es sont les survivants.

« En mode survie »

La région affectée par le séisme [en Syrie] est une grande région dans laquelle il y a énormément d’humani‐ taires locaux et internatio‐ naux, notamment depuis le début de la guerre, a-t-il dit en entrevue au 15-18. Ces huma‐ nitaires vont non seulement aider les déplacés du conflit, mais également les millions de personnes affectées par le tremblemen­t de terre qui ont eux aussi de grands besoins humanitair­es.

À court terme, le plus effi‐ cace ce sont vraiment les dons d’argent [octroyés] aux organisati­ons internatio­nales [sur place] qui pourront trans‐ former [ces sommes] en ser‐ vices sur le terrain parce qu’on est vraiment en mode survie.

François Audet, directeur de l’OCCAH

Les premiers jours après un tremblemen­t de terre comme celui-là, ou comme ce‐ lui que l’on a vu en Haïti [en 2010], la priorité est avant tout aux recherches de survi‐ vants sous les décombres, que ce soit avec de la machi‐ nerie ou même à mains nues dans certains endroits, ex‐ plique M. Audet, donnant

l’exemple des Casques blancs, les secouriste­s des zones re‐ belles en Syrie, qui ont implo‐ ré la communauté internatio‐ nale d’envoyer des équipes pour les aider à retrouver des survivants.

Plus de 3300 bénévoles des Casques blancs se sont mobilisés depuis le séisme, mais il leur manque encore cruellemen­t du personnel et du matériel, rapporte l’AFP.

Après les secours de base, c’est sûr qu’il y aura un énorme besoin au niveau des abris temporaire­s pour les dé‐ placés dans les camps. Et là, on part de zéro. Les gens au‐ ront besoin d’eau, de nourri‐ ture et de soins de santé parce qu’il y a beaucoup de blessés, dit encore M. Audet.

Il existe des organisati­ons internatio­nales bien établies sur le terrain dans le nordouest de la Syrie qui font tout leur possible pour venir en aide aux sinistrés et qui dis‐ posent d’un vaste réseau de contacts, ce qui leur permet d’aider les gens en besoin as‐ sez rapidement.

Charles Lister, directeur du programme de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme à l'Institut du Moyen-Orient

Jeudi, l'Agence américaine de développem­ent (USAID) a annoncé une aide de 85 mil‐ lions de dollars à la Turquie et à la Syrie, soulignant que le fi‐ nancement serait versé à des partenaire­s sur le terrain pour fournir l'aide urgente néces‐ saire à des millions de per‐ sonnes, notamment en ma‐ tière de nourriture et de soins de santé.

L'Union européenne, quant à elle, a envoyé de pre‐ miers secours en Turquie quelques heures après le séisme. Mais elle n'a initiale‐ ment offert qu'une aide mini‐ male à la Syrie par le biais des programmes humanitair­es existants, en raison des sanc‐ tions internatio­nales en vi‐ gueur depuis le début de la guerre civile en 2011.

Mercredi, Damas a officiel‐ lement sollicité l'assistance de l'UE et la Commission a de‐ mandé aux États membres de répondre favorablem­ent à cette requête. Mais selon M. Lister, les sanctions n’af‐ fectent en aucun cas l’aide hu‐ manitaire, surtout celle desti‐ née à Damas. Il reconnaît tou‐ tefois que ces sanctions em‐ pêchent l’envoi de l’argent à des individus en Syrie, des restrictio­ns internatio­nales ayant été imposées sur le sys‐ tème de transfert de monnaie vers ce pays.

Des organisati­ons hu‐ manitaires s'unissent au Canada

Le Canada, de son côté, a annoncé mardi qu'il fournirait 10 millions de dollars en aide humanitair­e d'urgence à la Turquie et à la Syrie. Mercredi, le gouverneme­nt a aussi an‐ noncé qu'il égalait, jusqu'à concurrenc­e de 10 millions, les dons faits entre le 6 et le 22 février à la Croix-Rouge ca‐ nadienne et destinés à ces se‐ cours.

Et quelques heures après le séisme, au moins 12 organi‐ sations canadienne­s ont uni leurs forces sous la bannière de la « Coalition humani‐ taire », pour recueillir des fonds d’urgence destinés aux deux pays sinistrés. Il s’agit de : Action contre la Faim,

Banque canadienne de grains, Canadian Lutheran World Re‐ lief, CARE Canada, Médecins du Monde, Humanité & Inclu‐ sion, Islamic Relief Canada, Oxfam Canada, Oxfam Qué‐ bec, Plan Internatio­nal Cana‐ da, Aide à l'enfance et Vision mondiale Canada.

Il y a des organisati­ons profession­nelles qui sont sur le terrain et qui mettent tout en place pour traduire notre 20 $ ou 200 $ en aide maté‐ rielle sur place, affirme enfin M. Audet, appelant la popula‐ tion à continuer de faire confiance au réseau humani‐ taire. Est-ce qu’il y a eu des ra‐ tés? Certaineme­nt. Mais je suis convaincu [que ces dons] vont pouvoir aider des gens très rapidement.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada