Un an après l’invasion du grenier de l’Europe : les agriculteurs manitobains en arrachent
Un an après le début de la guerre entre l'Ukraine et la Russie, et alors que les prix des céréales se sont envo‐ lés l'an dernier, les produc‐ teurs céréaliers canadiens ne parviennent pas à tirer profit de la situation. Un texte de Catherine Moreau
Avant la guerre, les deux pays adversaires représen‐ taient, à eux seuls, plus d’un quart des exportations mon‐ diales en blé. Depuis, les agri‐ culteurs ukrainiens ont tout de même réussi à produire, mais leurs récoltes ont chuté de 53 % par rapport à 2021.
L’exportation demeure aussi un défi, car plusieurs millions de tonnes de céréales demeurent immobilisées dans les ports de la mer Noire, ce qui complique l'en‐ treposage de la dernière moisson.
Peu de souplesse
Mais les impacts de cette guerre ne se font pas que sen‐ tir en Europe de l'Est, car les bouleversements ont été ob‐ servés un peu partout dans le monde.
Au Manitoba, des fermiers prévoient des mois, même des années, à l’avance leurs cultures. La plupart des agri‐ culteurs suivent un système de rotation des récoltes, ce qui leur permet de protéger leurs céréales contre certaines maladies.
À Sainte-Agathe, à 40 km au sud de Winnipeg, Yves La‐ pointe procède à une rotation tous les quatre ans, ce qui lui offre peu de marge de ma‐ noeuvre.
D'habitude, on commande toutes les semences à l'au‐ tomne, quand on a les meilleurs prix, à cause des pe‐ tits discounts [réductions] de fin d'année, mentionne Yves
Lapointe.
Durant l'hiver, tu fine-tune [affines]. Mais je garde tou‐ jours 10 % de mes terres pour suivre le marché. Comme l'an‐ née passée, avec l'Ukraine, il y avait une possibilité de mieux faire dans le blé, alors, j'ai mis un peu plus de blé, poursuit-il.
Mais le contexte rend les choses beaucoup plus diffi‐ ciles et désorganise, même, les vieilles certitudes chez les agriculteurs.
Carl Stewart cultive, quant à lui, des céréales aux abords de la rivière Assiniboine, à en‐ viron 25 kilomètres de Por‐ tage la Prairie, une ville à l’ouest de Winnipeg.
Avant de devenir agricul‐ teur à temps plein et de diri‐ ger la section manitobaine de la Western Canadian Wheat Growers Association, qui re‐ groupe les producteurs de blé de l’Ouest canadien, il tra‐ vaillait à titre de négociant en matières premières dans une petite entreprise céréalière.
Tout ce que vous pensez savoir sur le marché, sur la fa‐ çon dont les choses vont et iront, c’est complètement dif‐ férent de la façon dont elles se passent réellement, ex‐ plique-t-il. Et donc dans notre ferme, nous nous concen‐ trons plus sur la rotation. C'est mieux quant à l'utilisa‐ tion des produits chimiques et des pesticides, pour l'utili‐ sation des terres.
Flambée des prix
Les fermiers n’aiment pas quand les prix sont volatils, peu importe la direction, ce n’est pas une bonne chose , mentionne Carl Stewart. Pour lui, en raison de la hausse gé‐ néralisée des coûts, les marges bénéficiaires des fer‐ miers demeurent assez constantes.
Les prix du blé et du tour‐ nesol ont monté, mais c’est un bonus… Les coûts d’exploi‐ tation ont monté avec les prix : les engrais chimiques ont augmenté, le fertilisant aussi , renchérit Yves Lapointe.
Chez le producteur agri‐ cole, c'est l’ensemble de ses coûts de production qui a augmenté.
Le domaine agricole souffre, entre autres, de la montée en flèche des coûts de l’énergie, essentielle pour faire fonctionner les machines agricoles, ainsi que les sys‐ tèmes de séchage qui em‐ pêche les céréales de moisir dans les silos.
Dans l’ouest du Manitoba, l’agricultrice Anastasia Fyk croit que les grandes entre‐ prises profitent de la situation pour augmenter leurs prix, ce‐ lui de l’essence par exemple. Elle a aussi vu celui de l’engrais pratiquement doubler en un an. Elle oriente donc sa pro‐ duction de plus en plus vers le sarrasin, car cette céréale ne nécessite pas de fertilisant, ce qui lui permet de mieux contrôler ses coûts.