Une journée au Six Invitational avec Parker Mackay, commentateur de sport électronique
Si le Torontois Parker « In‐ terro » Mackey n’est pas connu du grand public, entre les murs de la Place Bell, à Laval, il est une ve‐ dette. Les poignées de main, demandes d’auto‐ graphe et de photos avec lui fusaient de partout ven‐ dredi, la première de trois journées de la finale de Six Invitational ouverte au pu‐ blic.
Il faut dire que ça fait maintenant six ans que Par‐ ker Mackay est fidèle au poste en tant que commenta‐ teur de sport électronique pour Rainbow Six Siege, un jeu de tirs à la première per‐ sonne en équipe lancé par Ubisoft Montréal en 2015.
Quand les gens viennent voir ces événements, ils ont un sentiment d’appartenance envers des équipes et des joueurs. Mais ils voient sur‐ tout toujours les mêmes com‐ mentateurs sur scène. On de‐ vient un référent fort pour eux.
Parker Mackay
Quelques milliers de per‐ sonnes ont bravé la tempête hivernale du 17 février pour voir leurs équipes favorites s’affronter. Les complications sur la route ont bien failli faire manquer la cérémonie d’ou‐ verture à Parker Mackay, arri‐ vé juste à temps pour en‐ tendre les premières notes de la trame sonore de Rainbow
Six Siege, jouées par un or‐ chestre en direct.
Les yeux brillants, rivés sur la scène, difficile pour le com‐ mentateur de cacher son sou‐ rire.
Je le regarde tous les ans, le spectacle, et chaque fois, ça me fait quelque chose.
Parker Mackay La cérémonie d’ouverture est un point d’orgue pour les artisans et artisanes du volet compétitif du jeu : elle marque la dernière ligne droite d’une saison de plu‐ sieurs tournois étalés sur des mois, un peu partout dans le monde.
Dans la loge
Le premier match, plaçant dans l’arène Wolves contre G2 (couronnés dimanche grands gagnants de Six Invitational 2023) s’entame, mais Parker Mackay n’entre pas en ondes avant le deuxième, prévu en milieu d’après-midi. C’est donc l’heure pour lui de se rendre à sa loge – partagée avec ses ca‐ marades analystes, anima‐ teurs et commentateurs – y déposer ses affaires et repas‐ ser un peu ses vêtements.
Il s’assure que ses mor‐ ceaux s’agencent parfaite‐ ment avec ceux de son cocommentateur des prochains jours, Niclas Pengu Mourit‐ zen, un ex-joueur profession‐ nel de Rainbow Six Siege, avec qui il s’est coordonné avant de faire ses valises.
Pendant le Six Invitational, je me permets des morceaux plus excentriques, extrava‐ gants. C’est un événement spécial, je veux que ça pa‐ raisse dans la façon dont je suis habillé.
Parker Mackay
Il a choisi vendredi un ves‐ ton bleu-vert qui change de couleur selon la lumière, une chemise blanche et une cra‐ vate carreautée assortie, qui représente le tartan de la fa‐ mille Mackay, d’origine écos‐ saise. Sur son veston, une pe‐ tite rose bleue est épinglée, un petit plus pour faire beau, indique-t-il, gardant toujours un oeil sur l’écran de télé qui diffuse en direct l’affronte‐ ment en cours.
Partout où Parker Mackay se rend, la complicité avec ses collègues est indéniable. Mais jamais autant qu’avec Tania, sa maquilleuse préférée, qui travaille depuis six ans avec lui.
Elle lui applique du vernis à ongles, une couleur pour chaque main, lui met une pe‐ tite poudre au visage et lui place les cheveux, pendant que les autres maquilleuses se délectent devant le spec‐ tacle de vannes qui ponc‐
tuent les échanges de ce duo, dont l’amitié s’est soudée au fil des ans.
Parker Mackay est fin prêt à monter sur scène, les voca‐ lises ont déjà été faites dans la douche le matin. Il ne lui reste plus qu’à réviser rapidement ses notes sur son iPad qu’il a pris soin de recharger dans la loge à son arrivée.
À vos marques, prêts, partez!
À peine entré dans l’am‐ phithéâtre de la Place Bell, Parker Mackay enchaîne les demandes d’autographes et de photos avec une poignée de fans. Puis, il prend place sur scène, avec, à ses côtés, Pengu. Sur la table : sa bou‐ teille d’eau, sa tasse de thé et son iPad. Le spectacle com‐ mence.
Dans la ligne de mire de Parker Mackay tout au long de la séance, non pas les stra‐ tégies utilisées par les joueurs, qui sont plutôt le travail de Pengu. Mais bien des élé‐ ments qui font de bonnes his‐ toires.
Je me concentre surtout sur les aspects historiques de chaque équipe, et de chaque joueur.
Parker Mackay
Par exemple, pour lui, il est intéressant de savoir que tel joueur de telle équipe en est à sa première finale, mais pas son coéquipier, qui a déjà remporté plusieurs fois le Six Invitational.
Vendredi, c’est l’équipe es‐ pagnole Koi qui a affronté l’or‐ ganisation danoise Astralis dans une lutte serrée d’envi‐ ron trois heures, ponctuée de plusieurs rebondissements qui ont passionné la foule, souvent en liesse.
L’un des grands défis pour Parker Mackay est de conti‐ nuer à maintenir l’attention de la foule, en variant les for‐ mulations de phrases et en utilisant un vocabulaire diver‐ sifié, car ça peut devenir très répétitif ce qui se passe, dit celui qui a grandi en écoutant Hockey Night in Canada à CBC, une grande inspiration pour lui.
Et il n’élève jamais le ton in‐ utilement : tout au long du tournoi, il essaie de rester calme, de poser sa voix.
Je dois rester très concen‐ tré, souvent pendant plus de deux heures, sans beaucoup de temps de pause. Je dois être au meilleur de moi-même tout le long. Je ménage donc mon énergie.
Parker Mackay
Ce n’est pas parce qu’on s’appelle des shoutcaster [le nom en anglais donné aux commentateurs de sport élec‐ tronique] qu’on doit toujours crier, affirme-t-il, sourire en coin.
L’après-match
Une fois le match terminé, Parker Mackay prend encore du temps avec les fans qu’il croise. L’heure n’est pas à la fête, mais bien au repos.
[Une fois descendu de la scène], je cherche le silence. Je prends souvent un thé, je m'assois, tranquille, et je laisse venir à moi tout ce que je viens de vivre.
Parker Mackay
C’est un marathon de plu‐ sieurs mois qui s’est achevé dimanche pour le commenta‐ teur, qui s’estime chanceux de pouvoir vivre de sa passion. Mais le travail n’est pas néces‐ sairement fini pour le Toron‐ tois, qui a fait de son jeu pré‐ féré un métier.
En parallèle aux événe‐ ments compétitifs qu’il com‐ mente, il anime un balado portant sur Rainbow Six, où il invite des joueurs et des joueuses pros, ou encore d’autres commentateurs ou analystes à son micro. Il dif‐ fuse sous le nom Interro sur Twitch ses parties du jeu de tirs en direct, histoire d’entre‐ tenir le lien qui l’unit à son pu‐ blic, une partie importante de son travail.
Je ne suis pas super bon, mais je pense que ça amuse les gens, croit le travailleur au‐ tonome.
Et il réussit bien : il est suivi par quelque 122 000 per‐ sonnes sur Twitch, soit un peu moins que son compte Twitter, qui compte plus de 128 000 personnes abonnées.
Du milieu politique au sport électronique
La trajectoire de carrière de Parker Mackay n’était pas dessinée à l’avance. Attiré par les idées, le Torontois a étudié en science politique et a même été responsable de la campagne des jeunes pour la course à la chefferie de Kath‐ leen Wynne au Parti libéral en Ontario. Mais la réalité du ter‐ rain ne l’intéressait pas, finale‐ ment, et il a préféré travailler comme serveur en attendant de trouver sa voie.
Pendant ses études, il amassait un peu d’argent en jouant semi-professionnelle‐ ment à Call of Duty, et tissait déjà des liens avec différentes équipes de sport électro‐ nique.
Lui qui rêvait de faire de la radio, il n’avait pourtant pas envisagé faire carrière dans le sport électronique derrière le micro avant de se faire de‐ mander de remplacer au pied levé un commentateur indis‐ ponible. J’ai accepté. Je l’ai fait, et ça s’est bien passé. J’ai donc continué.
De fil en aiguille, il s’est fait offrir de commenter Rainbow Six Siege en 2016, et a pris du même coup le risque de l’in‐ stabilité, car cet emploi venait avec beaucoup temps morts sans travailler.
En 2016, la communauté de sport électronique autour du jeu n’était pas aussi déve‐ loppée qu'aujourd'hui. Ça a été un pari risqué pour moi de quitter un emploi payant en restauration pour me lan‐ cer dans l’inconnu.
Parker Mackay
Parker Mackay a misé juste : la réputation de Rain‐ bow Six Siege sur la scène in‐ ternationale des sports élec‐ troniques n’est plus à faire, et il est fier aujourd’hui de pou‐ voir bien vivre de son métier.
À la question à savoir ce qui l’attend l’année prochaine, le commentateur se fait avare de détails.
J’ai eu 33 ans cette année, et je commence à ressentir le besoin de me poser un peu, avoue-t-il, lui qui passe beau‐ coup de temps à vivre dans ses valises.
Mais il y a vraiment pire métier.