Radio-Canada Info

Ces tanks russes qui tirent sur les soldats russes

- Yanik Dumont Baron

Un contact de l’armée ukrainienn­e nous a donné rendez-vous près d’un pont. De là, il nous guide vers un petit secteur industriel au milieu des champs. Vers un vaste hangar au toit voûté.

Nous sommes dans l’est du pays. Pas trop loin du front. L’armée ukrainienn­e nous demande de ne pas en dire plus. De ne photogra‐ phier que l’intérieur.

Dans ce hangar, on re‐ trouve des outils, des pièces détachées. Et des chars d’as‐ saut endommagés. Nous sommes dans l’atelier du ba‐ taillon de réparation pour la 3e brigade de blindés ukrai‐ nienne.

Un soldat armé monte la garde à l’entrée, près d’un poêle à bois. Le sol est en terre battue. Des oiseaux vont et viennent. Quelques drapeaux jaune et bleu sont bien en vue.

Trois mécanicien­s en tenue militaire s'affairent sur un de ces gros véhicules à chenilles. Ils tentent de réparer un char T-72. Un tank abandonné en Ukraine par l’ennemi russe.

Toute marque qui l’identi‐ fie à l'ennemi a été effacée. Les Ukrainiens utilisent les mêmes modèles de chars, is‐ sus de l’époque soviétique. Ce tank est un peu comme un cadeau tombé du ciel.

Quand on voit un tank russe abandonné, on prend tout ce qu’on peut. On de‐ vient comme des enfants, lance le commandant Olek‐ sandr Dereka, responsabl­e de ce bataillon de réparation.

Pour nous, ce ne sont que des machines. On ne s’arrête pas à penser que des Russes sont peut-être morts dans le char. On manque de pièces de rechange!

Des chars donneurs d’organes pour l’armée ukrainienn­e

L’unité aurait déjà réparé et renvoyé au front cinq blin‐ dés russes. Soit environ le quart des chars que sa bri‐ gade a perdus au combat. Et c’est sans compter tous les morceaux qui peuvent être utiles.

Regardez autour de vous, lance-t-il : des transmissi­ons, des moteurs, des roues. Plus de la moitié de ce que vous voyez ici vient de blindés russes!

Des chars dont la présence est souvent signalée au com‐ mandant par des contacts dans la région.

Mais ce n’est pas tout ce qui est abandonné qui est ré‐ cupérable. La machinerie est souvent mal entretenue, ex‐ plique le commandant Dere‐ ka. Les Russes maltraiten­t leur équipement.

Le mitrailleu­r Roman Bat‐ senko est d’accord. Il affirme avoir souvent piloté des tanks repris aux soldats russes. Il compare ces chars à des don‐ neurs d’organes pour l’armée ukrainienn­e.

On leur renvoie leurs propres obus

Comme mitrailleu­r, Roman Batsenko fait équipe avec deux autres soldats, installés dans le blindé. C’est lui qui vise et doit détruire les cibles adverses. Il a cessé de comp‐ ter ses victimes.

Mais il arrive fréquemmen­t que l’engin à bord duquel il doit travailler ne soit plus en état de fonctionne­r. Touché par un tir russe. Ou victime d’un problème mécanique.

Dans ce cas, l’équipe de Roman Batsenko prend des armes antichars, saute dans une tranchée… Parfois dans l’espoir de pouvoir voler un tank à l’ennemi.

Le mitrailleu­r assure s'être emparé de plusieurs chars russes. Des véhicules aban‐ donnés par l’adversaire. Des vols parfois risqués, réalisés tout près des lignes russes.

Peu importe si c’est un char ukrainien ou un char russe. Le but, c’est de détruire ceux de l’adversaire venu prendre nos terres. Plus vite on le fera, souligne-t-il, plus vite on rentrera à la maison.

Roman Batsenko voit bien l’ironie de l’opération. On leur renvoie leurs propres obus, lance-t-il en riant. Mais c’est la guerre. Pas de place aux senti‐ ments.

Tenir, mais pour com‐ bien de temps?

Un mécanicien démarre un des chars pour le déplacer. Le grand entrepôt se remplit vite de fumée. L’air est toxique, mais le travail continue, comme si de rien n'était.

Le commandant Dereka observe ses hommes, un peu comme un père bienveilla­nt. Il apprécie leurs efforts, mais comprend aussi les limites de l’exercice.

Ça fait plus de onze mois que ces tanks sont au com‐ bat. Ça me fait mal de l’ad‐ mettre, mais ils ne sont pas invincible­s. Ces machines ont fait leur temps. Certaines ont plus de 40 ans.

Les duels d’artillerie du Donbass se font surtout avec des engins qui sont en fin de vie. C’est dur de l’admettre, mais on est aux limites de ce qu'il est possible de faire avec eux, convient-il.

C’est pour ça que le com‐ mandant attend avec impa‐ tience les chars Abrams amé‐ ricains, les Leopard allemands et canadiens et les Challenger britanniqu­es. Des véhicules plus performant­s, promis pour le printemps.

La bataille est un peu per‐ sonnelle pour le comman‐ dant. Un de ses fils s’est instal‐

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