La Banque du Canada va-t-elle trop loin?
De plus en plus d’analystes sont d’avis que la Banque du Canada doit absolu‐ ment cesser d’augmenter son taux directeur pour ne pas nuire à la situation fi‐ nancière des citoyens. Mais le gouverneur de l’institu‐ tion, Tiff Macklem, laisse la porte grande ouverte à une nouvelle hausse de taux en 2023 en raison de l’économie qui demeure re‐ lativement vigoureuse, no‐ tamment sur le marché de l’emploi, ce qui pourrait ali‐ menter encore davantage la hausse des prix.
Dans son discours pronon‐ cé devant le Comité perma‐ nent des finances de la Chambre des communes à Ottawa, jeudi, Tiff Macklem a déclaré que les risques infla‐ tionnistes demeurent élevés. Les prix mondiaux de l’éner‐ gie pourraient rebondir, ce qui ferait monter l’inflation aux quatre coins du globe. Les attentes d’inflation pour‐ raient rester élevées au Cana‐ da et les hausses des coûts de main-d’oeuvre pourraient per‐ sister.
Le 25 janvier, en annon‐ çant une nouvelle hausse de son taux directeur de 25 points de base, la Banque du Canada laissait clairement entendre que la hausse des taux était probablement ter‐ minée. Dans son communi‐ qué, l’institution indiquait que si l’évolution de l’économie est généralement conforme aux perspectives présentées dans le rapport sur la politique mo‐ nétaire, le Conseil s’attend à maintenir le taux directeur à son niveau actuel pendant qu’il évaluera l’incidence des augmentations cumulatives de taux d’intérêt.
Mais, à peine quelques se‐ maines plus tard, le discours de jeudi semblait réévaluer cette pause dans les hausses de taux. Dans son témoi‐ gnage à Ottawa, Tiff Macklem a tenu à préciser, dès le début de son intervention, qu’il s’agit d’une pause condition‐ nelle; elle n’aura lieu que si l’évolution de l’économie est généralement conforme à nos prévisions.
Si de nouvelles données montrant que l’inflation ne baisse pas comme attendu commencent à s’accumuler, nous sommes prêts à relever encore le taux directeur, a ajouté le gouverneur. En évo‐ quant ainsi l’accumulation de données, Tiff Macklem laisse entendre que les dernières statistiques l’inquiètent quant au contrôle de l’inflation.
Statistique Canada rappor‐ tait vendredi dernier qu’il s’est créé 150 000 emplois au pays en janvier. La vigueur du mar‐ ché de l’emploi pourrait ali‐ menter la demande et ainsi faire monter encore davan‐ tage les prix. L’affaiblissement en cours de l’inflation, qui était à 6,3 % en décembre, pourrait être encore plus lent qu’attendu, ce qui pourrait donc amener la banque à considérer une nouvelle hausse de taux.
Une autre hausse… in‐ utile?
Mais après huit hausses de taux, est-ce bien nécessaire d’aller plus loin? Plusieurs ex‐ perts en doutent et invitent la banque centrale à clarifier son message. Dans un rapport pu‐ blié mercredi, le Comité séna‐ torial permanent des banques, du commerce et de l’économie affirme que la Banque du Canada devrait faire preuve d’une plus grande transparence et rendre pu‐ blique périodiquement son évaluation de l’effet qu’ont ses interventions sur l’inflation et sur l’évolution des indicateurs économiques clés.
Lors de leurs travaux, en vue de produire ce rapport sur l’inflation au Canada, les sénateurs ont entendu les té‐ moignages des dirigeants de la Banque du Canada et ceux d’anciens gouverneurs de l’institution et de plusieurs autres experts.
L’ex-directeur parlemen‐ taire du budget Kevin Page est venu dire que la récession qui semble s’annoncer sera auto-infligée à bien des égards, parce que la Banque du Canada et d’autres banques centrales aug‐ mentent les taux d’intérêt pour éliminer délibérément la pression de la demande dans leur économie afin de réduire l’inflation.
Il est d’avis que le risque de commettre une erreur à l’égard de la politique moné‐ taire est très élevé, parce que les hausses des taux d’intérêt mettent du temps à se réper‐ cuter sur l’économie et que les perspectives à court terme sont très incertaines.
Le professeur Steve Am‐ bler, de l’UQAM, a déclaré pour sa part que la banque centrale devrait cesser d’aug‐ menter son taux directeur. L’institution risque d’alimen‐ ter le risque de récession, di‐ sait-il, en allant au-delà d’un taux de 4,25 %. Depuis, la banque a poursuivi son res‐ serrement monétaire alors que le taux directeur est ren‐ du à 4,5 %.
L’économiste a souligné également, dans le cadre de ces travaux, que les dépenses fédérales en 2022-2023 de‐ meurent encore 27 % plus éle‐ vées qu’en 2019-2020, avant la pandémie. Le comité sénato‐ rial est d’avis que les dé‐ penses totales du gouverne‐ ment devraient être limitées et ses investissements de‐ vraient être plus ciblés.
Des facteurs intérieurs
Le comité affirme que les témoins entendus s’ac‐ cordent pour dire que l’infla‐ tion est désormais largement déterminée par des facteurs intérieurs et non plus seule‐ ment par des forces telles que les contraintes de la chaîne d’approvisionnement.
Dans une étude publiée le 25 janvier, les économistes Alexandra Ducharme et Mat‐ thieu Arseneau, de la Banque Nationale, écrivaient que la
Banque doit veiller à ne pas augmenter les taux de ma‐ nière trop restrictive. Il y a un risque de manquer l’objectif d’inflation à la baisse si les problèmes d’offre disparais‐ saient complètement.
Les deux économistes ajoutaient que l’inflation liée à l’offre, qui contribuait encore de manière significative à l’in‐ flation au troisième trimestre [de 2022], s’est également mo‐ dérée selon nos résultats et de nouvelles améliorations sont à prévoir. Au quatrième trimestre, seulement 25 % des entreprises faisaient état de contraintes liées à la chaîne d’approvisionnement, contre 43 % un trimestre aupara‐ vant.
Quoi qu’il en soit, les opé‐ rateurs de marchés misent de plus en plus sur une nouvelle hausse du taux directeur au Canada. Des économistes an‐ ticipent également à une hausse supplémentaire. Le stratège Fred Demers, de la BMO, affirme que la banque pourrait surprendre tout le monde avec une nouvelle hausse de 25 points de base en mars.
Si les données macroéco‐