Le recours aux infirmières d’agences privées explose chez Vitalité
Le Réseau de santé Vitalité au Nouveau-Brunswick a dépensé près de 6 millions de dollars en 2022 pour ob‐ tenir les services d'infir‐ mières d’agences privées. C'est 12 fois plus que le Ré‐ seau de santé Horizon. Vi‐ talité se donne comme ob‐ jectif de mettre fin à cette pratique controversée dans deux ans.
Des documents obtenus par Radio-Canada Acadie en vertu de la Loi sur le droit à l’information permettent de mieux comprendre l'ampleur de l'utilisation des infirmières itinérantes par les deux régies régionales de la santé.
De juillet à décembre 2022, le Réseau de santé Vitalité a versé 5 943 054 $ à trois agences afin qu’elles dé‐ pêchent des infirmières itiné‐ rantes. Ces professionnelles ont effectué 20 098 heures de travail au cours de cette pé‐ riode.
La quasi-totalité de cette somme a servi à dépêcher des infirmières au CHU Dumont de Moncton et à l’Hôpital ré‐ gional de Campbellton. Ces in‐ firmières ont surtout travaillé dans les services d'urgences dans ces deux hôpitaux et à l'unité d’hémodialyse à Monc‐ ton.
Le coût moyen par heure travaillée par une infirmière itinérante a été de 295 $. Cela comprend les salaires des in‐ firmières – de 70 à 100 $ l’heure, soit environ deux fois plus que leurs collègues per‐ manentes – les frais de dépla‐ cement et les frais administra‐ tifs.
Le Réseau de santé Hori‐ zon a lui aussi fait appel à des agences privées afin d'ap‐ puyer ses équipes de l’Hôpital de Moncton et de l’Hôpital ré‐ gional de Saint-Jean. La fac‐ ture s’est élevée à 475 786 $ d’octobre à la fin décembre 2022.
Des documents obtenus par le Syndicat des infirmières et infirmiers du NouveauBrunswick révèlent aussi que le gouvernement provincial a emprunté cette voie.
De janvier à avril 2022, le gouvernement a versé 2,68 millions $ à l’agence Ca‐ nadian Health Labs. Cet ar‐ gent a entre autres servi à dé‐ pêcher des infirmières dans des cliniques de vaccination contre la COVID-19.
On a besoin de mains de plus
Le Réseau de santé Vitalité voit le recours aux infirmières itinérantes comme une me‐ sure de dernier recours, selon sa vice-présidente principale aux programmes et aux soins infirmiers, Sharon SmythOkana.
Elle affirme que plusieurs autres choses ont été tentées avant d’en arriver là. Par exemple, les hôpitaux font davantage appel aux prépo‐ sés et des changements ont été apportés aux modèles de soins.
À ce moment-ci, pour pou‐ voir offrir des services aux pa‐ tients, des services sécuri‐ taires, on a besoin de mains de plus, dit-elle.
Elle explique que sans les infirmières d’agence, Vitalité aurait dû fermer certaines unités. C’est le cas de l’hémo‐ dialyse au CHU Dumont de Moncton, aux prises avec un manque critique de person‐ nel.
Notre personnel a fait un travail incroyable, il nous a donné du surtemps et a es‐ sayé de réaménager les pa‐ tients. Mais on ne peut pas continuer à pousser les em‐ ployés de cette façon-là pour longtemps, dit-elle.
Un écart important
Lorsqu'on lui parle du fait que Vitalité a dépensé douze fois plus que le Réseau de santé Horizon l’année der‐ nière afin d'embaucher des in‐ firmières d’agence, Sharon Smyth-Okana offre quelques pistes qui peuvent expliquer cet énorme écart.
Je pense qu’il y a quelques facteurs. Je pense que l’ur‐ gence ou l’état de la pénurie n’est peut-être pas exacte‐ ment la même d’un réseau à l’autre. Ça fait que c’est facile de nous comparer, mais ce n’est peut-être pas des pommes avec des pommes. Ça fait que des fois, il faut faire attention, dit-elle.
Elle note aussi que les ef‐ forts de recrutement d’infir‐ mières permanentes sont plus difficiles au sein du Ré‐ seau de santé Vitalité, puis‐ qu’il y a moins d’infirmières francophones qu’anglo‐ phones au Canada et à l’étran‐ ger.
Objectif : cesser de faire appel aux agences d’ici à 2025
Sharon Smyth-Okana af‐ firme que le recours aux agences privées est une me‐ sure temporaire.
C’est une intervention de dernier recours, qui a un dé‐ but et une fin. Ce n’est pas quelque chose qu’on anticipe continuer pour cinq, dix, quinze ans. Ce n’est pas dans nos objectifs du tout. C’est du court terme pour pouvoir ra‐ mener nos climats de travail, pour réduire la charge et pour que les infirmières veulent rester dans nos milieux.
Elle note que le recours aux agences va continuer d’augmenter au cours des prochains mois. Vitalité va faire appel à ces entreprises pour embaucher des infir‐ mières, des infirmières auxi‐ liaires et des préposés.
Pendant ce temps, le ré‐ seau s’attaque aux défis liés au recrutement et à la réten‐ tion de personnel et se donne comme objectif de ne plus avoir besoin des agences d’ici à 2025.
Notre objectif, c’est vrai‐ ment dans le prochain deux ans, maximum, on devrait avoir pu faire le tour et ne plus avoir besoin du tout du personnel d’agence, explique Sharon Smyth-Okana.
Le Réseau de santé Hori‐ zon indique pour sa part qu’il a récemment décidé d’en‐ voyer des infirmières d’agence dans un plus grand nombre d’hôpitaux et d’unités.
L’utilisation des infirmières itinérantes va se poursuivre au courant du printemps et de l’été. La date de fin prévue est le 1er septembre 2023. Un examen, une évaluation et des recommandations seront alors effectués, lit-on dans la réponse d’Horizon à la de‐ mande d’accès à l’information de Radio-Canada Acadie.
On ne voit certaine‐ ment pas ça comme une solution
Cette tendance et le verse‐ ment de millions de dollars à des agences privées ne sont pas très bien accueillis par le Syndicat des infirmières et in‐ firmiers du Nouveau-Bruns‐ wick.
Sa première vice-prési‐ dente, Maria Richard, ex‐ plique que l’arrivée de ces tra‐ vailleuses de la santé dans les hôpitaux crée souvent un ma‐ laise.
Les membres nous disent qu’elles comprennent pour‐ quoi ces infirmières-là viennent. Mais elles trouvent que c’est un manque de res‐ pect, explique-t-elle.
Ce qui dérange certaines infirmières, selon elle, c’est que leurs collègues dépê‐ chées par les agences sont beaucoup mieux payées et qu’elles ont besoin de plus d’encadrement.
Dans le travail de tous les jours, il faut que tu les en‐ traînes, il faut que tu les sup‐ portes plus, parce qu’elles ne sont pas là (en permanence) et qu’elles ne sont pas habi‐ tuées à faire ce travail, ex‐ plique Maria Richard.
Maria Richard, à l’instar de Sharon Smyth-Okana, parle régulièrement à des infir‐ mières qui témoignent des ef‐ fets de la pénurie de person‐ nel et qui demandent des ren‐ forts.
C’est la réalité. Et si les infir‐ mières des agences privées permettent à nos infirmières de faire moins de surtemps, ce n’est pas mauvais. Mais nous autres, on ne voit certai‐ nement pas ça comme une solution.
Elle souhaite que les ré‐ seaux de santé et le gouver‐ nement misent beaucoup plus sur le recrutement, sur la rétention et sur l’amélioration des conditions de travail. Et que le recours aux agences cesse lorsque cela sera pos‐ sible.