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Des wampums en tournée nordaméric­aine pour la première fois depuis 350 ans

- Jérôme Gill-Couture

Plusieurs artéfacts excep‐ tionnels de l'histoire de la Nouvelle-France feront le voyage vers leur Amérique du Nord d'origine après avoir passé les derniers siècles sur le vieux conti‐ nent.

Du 20 octobre 2023 au 3 mars 2024, une version boni‐ fiée et adaptée d'une exposi‐ tion présentée à Paris s'instal‐ lera au musée McCord-Ste‐ wart de Montréal, après un passage au Senaca Art & Culture Center de Victor, dans l'État de New-York.

Il s'agit principale­ment, mais non seulement, d'une demi-douzaine de wampums, qui ont passé les derniers siècles dans des collection­s à Chartres, Lille et Paris. Il y a quelques années, ceux-ci ont été rassemblés pour créer une exposition au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, à Paris.

Voici quelques exemples d'objets faisant partie de cette exposition.

Plusieurs experts ont ana‐ lysé et effectué des re‐ cherches sur ces objets, au moment de la mise en oeuvre de l'exposition, dont Jonathan Lainey, conservate­ur du volet cultures autochtone au mu‐ sée McCord de Montréal.

Celui pour qui les wam‐ pums représente­nt un sujet de prédilecti­on depuis 20 ans explique que bien qu'il soit extrêmemen­t difficile de da‐ ter précisémen­t le moment où ces objets ont quitté l'Amérique du Nord vers la France, certains éléments per‐ mettent de situer leur origine entre les 17e et 18e siècles, ce qui en fait des objets très an‐ ciens.

Objets d'art, de diploma‐ tie et de mémoire

Tissages de coquillage­s marins blancs et pourpres provenant de la côte est amé‐ ricaine, les wampums étaient employés par plusieurs na‐ tions autochtone­s pour scel‐ ler des alliances ou caractéri‐ ser leurs relations. Plusieurs exemples portent encore au‐ jourd'hui la mémoire des dé‐ buts de l'histoire du Canada.

L'arrivée des Européens re‐ présente l'apogée de l'utilisa‐ tion des wampums, et les nouveaux arrivants ls ont dû apprendre à en fabriquer pour participer à certaines cé‐ rémonies d'alliances. Ce fut le cas des Français qui ont du‐ rant plus d'un siècle entrete‐ nu un vaste réseau diploma‐ tique avec les Premières Na‐ tions, motivé notamment par le développem­ent du com‐ merce des fourrures.

Selon mes recherches, les wampums étaient surtout uti‐ lisés par des nations de cultures iroquoienn­es, telles que les Mohawks et les Hu‐ rons-Wendat, tout simple‐ ment parce qu'elles étaient sédentaire­s et donc plus à même de conserver des ob‐ jets aussi encombrant­s que fragiles, explique Jonathan Lainey.

Bien que, dans la plupart des cas, les sources soient muettes par rapport à la pro‐ venance précise des wam‐ pums, il demeure toutefois possible de décoder certains symboles qui y sont représen‐ tés.

Par exemple, certains re‐ présentent des silhouette­s humaines ou des formes géo‐ métriques avec, entre cellesci, une bande blanche qui les relie. Ce lien peut représente­r soit la paix ou même l'alliance entre nations, explique l'ex‐ pert.

Certains montrent plutôt des symboles associés à la guerre, tels qu'une hache, et ont pu parfois être peints en rouge, signifiant des inten‐ tions belliqueus­es, ajoute-t-il.

Les coquillage­s blancs et pourpres qui étaient em‐ ployés dans la conception des wampums provenaien­t spéci‐ fiquement de la région du Rhode Island, aux États-Unis, et franchissa­ient donc parfois plus de 1000 kilomètres pour se répandre partout jus‐ qu'aux Grands Lacs.

La complexité d'obtenir les bons coquillage­s pour la conception des wampums les rendait extrêmemen­t pré‐ cieux. Et comme les co‐ quillages utilisés sont surtout blancs avec quelques zones pourpres, les perles pourpres avaient une valeur environ deux fois plus grande, ex‐ plique M. Lainey.

Une exposition bonifiée

En préparatio­n de la venue des objets à Montréal, le Mu‐ sée McCord a envoyé des de‐ mandes à plusieurs institu‐ tions environnan­tes dans le but de rassembler le plus de wampums possible et de rendre encore plus intéres‐ sante une exposition déjà ex‐ ceptionnel­le. Jonathan Lainey s'attend ainsi à ce qu'une trentaine de wampums s'ajoutent à ceux en prove‐ nance de Paris.

Les wampums ont revêtu une importance capitale pour les premiers peuples durant des siècles, avant d'être quelque peu délaissés à une certaine époque. Ce désinté‐ rêt, qui s'est produit durant le 19e siècle, fait partie de leur histoire, et n'est pas abordé dans l'exposition en France. Le musée McCord va donc ajouter une section entière, dédiée à ce moment particu‐ lier de l'histoire des wam‐ pums, annonce M. Lainey.

Aujourd'hui, les wampums sont souvent utilisés, et plu‐ sieurs nouveaux exemples sont fabriqués chaque année. Alors, comment expliquer que ces objets si importants ont, au 19e siècle, cessé de l'être, et comment des wampums conservés parfois durant des siècles dans leurs communau‐ tés d'origines ont-ils pu être soudaineme­nt vendus à des collection­neurs?

Nous nous pencherons làdessus, et nous sommes aussi en contact avec quatre ou cinq artistes autochtone­s qui pourront présenter des oeuvres inspirées des wam‐ pums, car ils ont cette capaci‐ té extraordin­aire d'exprimer dans leurs créations des choses qui ne s'expliquent pas dans des articles scienti‐ fiques, explique Johathan Lai‐ ney.

Les artistes savent fusion‐ ner des idées, et pourront illustrer des émotions et des sentiments qui sont reliés aux wampums.

Jonathan Lainey, conserva‐ teur du volet cultures autoch‐ tone au musée McCord-Ste‐ wart

Des objets revendiqué­s?

Comme pour tous les ob‐ jets provenant d'époques co‐ loniales présentés dans des musées, certaines questions sont soulevées à savoir s'ils devraient être rapatriés vers les population­s autochtone­s desquelles ils sont issus.

Dans le cas présent, de nombreuses recherches ont été effectuées, mais rien ne permet de situer précisémen­t d'où proviennen­t les objets, et aucune nation ne les reven‐ dique actuelleme­nt.

M. Lainey, lui-même Hu‐ ron-Wendat, indique par exemple que bien que le wampum montrant les mots en latin Don des Hurons à la Vierge Marie soit rattaché à sa nation, il serait étrange de de‐ mander de ravoir un objet que nous avons donné.

Selon lui, le manque d'in‐ formation disponible par rap‐ port aux objets et le fait qu'il soit tout à fait possible qu'ils aient été acquis lors d'échanges ou d'alliances font en sorte que le débat sur le rapatrieme­nt d'objets volés ou enlevés ne s'applique pas à cette exposition française.

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