Amnistie internationale dénonce la répression de l’État péruvien envers les Autochtones
Selon les premiers résul‐ tats d'une enquête d'Am‐ nistie internationale, les autorités péruviennes ont utilisé des moyens illégaux pour réprimer les manifes‐ tations qui ont lieu au pays depuis la destitution du président Pedro Castillo en décembre dernier, et cette violence est plus marquée dans les régions à majorité autochtone.
De profondes divisions po‐ litiques troublent depuis quelque temps déjà l'équilibre du Pérou. Des manifestants s'organisent dans plusieurs régions, réclamant la démis‐ sion de la présidente Dina Bo‐ luarte et la tenue de nouvelles élections.
La répression du nouveau gouvernement face à ces ma‐ nifestations est forte et, selon une déclaration de l'orga‐ nisme Amnistie internatio‐ nale, depuis le début, l'armée et la police nationale péru‐ vienne (PNP) ont utilisé illéga‐ lement et sans discernement des armes meurtrières et d'autres armes à létalité ré‐ duite contre la population, en particulier contre des membres de communautés autochtones et paysannes.
Au début du mois de dé‐ cembre 2022, le président de gauche, Pedro Castillo, accusé de corruption, devait faire face à un vote du congrès pé‐ ruvien concernant sa destitu‐ tion. Dans le but d'éviter le vote, le président a annoncé la dissolution du congrès, et son intention de mettre en place un gouvernement d'ur‐ gence.
Ces décisions ont été criti‐ quées rapidement et forte‐ ment par ses opposants, si bien que Pedro Castillo a été accusé de tentative de coup d'État, démis de ses fonctions et emprisonné. C'est ainsi que la vice-présidente Dina Bo‐ luarte est devenue présidente par intérim.
Une enquête sur la vio‐ lation des droits de la per‐ sonne
Depuis, des blocages de routes et des manifestations de toutes sortes ont lieu un peu partout au pays. Le 31 janvier dernier, face aux échos de répressions brutales de la part du nouveau gou‐ vernement, Amnistie interna‐ tionale a chargé une équipe d'enquêter sur de possibles violations graves des droits de la personne au Pérou.
L'enquête qui se déroule actuellement dans les diffé‐ rentes régions du Pérou nous montre que le but des mani‐ festants est d'exprimer un ras-le-bol face à la manière dont est géré le pays, en ma‐ tière de politique, mais aussi par rapport à la protection des droits humains, explique France-Isabelle Langlois, di‐ rectrice générale d'Amnistie internationale Canada franco‐ phone, en entrevue avec Es‐ paces autochtones.
Le droit de manifester li‐ brement et sécuritairement est essentiel à toute démocra‐ tie, et nous remarquons que ce droit est de plus en plus souvent bafoué. L'enquête nous montre que le cas du Pérou actuellement est parti‐ culièrement probant, ajoutet-elle.
Par voie de communiqué, jeudi, la directrice des Amé‐ riques d'Amnistie internatio‐ nale, Erika Guevara Rossa, a accusé les autorités péru‐ viennes d'avoir permis, pen‐ dant plus de deux mois, que l'usage excessif et meurtrier de la force soit la seule ré‐ ponse du gouvernement face aux doléances de milliers de communautés qui réclament aujourd'hui la dignité et un système politique qui garan‐ tisse leurs droits humains.
En effet, le bilan du nombre de manifestants tués depuis décembre au Pérou at‐ teint maintenant près de 50, et plusieurs centaines ont été blessés.
L'enquête a également soulevé que bien que les ma‐ nifestations aient eu lieu dans l'ensemble du pays, la vio‐ lence et le nombre potentiel de décès arbitraires lié à la ré‐ pression gouvernementale est disproportionnellement concentré dans les régions où la majorité de la population est autochtone.
Durant l'enquête, des di‐ zaines de personnes issues de la population autochtone du Pérou ont déclaré à Amnistie internationale qu'elles se sen‐ taient traitées par les autori‐ tés comme des animaux et non comme des êtres hu‐ mains, selon le communiqué.
Le racisme systémique, en‐ raciné dans la société péru‐ vienne et au sein de ses insti‐ tutions depuis des décennies, a été le moteur de la violence exercée comme sanction contre les communautés qui ont élevé la voix
Erika Guevara Rosas, direc‐ trice pour les Amériques à Amnistie internationale
Selon l'organisme, depuis le début des manifestations, le gouvernement tient un dis‐ cours stigmatisant envers les manifestants et justifie sa ré‐ pression en affirmant sans preuve que leur action est liée au terrorisme et à des groupes criminels.
Lorsque le discours d'État vise à criminaliser les actions de protestation, c’est toute la société qui y perd.
Marina Navarro, directrice d'Amnistie internationale Pé‐ rou
Au début du mois de fé‐ vrier, face aux réactions de l'organisme et de la commu‐ nauté internationale, le gou‐ vernement du Pérou s'est dit ouvert à dialoguer avec les manifestants ainsi qu'avec les différents intervenants.
Le 15 février dernier, Am‐ nistie internationale a d'ailleurs rencontré la prési‐ dente Dina Boluarte pour lui présenter les premières conclusions de l'enquête et recommander à son gouver‐ nement une série de mesures devant, selon lui, être mises en oeuvre immédiatement dans une démarche antira‐ ciste.
Quelques jours plus tard, le gouvernement du Pérou n'a toujours pas fait suite aux recommandations, indique France-Isabelle Langlois.