Radio-Canada Info

La guerre a changé la vie de Canadiens d’origine russe

- Sébastien Desrosiers

Un an après le début de la guerre en Ukraine, l'am‐ bassadeur russe à Ottawa affirme que le Canada est devenu un « pays très dan‐ gereux » pour ses compa‐ triotes. Des membres de la communauté russe ré‐ futent ces propos, mais ad‐ mettent tout de même que leur vie a changé ces derniers mois.

La situation est sérieuse, affirme Vladimir Proskurya‐ kov en entrevue à Radio-Ca‐ nada. Le chef de mission ad‐ joint de l’ambassade russe à Ottawa soutient que son bu‐ reau reçoit chaque jour des plaintes de compatriot­es vic‐ times de harcèlemen­t et d’in‐ timidation.

Nous avons reçu 1000 ou 2000 appels jusqu’ici, dit-il.

L’ambassadeu­r lui-même, Oleg Stepanov, est d’avis que le Canada n’est pas sûr pour les Russes. Je ne le recomman‐ derais pas pour le tourisme, l'éducation ou les affaires, a-til déclaré à l'agence de presse d'État RIA Novosti, plus tôt ce mois-ci.

Nous avons plusieurs cas où des personnes ont perdu leur emploi, explique Vladimir Proskuryak­ov. Dans d’autres cas plus préoccupan­ts, no‐ tamment à Calgary et à To‐ ronto [...] certains ont reçu des menaces.

L’envoyé de Moscou parle même d’attaques, mais n’a pas voulu donner d’informa‐ tions plus précises pour des raisons de confidenti­alité, donc il nous a été impossible de corroborer ces informa‐ tions. Des incidents ont toute‐ fois bel et bien été rapportés dans les médias et par la po‐ lice.

À Montréal, par exemple, le SPVM a documenté 11 crimes haineux contre une personne d’origine russe de‐ puis le 24 février 2022.

C’est de la propagande

Devant le consulat général de Russie à Montréal, une ma‐ nifestatio­n se tient tous les midis.

Tous les jours depuis le 15 mars 2022, le conseiller muni‐ cipal Serge Sasseville et un pe‐ tit groupe de personnes y chantent l’hymne national ukrainien et font jouer des bruits de sirènes.

L’ambassade russe y voit un exemple d’hostilité. Nous n’avons pas d’objection à ce que les gens manifesten­t de façon pacifique [...], mais par‐ fois les participan­ts sont agressifs, déplore Vladimir Proskuryak­ov.

On n’a jamais vu ça nous, c'est drôle, répond Serge Sas‐ seville. Il n’y a rien de dange‐ reux, on n'attaque personne, on est pacifique.

D’ailleurs, des personnes d’origine russe l’accom‐ pagnent, dont Olga Babina qui est installée à Montréal depuis six ans. Il n’y a aucun danger ici, renchérit-elle. Je me sens en sécurité et même pri‐ vilégiée d’être ici au Canada.

La vie est beaucoup plus dangereuse en Russie, fait-elle remarquer, où les manifesta‐ tions comme celle-ci ne sont pas tolérées. C’est dur à expli‐ quer à quelqu’un qui ne l’a ja‐ mais ressenti. Mais pour nous, avec notre histoire, c’est dans notre sang de vivre dans la peur.

Je crois qu’il est naturel pour l’ambassadeu­r de dire des choses comme ça, mais je n’ai vu absolument aucune preuve de ce qu’il avance, ajoute Yuriy Novodvorsk­iy. Je n’ai pas à cacher le fait que je suis Russe.

Avec Olga, il a fondé l’Al‐ liance démocratiq­ue des Ca‐ nadiens russes (ADCR) il y a quelques mois pour unir les membres de la diaspora qui sont contre la guerre.

Dire que le Canada est de‐ venu dangereux, c’est ridicule, estime Varvara Rakova, qui s'implique dans certaines acti‐ vités militantes. Je pense que c’est de la propagande.

Il n’y a rien de négatif qui m’est arrivé depuis le début de la guerre en Ukraine, ex‐ plique-t-elle. En fait, quand les gens entendent un petit ac‐ cent russe, certains me de‐ mandent : "C'est quoi ton ori‐ gine?" Je dis russe. Ils disent : "Ah! C'est pas facile hein." Ils comprennen­t. Les gens sont intelligen­ts.

Associé à l’invasion de l’Ukraine, malgré lui

Établi au pays depuis 1995, Lev Chif est éditeur de Ren‐ dez-vous à Montréal, un jour‐ nal destiné à la population russophone de la métropole, publié une fois par semaine. Il accuse lui aussi l’ambassadeu­r russe de faire de la désinfor‐ mation, mais il avoue avoir re‐ çu des insultes et même per‐ du des annonceurs au cours des derniers mois.

Une fois, je décroche le té‐ léphone, un homme me dit : "Tu es Russe, va te faire foutre, je vous déteste", ra‐ conte-t-il. Ils nous associent à [Vladimir] Poutine.

Comble de l’ironie, Lev n’est même pas Russe. Il est plutôt originaire d’Ouzbékis‐ tan, une ancienne république soviétique.

Quand je suis arrivé ici, les gens me demandaien­t d’où je venais, se souvient-il. Je ré‐ pondais d’Ouzbékista­n et ils disaient : "Quoi?" Avec le temps, je me suis mis à dire que je venais de Russie. C’était plus facile.

Maintenant, je ne dis ja‐ mais ça, précise-t-il, sourire en coin.

La peur d’être associé à une guerre qu’il ne cautionne pas, un sentiment de culpabi‐ lité même, font partie de sa nouvelle réalité, comme pour bien d’autres.

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