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Maladie inconnue : des patients doutent de leur diagnostic et se sentent abandonnés

- Nicolas Steinbach

Il y a un an, la santé pu‐ blique du Nouveau-Bruns‐ wick décrétait que le syn‐ drome neurologiq­ue de cause inconnue n'existait pas. En mettant fin à son enquête, le gouverneme­nt a laissé le groupe d'une cin‐ quantaine de patients de‐ vant un nouveau mystère : de quoi sont-ils atteints?

Aujourd'hui, l’état de santé de certains d'entre eux conti‐ nue à se détériorer.

Des familles que nous avons rencontrée­s affirment que depuis la publicatio­n des rapports et la fin de l’enquête provincial­e, elles ont le senti‐ ment que les autorités pu‐ bliques ne s'intéressen­t plus à leurs maladies.

Certains patients n’ont même jamais reçu de diag‐ nostic potentiel de la pro‐ vince.

En février l'an dernier, le Nouveau-Brunswick a décrété que le syndrome neurolo‐ gique de cause inconnue n'existait pas.

Le rapport du groupe d’ex‐ perts a néanmoins reconnu que les patients qui étaient originelle­ment inclus dans la grappe [de cas présumés] ont des problèmes de santé connus graves qui ont une in‐ cidence profonde sur leur vie [...] et que plusieurs ont be‐ soin d’une évaluation et de soins de suivi urgents.

Tous les patients visés par cette enquête devraient avoir accès à des soins continus sous la supervisio­n d’un spé‐ cialiste, pouvait-on lire le 22 février 2022 dans le rap‐ port du comité de sur‐ veillance du syndrome neuro‐ logique potentiel de cause in‐ connue.

Les neurologue­s du comi‐ té de surveillan­ce ont dressé une liste de diagnostic­s pos‐ sibles pour 41 des 48 patients de la grappe de cas.

Des doutes et puis plus rien

Le 12 janvier 2022, les six neurologue­s du comité de surveillan­ce du NouveauBru­nswick en viennent à la conclusion que Luc Leblanc souffre très probableme­nt d’un trouble anxieux chro‐ nique grave.

Le comité n’a pas trouvé de signes cliniques ou radiolo‐ giques suggérant une maladie neurodégén­érative, peut-on lire dans la lettre du comité de surveillan­ce adressée à Luc Leblanc.

Ils recommande­nt ce qui suit : nouvelle évaluation cog‐ nitive en neurophysi­ologie. J’ai appelé, et la personne n’était pas intéressée d’être impli‐ quée avec mon dossier. Aussi, un aiguillage vers un psy‐ chiatre pour traiter le trouble de l’humeur du patient. Mon médecin de famille a envoyé des demandes à tous les psy‐ chiatres et on n’a reçu aucune réponse, nous dit Luc Le‐ blanc.

Une fois que la province a mis son diagnostic, il n'y a plus personne de la province qui a voulu parler. Peut-être qu’ils parlent à d’autres per‐ sonnes, mais à moi, person‐ nellement, plus rien.

Luc Leblanc

Luc Leblanc, 43 ans, est un des patients de la grappe de cas référé par le Dr Alier Mar‐ rero, le neurologue qui avait sonné l'alarme sur l'existence d'un syndrome neurologiq­ue inconnu au Nouveau-Bruns‐ wick.

M. Leblanc souffre de perte de mémoire à court terme, de spasmes et des pertes de masse musculaire. Il continue d’avoir des doutes sur le diagnostic proposé par la province.

Des spasmes musculaire­s, ça me saute partout. Je ne suis pas médecin, mais je doute beaucoup de ce qui a été écrit. Je ne comprends vraiment pas comment ils se sont rendus à ce diagnostic fi‐ nal, dit-il.

Commotion cérébrale et anxiété

À l’automne 2021, Luc Le‐ blanc a obtenu une contre-ex‐ pertise à l’hôpital Toronto Western. Des experts lui avaient alors indiqué qu’il n’était pas atteint d'un nou‐ veau syndrome, mais que ses symptômes étaient plutôt liés à une commotion cérébrale qu’il a subie en 2018 dans un accident de voiture, et à de l’anxiété.

Il avance que son état de santé à continuer à se dété‐ riorer, comme celui de Carol Clark, elle aussi patiente du Dr Marrero. Ce neurologue, qui travaille toujours au Centre hospitalie­r universi‐ taire Dr-Georges-Dumont, à Moncton, a identifié 46 des 48 patients de la « grappe »

en 2020 et 2021.

Depuis que le verdict de la province est tombé sur l’in‐ existence du syndrome, Carol Clark affirme n’avoir reçu au‐ cun accompagne­ment ou sui‐ vi de la province.

Ils nous ont dit qu’on n’avait pas de syndrome in‐ connu, que tout est OK, mais ce n’est pas OK pour nous, les patients, et de faire subir ça à nos familles, dit-elle.

Un choix incompréhe­n‐ sible

En juillet 2022, le Réseau de santé Horizon envoie une lettre aux patients les infor‐ mant que le Dr Alier Marrero ne travailler­a plus à la clinique MIND, la clinique interdisci­pli‐ naire des maladies neurodé‐ générative­s de Moncton.

Horizon ne fournit aucun détail sur les raisons de son départ ou les circonstan­ces entourant cette décision.

Nous étions à la clinique MIND lorsque le Dr Marrero était là, mais dès qu’ils l’ont renvoyé, on a décidé de le suivre. Ils nous ont donné un choix : restez avec Marrero ou restez à la clinique MIND. Hors de question que nous restions là-bas avec quelqu’un d’autre qui ne s'intéresse pas à nous, fait valoir Victor Clark, le conjoint de Carol Clark.

Un choix que ne parvient pas à s’expliquer non plus Luc Leblanc.

Carol Clark, qui a au‐ jourd’hui 76 ans, est aux prises avec différents symp‐ tômes depuis trois ans : trem‐ blements, fatigue extrême, problèmes de mobilité, atro‐ phie musculaire.

Le 9 février 2022, le comité de surveillan­ce de la province lui fait parvenir une lettre dans laquelle il conclut que les symptômes de Carol Clark s’apparenten­t à la maladie à corps de Lewy, un type de dé‐ mence.

Ils m’ont étiqueté un syn‐ drome et c’est tellement déce‐ vant ils n’ont même pas regar‐ der mes dossiers médicaux, ils ne m’ont pas ausculté, dit-elle.

Ils m’ont diagnostiq­ué la maladie à corps de Lewy et je suis sûr que ce n’est pas ça parce que j’ai été testé pour cette maladie à trois diffé‐ rentes occasions par le Dr Marrero. Cette maladie s’attaque à la mémoire et je peux vous garantir que ma mémoire est parfaite, affirmet-elle.

Son appétit est revenu, mais Carol Clark affirme que son état de santé continue aussi de se détériorer. C’est un syndrome dégénérati­f, ma mobilité se détériore et mes mouvements et j’ai des étour‐ dissements.

Le réseau de santé Hori‐ zon nous a refusé l'accès à la clinique interdisci­plinaire et décliné notre demande d’en‐ trevue avec un neurologue de l’établissem­ent.

Dans une déclaratio­n écrite, le réseau indique que depuis son ouverture il y a près de trois ans, la clinique a vu plus de 300 patients.

Des patients testés pour le glyphosate

Luc Leblanc, Carol Clark et plusieurs autres familles de la grappe initiale de patients à qui nous avons parlé ont déci‐ dé de rester avec le Dr Marre‐ ro.

Ils continuent à subir des imageries du cerveau et diffé‐ rents tests. Le dernier en liste, selon les patients, est un test d'urine.

C’est pour le glyphosate qu’ils épandent dans la pro‐ vince. Le pourquoi ne m’a pas été vraiment dit, mais la cli‐ nique m’a mentionné que tous les patients à Dr Marrero allaient être testés. Il y a quelque chose, mais je ne sais pas c’est quoi, dit Luc Leblanc.

Carol Clark confirme qu'elle fera ce test lors de sa prochaine visite au bureau du Dr Marrero dans quelques se‐ maines.

Le gouverneme­nt doit agir maintenant parce qu’il semble que de plus en plus de per‐ sonnes en sont atteintes et de plus en plus jeunes et ne rien faire c’est un crime, af‐ firme Carol Clark. Elle appelle à ce que la province reprenne l’enquête sur les causes po‐ tentielles.

Le Réseau de santé Vitalité nous a indiqué ne pas être im‐ pliqué dans aucun projet de recherche sur le glyphosate, que le Dr Marrero souhaite se concentrer sur les soins aux patients, et qu'il n’émettra au‐ cun commentair­e.

J’aimerais que la province fasse plus de recherche. Qu’on reçoive un encadremen­t avec des psychologu­es, des psy‐ chiatres. Dr Marrero devrait avoir de l'aide de d'autres de la province et de l’extérieur. Il devrait avoir des études de faites, dit de son côté Luc Le‐ blanc.

M. Leblanc n’a pas encore eu son résultat d’analyse.

Pas de commentair­e

Le réseau de santé Vitalité nous a indiqué que la viceprésid­ente aux Affaires médi‐ cales du réseau, la Dre Natha‐ lie Banville, une des co-prési‐ dentes du comité de sur‐ veillance sur le syndrome neurologiq­ue potentiel de cause inconnue, n’accordera pas d’entrevue à ce sujet.

Moi je trouve que la pro‐ vince devrait faire beaucoup plus pour essayer de trouver une cause pour aider les gens futurs.

Luc Leblanc

En novembre, certaines fa‐ milles et certains patients du groupe, dont Carol Cark et Luc Leblanc, ont fait parvenir une lettre aux ministres de la Santé et aux médecins hygié‐ nistes en chef provincial et fé‐ déral, les sommant d’ouvrir une enquête sur les causes de leur maladie.

Ils demandent aussi que le Dr Alier Marrero fasse partie du processus.

Dans la conclusion du rap‐ port du comité de sur‐ veillance, il était également souligné que l'absence d’un processus fédéral-provincial défini pour l’identifica­tion et la recherche d’une nouvelle maladie ou condition a susci‐ té beaucoup de spéculatio­n et de méfiance de la part du public.

Le ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick a décliné notre demande d’entrevue, ainsi que la médecin-hygié‐ niste en chef de la province.

Dans une déclaratio­n écrite, le ministère de la Santé nous indique qu’il continue de travailler avec l'Agence de la santé publique du Canada pour améliorer la communica‐ tion et le partage des don‐ nées entre les bureaux.

L’Agence avait été impli‐ quée avec le Dr Alier Marrero dans l'identifica­tion et la clas‐ sification des premiers pa‐ tients de la grappe par le biais du système de surveillan­ce de la maladie de Creutzfeld­t-Ja‐ kob en raison des symptômes des patients qui s'apparen‐ taient à ceux de cette mala‐ die. Cependant, les tests effec‐ tués s’étaient tous révélés né‐ gatifs.

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