Radio-Canada Info

Un an de guerre en Ukraine : « Devant nous, il n’y a que la victoire! »

- Yanik Dumont Baron

Ils ont perdu des proches, ont eu peur et ont vécu dans des sous-sols. Douze mois de combats ne sont pas venus à bout des Ukrai‐ niens. Ils se sont adaptés à cette guerre qui n’en finit pas; plusieurs l’ont même incluse dans leur quoti‐ dien.

La sirène d’alerte aérienne sonne sur le téléphone, mais elle ne freine pas la boulan‐ gère. Un autre missile vole en direction de Kharkiv. Peu im‐ porte : la femme verse la fa‐ rine dans son bol.

Elle demeure stoïque, non seulement parce que la cui‐ sine où elle travaille est un lieu sûr, installée dans un sous-sol, mais aussi parce que depuis l’invasion russe, Khar‐ kiv en a vu d’autres.

À l’automne, un de ces missiles s’est écrasé devant le commerce. Un client a été blessé, le personnel a été se‐ coué, se rappelle la gérante, Valentyna. Mais le lendemain, tout était nettoyé et le travail a repris.

Le pain qui rassemble et qui nourrit

Impossible de faire autre‐ ment ici, car trop de gens dé‐ pendent de ce commerce. Du‐ rant les semaines qu’a duré le siège, il n’y avait qu’ici qu’on pouvait trouver du pain dans tout Kharkiv.

On a offert jusqu’à 2000 miches de pain chaque jour. On les distribuai­t par une petite fenêtre dans la boutique. Il y avait une file monstre! Il fallait le voir! Les gens venaient malgré les tirs, dit-elle.

Les troupes russes ont été chassées de la ville en mai. Les besoins urgents ont diminué, mais ils n’ont pas disparu. Ces temps-ci, les miches de pain sont offertes à ceux qui ha‐ bitent près des combats.

Au cours de la dernière an‐ née, nous avons compris à quel point le pain est impor‐ tant. Les gens en ont grande‐ ment besoin dans des temps pareils. C’est pour ça que nous en offrons beaucoup.

Valentyna, boulangère à Kharkiv

Avec le conflit, la boulan‐ gerie a perdu son nom, un jeu de mots en langue russe, maintenant de mauvais goût. Les employés ont cependant trouvé leur raison d’être dans un pays où le quotidien est bousculé par la guerre.

Ici, personne ne se dit épuisé après un an de conflit. On est passés au travers du pire, assure Valentyna. Et de‐ vant nous, il n’y a que la vic‐ toire. Ici, personne n’en doute.

Se rendre utile

Cet état d’esprit semble se trouver un peu partout au pays. Il prend différente­s formes, selon les moyens et les contacts des Ukrainiens. Certains utilisent leurs connaissan­ces. D’autres se mettent en danger.

Ce sont souvent des civils qui évacuent leurs compa‐ triotes des zones les plus tou‐ chées par l’artillerie. Des in‐ connus qui apportent des jouets aux enfants restés dans cet enfer, qui offrent un peu de nourriture à leurs pa‐ rents.

Zhenya fait partie de ceuxlà. Grand, souriant, il a mis de côté son travail dans une firme de marketing web pour coordonner ces efforts d’en‐ traide. Depuis, il ne compte plus les heures.

On sauve des vies. Pas plus tard que la semaine der‐ nière, j’ai évacué des gens des secteurs chauds, près des combats. Il y avait cette femme qui ne sentait plus ses jambes. Elle a passé trop de temps cachée au sous-sol.

La femme a été conduite à l’hôpital. Une compatriot­e de plus à l’abri. Cela n’efface pas le souvenir de ceux qui n'étaient plus là lorsque Zhe‐ nya est repassé, quelques se‐ maines plus tard.

Alimenter Lyman, ville fantôme

Régulièrem­ent, une équipe de bénévoles quitte Kharkiv en direction des combats, les véhicules pleins de nourriture, de chandelles et de vête‐ ments chauds.

Ils sont accueillis par une cinquantai­ne de résidents dans une Lyman en grande partie détruite. Il n’y a ni eau courante ni chauffage. L’élec‐ tricité et le téléphone sont ra‐ rement disponible­s.

Personne ne se presse : chacun aura sa part. Les anti‐ biotiques et autres médica‐ ments sont très demandés. On en réclame pour le coeur, pour la pression, contre la fièvre ou contre les douleurs.

Les gens disent merci et retournent lentement dans ce qui leur sert d’abri. Zhenya as‐ sure lire beaucoup de grati‐ tude dans leurs regards.

Ce midi, l’ambiance est dé‐ tendue. Certains résidents flânent et discutent avec les visiteurs. Un répit pour une équipe qui travaille de longues heures, parfois sous les tirs ennemis.

Lors d’un récent voyage dans un village très près du

front, des bénévoles ont été ciblés par les tanks russes. On s’est cachés durant deux heures. C’était effrayant, dit l'un d'eux.

Une frousse qui laisse des traces. Ça fait un an que je fais ce genre de choses, mais cette fois-là m’a marqué. J’ai eu be‐ soin de dormir longtemps une fois rentré à la maison. Ce n’est pas entre nos mains.

Un deux-pièces pour cinq personnes

Tous n’ont pas cette éner‐ gie ni cette volonté. Surtout pas ceux qui viennent de tout perdre. C’est évident en fin de journée dans la cour d'un énorme complexe de bâti‐ ments de style soviétique.

La Croix-Rouge ukrai‐ nienne est venue offrir un re‐ pas chaud à des déplacés. Du riz pilaf à manger dans la pe‐ tite chambre d’un vieux dor‐ toir universita­ire.

Une jeune femme nous in‐ vite à la suivre dans des corri‐ dors sombres. Tout est brun, mal éclairé. La cuisine et les toilettes communes sont im‐ maculées. Une triste am‐ biance flotte dans l’air.

L’odeur qui s’échappe de la petite pièce où nous sommes invités est très forte, voire re‐ poussante. Un rideau de douche rose et vert tendu par une ficelle offre un peu d’inti‐ mité entre les lits.

Deux adolescent­s par‐ tagent cette chambre et une autre avec leurs parents et leur grand-mère. Tous resca‐ pés de Kupiansk, à une cen‐ taine de kilomètres de Khar‐ kiv. Une ville maintenant trop près des combats.

Tout ce que possède la fa‐ mille tient dans ces deux pièces. Presque tout leur a été donné. Ils sont arrivés ici au lendemain de Noël. Ils ne semblent pas encore remis du choc.

Tout allait bien. J’avais un emploi stable, mes fils étu‐ diaient. Et puis, boum! Du jour au lendemain, les ''libéra‐ teurs'' sont arrivés. Ils nous ont libérés de tout.

Oleksandr, un père de fa‐ mille qui a tout perdu

La grand-mère reste silen‐ cieuse. Des larmes roulent sur ses joues lorsqu’elle se voit sur une photo prise dans le dortoir. La réalité qui frappe d’un coup. Le vide devant soi.

Zaryna, l’épouse d’Olek‐ sandr, refuse de montrer Vla‐ dimir Poutine du doigt. À quoi bon, sinon revivre tous ces traumatism­es encore une fois? Pourquoi tourner le fer dans la plaie?

Ce sont eux qui décident, souffle-t-elle. Eux, les politi‐ ciens, les diplomates, les sol‐ dats. Ce n’est pas entre nos mains. On ne peut pas effacer tout ce qui s’est passé.

Maintenant, il ne reste plus qu’à tout rebâtir. Mais par où recommence­r?

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