L’ivoire du Saint-Laurent
André Sénécal est un arti‐ san amoureux du SaintLaurent et de ses trésors. Depuis une trentaine d’an‐ nées, il sculpte les écailles d’esturgeon noir, une ma‐ tière qu’il a nommée « ivoire de mer ».
Dures comme du bois, les écailles se transforment sous ses doigts en bijoux, en ta‐ bleaux et autres objets sou‐ vent reliés à la mer.
Ça fait 30 ans que je suis làdedans puis je n'en reviens pas encore comment c'est beau
André Sénécal, artisan L’appellation d’ivoire de mer est écologiquement cor‐ recte selon une étude réalisée en 2002 par le professeur Cy‐ rille Barrette de l’Université Laval. Un travail d’observation et de comparaison concluant que les écailles de l’esturgeon noir s’apparentent à de l’ivoire de morse.
Peu de transformation
C’est sur les côtes Gaspé‐ siennes, en 1987, qu’André a trouvé sa première écaille d’esturgeon, apportée par le ressac, un rebut jeté à la mer par les pêcheurs.
Le coup de coeur est im‐ médiat pour cette matière na‐ turelle à laquelle il apporte peu de transformations. Il ne la polit pas, préférant garder la surface poreuse à l’aspect d’écume.
Il n’y a jamais un motif qui est pareil, avec les trous qui sont dedans s’émerveille l’arti‐ san a l'allure bohème installé dans son atelier, devant un caisson bricolé dans lequel se fait le fraisage, pour contenir la poussière d’ivoire de mer qui est nocive pour les pou‐ mons.
Lorsqu’il regarde les diffé‐ rentes écailles qui constituent l’exosquelette de l’esturgeon noir, l’artisan y voit des formes qu’il façonne à l’aide d’une série de fraises de type Dremel.
Avec les bajoues je fais des oies, les hirondelles viennent aussi à l’intérieur de la tête. Dans la tête, c’est les plus beaux morceaux
André Sénécal, artisan
Récupération et procé‐ dé naturel
André Sénécal s’est lié d’amitié avec des pêcheurs de morue Gaspésiens, Ils pre‐ naient en même temps des esturgeons, explique le sep‐ tuagénaire. À chaque sortie, ils lui réservaient les pré‐ cieuses peaux écaillées.
Lorsqu’en 1992 un mora‐ toire met fin à la pêche à la morue, André Sénécal perd sa source de matière première.
Il décide alors de s’installer dans la région de Montma‐ gny, à Cap-Saint-Ignace où la pêche traditionnelle à l’estur‐ geon noir perdure. Il élit do‐ micile au coeur d'une éra‐ blière, dans une maisonnette où il demeure depuis près de 25 ans.
Il y a à peu près 3000 es‐ turgeons pêchés dans la ré‐ gion indique l’artisan, préci‐ sant que chaque poisson ap‐ porte une centaine d’écailles.
Là encore, les pêcheurs de‐ viennent ses amis, lui fournis‐ sant l'ivoire du Saint-Laurent.
Une fois les peaux récupé‐ rées, il les fait bouillir pendant plusieurs heures. J’ai trouvé un procédé pour que ça de‐ vienne vraiment blanc. C'est seulement à l’eau, y' a rien de chimique employé pour ça.
Une bouée de sauvetage
Pour André Sénécal, la sculpture d'ivoire de mer est plus qu'un métier. C'est ce qui lui a permis de sortir de l'itiné‐ rance et de l'alcoolisme.
Un enfer dans lequel il tombe après avoir quitté la Gaspésie et vendu sa terre.
J'ai vécu l'enfer, se sou‐ vient-il, j’ai été itinérant à Montréal pendant un bout de temps.
M. Sénécal considère son artisanat comme de la théra‐ pie à travers l'art. Ça m’a beaucoup aidé à sortir de la rue. Les gens disaient que c'était beau et j’ai comme réa‐ lisé que je pouvais faire quelque chose d'intéressant, que les gens pouvaient aimer.
Depuis, il a fait sa place dans une trentaine de bou‐ tiques où il vend ses bijoux et autres créations, notamment dans le Vieux-Québec, à L'île d’Orléans, en Gaspésie ou en‐ core à Tadoussac
Il voudrait toutefois que l'ivoire de mer soit davantage connu c'est un trésor peu ex‐ ploité se désole-t-il.
À lire :
Roches, papier, ciseaux
: créer à partir de matériaux ré‐ cupérés Les explorations de la joaillière Sonia Beauchesne