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Le drame méconnu de la célèbre famille Simard : l’enfer de l’orphelinat

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Priscilla Plamondon Lalancette, Daniel Tremblay, Martin Movilla C’était en 1967, quelques années avant que les P’tits Simard charment le Qué‐ bec avec leurs voix en‐ jouées et deviennent les idoles d’une génération. Ils habitaient à La Baie lorsque leur mère Gabrielle et le petit René Simard sont tombés malades. Les deux ont été hospitalis­és pour une jaunisse à Chi‐ coutimi. Nathalie Simard, elle, n’était pas encore née.

Leur père Jean-Roch éprouvait aussi des pro‐ blèmes de santé. Comme il était incapable de s’occuper de sa famille, un travailleu­r so‐ cial a placé ses quatre autres enfants à l’Orphelinat de l’Im‐ maculée-Conception.

Martin a 10 ans et Lyne est âgée de 11 ans lorsqu’ils entrent dans l’établissem­ent en forme de croix dirigé par les Petites Franciscai­nes de Marie. Dès la première jour‐ née, ils disent subir un cal‐ vaire. Des religieuse­s les ac‐ cusent d’avoir rendu leurs pa‐ rents malades et leur disent qu’ils vont devoir payer pour leurs péchés. Elles ont tenu parole, se souvient Martin.

Celui qui a fait carrière en musique pendant plus de deux décennies a été marqué par la cruauté mentale et la cruauté physique des bonnes soeurs. C’était une prison, un genre de camp de concentra‐ tion, assure l’homme de 65 ans.

C’était la fin du monde. C’est comme si tu étais dans une maison de l’horreur, ex‐ plique sa soeur Lyne Simard.

À l’orphelinat, les châti‐ ments se succèdent lorsque le frère et la soeur font pipi au lit, que ce soit les coups de strap ou des raclées avec le frap‐ poir. Plus on pleurait, plus elles en donnaient, se sou‐ vient Martin.

Un jour, Lyne a vu une fillette nue être humiliée et frappée sauvagemen­t par des franciscai­nes. Cette scène lui a créé un choc émotionnel.

Ce n’était pas humain. Elles lui ont déchiré le pyjama sur le dos et l’ont battue avec des cuillères, une en bois et une en métal. Après ça, je ne me souviens plus de rien. C’est le blackout total, relate la dame de 67 ans. Traumatisé­e, la pe‐ tite Simard longe les murs et tente de se faire oublier. La violence systémique et les agressions physiques de cer‐ taines révérendes mères l’op‐ pressent à un point tel qu'elle tente de mettre fin à ses jours.

Je voulais mourir. Je ne voulais plus vivre ça. J’ai es‐ sayé de m’étouffer dans une taie d'oreiller.

Lyne Simard, survivante de l’orphelinat

Ça a brisé quelque chose au-dedans. En sortant de l'or‐ phelinat, on m'a diagnostiq­ué une dépression. C'était trop pour moi, se désole Lyne. Elle se rappelle que son père n’ar‐ rivait pas à croire qu’une en‐ fant en si bas âge puisse rece‐ voir un tel diagnostic.

Martin raconte qu’un jour il a été forcé de manger son vomi par les représenta­ntes de Dieu. Lors d’un repas, les religieuse­s ont servi une sa‐ lade de chou que Martin a ap‐ préciée. Et comme il a osé en redemander, les soeurs ont voulu lui donner une leçon en lui servant un énorme bol. Je vomissais là-dedans et il a fal‐ lu que je le mange, révèle-t-il avec dégoût. Il est persuadé que ce souvenir, qui lui donne encore des haut-le-coeur, va le hanter jusqu’à la fin de sa vie.

Cette histoire, il l’a long‐ temps cachée à ses proches, qui comprennen­t mal son dé‐ dain de la nourriture. Pendant des années, lors de soupers de bureau, Martin allait man‐ ger des sandwichs en ca‐ chette dans son auto. Ça a laissé des séquelles, assure-til. Les horreurs de l’orphelinat lui ont créé un sentiment d’in‐ sécurité. Encore aujourd’hui, il estime que sa guérison est loin d’être finie.

Sauvés par la musique

Martin et Lyne ont fait des démarches pour en ap‐ prendre plus sur cet épisode de leur histoire qui est de‐ meuré tabou. Selon des docu‐ ments officiels, ils seraient restés environ trois mois à l’orphelinat. Leur séjour leur a pourtant paru une éternité. Après une heure, c'était déjà trop, souligne Martin. Ce sont des membres de leur famille qui les ont sortis de là après avoir eu vent de la maltrai‐ tance dont ils étaient vic‐ times.

Imaginez ceux qui sont restés longtemps, c'est atroce.

Il y en a qui ne s’en sont pas sortis, souligne Lyne. Les soeurs ont laissé dans leur sillage des enfants brisés. Plu‐ sieurs survivants ont vécu dans la pauvreté, avec des problèmes psychologi­ques. D’autres se sont enlevé la vie, incapables de voir la lumière au bout du tunnel.

Nous autres, on s’en est sortis parce qu’on a eu de l’amour après l’orphelinat, ex‐ plique Lyne. La famille Simard était tissée serrée. C’est cet amour de la famille et la mu‐ sique qui les a sauvés.

Peu de temps après que les enfants eurent quitté l’or‐ phelinat maudit, les Simard ont déménagé à l’île d’Or‐ léans.

Leur passion commune pour la musique a permis aux frères et soeurs de croire en des jours meilleurs. Les âmes écorchées ont alors enfoui leur secret lourd à porter. La musique, c’est fait pour ou‐ blier les soucis de la vie, confie Martin. On était là pour diver‐ tir les gens. Ce qu’on a vécu est resté caché, explique-t-il.

On a commencé à chanter à l'église à l'île d'Orléans. On faisait les enterremen­ts, les mariages, les baptêmes. Ce n'est pas longtemps après ça que René a commencé à être populaire , se souvient Lyne.

La vie des Simard a ensuite bien changé. Avec leur célèbre ritournell­e des poudings Lau‐ ra Secord, les P’tits Simard ont marqué l’imaginaire et sont devenus les enfants chou‐ chous du Québec.

Depuis qu’ils ont quitté l’orphelinat, 56 ans se sont écoulés. Mais ce n’est que ré‐ cemment que Lyne et Martin se sont aperçus qu’ils n’étaient pas les seuls à avoir subi les supplices des reli‐ gieuses en entendant les ré‐ cits d’autres survivants.

Ils ont décidé de raconter leur histoire publiqueme­nt pour se délivrer de leurs souf‐ frances, mais surtout pour ai‐ der les oubliés du système des orphelinat­s catholique­s.

En quête de justice

L’histoire des orphelins de Duplessis a fait grand bruit dans les années 1990. Les pre‐ miers qui ont été reconnus par le gouverneme­nt sont les enfants traités à tort comme des déficients mentaux dans des orphelinat­s transformé­s en asiles. Cette supercheri­e de l'Église et de l'État permettait d’obtenir plus d’argent d’Otta‐ wa.

En 2001, Québec a mis sur pied un programme national de réconcilia­tion et versé une aide financière moyenne de 25 000 $ aux orphelins inter‐ nés injustemen­t.

D'autres enfants de Du‐ plessis, maltraités et abusés dans les orphelinat­s, ont été reconnus en 2006 dans le cadre d’une deuxième mou‐ ture du programme. Les vic‐ times peuvent toucher 15 000 $, mais à condition d’avoir vécu au moins deux ans dans ces institutio­ns.

De guerre lasse, de nom‐ breux survivants ont accepté ces sommes qu’ils jugent déri‐ soires et qui ne sont ni une compensati­on ni une indem‐ nisation pour les sévices su‐ bis.

Les 5500 Québécois qui ont reçu cette aide ont dû si‐ gner une quittance qui les empêche de poursuivre le gouverneme­nt et les congré‐ gations religieuse­s. Pourtant, l’Église catholique n’a pas dé‐ boursé un sou pour les vic‐ times.

Comme Lyne et Martin Si‐ mard, 2200 survivants des or‐ phelinats n’ont toutefois reçu aucune reconnaiss­ance du

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