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Démantèlem­ent du pont Champlain : protéger à tout prix le Saint-Laurent

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La disparitio­n du pont Champlain, autrefois icône du paysage montréalai­s, a comporté son lot de défis. Pendant des mois, les ingé‐ nieurs ont travaillé à dé‐ monter l'imposante struc‐ ture, en prenant soin de récupérer le béton et l'acier et de protéger le fleuve, lieu de refuge pour des dizaines d'espèces.

Mis à rude épreuve par les hivers québécois, le pont construit à la fin des années 1950 avait dû être renforcé au fil des ans avant que son ac‐ cès soit définitive­ment fermé, le 28 juin 2019.

Longue de 3,4 kilomètres, la structure qui reliait Mont‐ réal à Brossard, en passant par l'île des Soeurs, était com‐ posée de 200 000 tonnes de béton et de 25 000 tonnes d'acier. Des matériaux que les travailleu­rs ont récupérés plu‐ tôt que de les laisser sombrer au fin fond du Saint-Laurent.

Contrairem­ent à d'autres ponts condamnés, le pont Champlain n'avait pas pour vocation d'être détruit à coups d'explosifs. Les ingé‐ nieurs ont misé sur un dé‐ mantèlemen­t de la structure, en évitant toute manoeuvre susceptibl­e de provoquer son effondreme­nt dans le fleuve.

Antoine Audoynaud, direc‐ teur de projet du consortium Nouvel Horizon St-Laurent (NHSL), qui réunit les firmes d'ingénierie responsabl­es des travaux, préfère parler de dé‐ constructi­on, non pas [de] dé‐ molition.

Les équipes coordonnan­t la destructio­n du pont vou‐ laient en outre éviter que les opérations viennent pertur‐ ber le fragile écosystème du fleuve habité par des pois‐ sons et des oiseaux, dont des espèces au statut précaire. Il fallait notamment s'assurer que les pièces du pont ne se retrouvent pas dans l'eau puisque les graisses, les pein‐ tures et le plomb les compo‐ sant auraient pu mettre à risque ces population­s.

Le pont Champlain en chiffres

3,4 kilomètres de long 200 000 tonnes de béton 25 000 tonnes d'acier 42 tra‐ vées retirées 48 piles et 45 se‐ melles déconstrui­tes 92 treillis modulaires démontés

Déconstrui­re sans per‐ turber la faune

Pour mener à bien cette délicate opération, chaque tonne déplacée a été au préa‐ lable calculée. Et chaque étape, pensée dans l'optique de ne pas bouleverse­r les es‐ pèces qui peuplent le SaintLaure­nt.

Le fleuve Saint-Laurent a été très perturbé par le passé, explique Philippe Larouche, chargé de projet en environ‐ nement chez Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI), la société d'État fédérale qui pilote le démantèlem­ent.

C'est important qu’on mo‐ difie nos façons de faire, qu'on mette en place les me‐ sures les plus innovantes, les plus respectueu­ses de l'envi‐ ronnement.

Philippe Larouche, chargé de projet en environnem­ent chez PJCCI

Le travail de déconstruc‐ tion, qui a été lancé en août 2020, a nécessité l'installati­on d'une immense jetée tempo‐ raire dans le secteur de l'île des Soeurs. Près de 120 000 tonnes de roches ont été déversées dans le fleuve pour permettre aux équipes de procéder au démantèle‐ ment du tablier du pont à même la terre ferme plutôt que dans l'eau.

Les pierres de la jetée ont été choisies pour éviter qu'il y ait de l'érosion ou que des matières en suspension des‐ cendent dans le fleuve, sou‐ ligne Philippe Larouche.

Le reportage de Domi‐ nique Forget et d'Hélène Mo‐ rin sera diffusé à l'émission Découverte le dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Té‐ lé.

Comme la jetée se trouvait sur la route migratoire de plu‐ sieurs espèces de poissons –

comme l'achigan et l'estur‐ geon jaune, susceptibl­e d'être désigné espèce vulnérable –, des couloirs ont été aména‐ gés afin de permettre à l'eau de s'écouler tout au long des travaux.

L'océanograp­he Stéphane Lorrain, qui a supervisé l'ins‐ tallation de ces passages, rap‐ pelle que les poissons ont l'habitude de remonter le courant au printemps pour al‐ ler chercher des substrats. Certaines espèces peuvent monter jusqu'aux rapides de Lachine, note-t-il.

Des caméras sous-marines et des électrodes ont permis de suivre les déplacemen­ts des poissons. Signe du succès des installati­ons, selon Sté‐ phane Lorrain, les montai‐ sons ont atteint des centaines de poissons par jour au mois de mai 2021.

D'autres équipes ont plu‐ tôt eu à l'oeil les hirondelle­s à front blanc, dont les popula‐ tions ont connu un déclin au pays.

Ces oiseaux qui ont ten‐ dance à faire leur nid dans les parois rocheuses avaient élu domicile dans la structure du pont Champlain. Bien que des filets aient été installés sous les tabliers du pont pour dé‐ courager les hirondelle­s de s'y loger, certains nids se trou‐ vaient encore sur les bor‐ dures du pont.

Mais pas question de dé‐ manteler la structure tant que les oisillons s'y trouvaient, de crainte de perturber la pé‐ riode de nidificati­on. Chaque découverte d'un nid actif a entraîné un arrêt des opéra‐ tions et forcé les équipes à re‐ voir le phasage des travaux, selon Philippe Larouche.

Des milliers de tonnes de matériaux récupérées

Ce n'est qu'une fois rendu sur les barges flottantes ou sur les rives du fleuve que dif‐ férents éléments du pont ont pu être déconstrui­ts ou dé‐ truits pour en recycler les ma‐ tériaux.

Les équipes se sont d'abord attaquées aux treillis qui avaient été installés pour renforcer les poutres de bé‐ ton endommagée­s par les sels de déglaçage. À l'été 2021, des travailleu­rs installés sur des plateforme­s flottantes ont doucement fait des‐ cendre ces immenses pièces de 50 tonnes.

Amenés sur les quais, ces treillis ont été démantelés avant de prendre le chemin des fonderies. Ils y sont trans‐ formés soit en poutres d'acier, soit en éléments de véhicules, cite en exemple An‐ toine Audoynaud.

Sur la quarantain­e de tra‐ vées d'approche qui compo‐ saient le pont, 30 ont été dé‐ construite­s à partir de l'eau, entre la jetée de l'île des Soeurs et la voie maritime du Saint-Laurent.

Cette difficile tâche a été réalisée grâce à une impo‐ sante barge-catamaran. Sa su‐ perficie, qui couvre l'équi‐ valent de deux patinoires de la LNH, et son système de le‐ vage, qui peut atteindre neuf étages et soulever jusqu'à 4800 tonnes, lui ont valu le surnom de « géant du fleuve ».

Comme la barge-catama‐ ran atteignait près de 5500 tonnes une fois la travée délo‐

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