« Il est temps de dépoussiérer la formation générale au cégep! »
Antoine Devreux a choisi le cégep anglophone Cham‐ plain College Saint-Lam‐ bert pour son parcours col‐ légial. Il désirait parfaire son anglais, oui, mais un autre facteur l’a influencé. « Il y avait une grande di‐ versité sur le plan des choix de cours de base, en littérature et en philoso‐ phie notamment », confiet-il.
Le jeune homme de 19 ans se passionne pour la poli‐ tique. Au cégep en philoso‐ phie, il a par exemple pu op‐ ter pour un cours sur le mili‐ tantisme dans lequel il en a appris beaucoup sur des fi‐ gures comme Martin Luther King ou encore Desmond Tutu.
Et en littérature anglaise, un autre cours « de base », un éventail d’options en matière de genres littéraires et de thèmes s’offrent à lui. Ça me permet d’ouvrir les portes sur ce que je veux faire plus tard. Et de m’enrichir sur ce qui m’intéresse vraiment, ex‐ plique Antoine.
Il trouve dommage que le cursus du réseau franco‐ phone en formation générale soit beaucoup plus rigide. C’est déplorable qu’on impose encore les mêmes cours à tout le monde sachant qu’on a tous des intérêts différents, des manières d’apprendre dif‐ férentes et des objectifs diffé‐ rents.
J’ai l’impression qu’on cultive l’obligation d’étudier un sujet. Je préférerais qu’on cultive plutôt la passion pour l’étude d’un sujet.
Antoine Devreux, étudiant au collège Champlain SaintLambert
Un chantier de la forma‐ tion générale réclamé
La Fédération étudiante collégiale (FECQ) affirme que beaucoup d’étudiants comme Antoine ont boudé le réseau francophone en raison du manque d’attractivité de sa formation générale.
C’est pour cette raison qu’elle lance aujourd’hui une campagne afin de réclamer un véritable chantier de mo‐ dernisation de la formation générale au cégep, regrou‐ pant les cours de tronc com‐ mun que tous les étudiants doivent suivre en littérature française, philosophie, éduca‐ tion physique et anglais.
Un tel exercice n’a pas été fait depuis 1993 et il est temps de dépoussiérer la formation générale au cégep, soutient Maya Labrosse, la présidente de la FECQ.
Si la représentante étu‐ diante croit toujours en la pertinence de ces cours de base, elle est d’avis qu’il est urgent de les revaloriser et de les actualiser. Pourquoi ne pas s’inspirer du modèle plus flexible des cégeps anglo‐ phones, se demande-t-elle, et offrir des cours sur la littéra‐ ture féministe ou encore au‐ tochtone, par exemple?
Voilà une piste intéres‐ sante, selon Youri Blanchet, enseignant au cégep depuis 27 ans et président de la Fé‐ dération de l’enseignement collégial. Il confirme que les devis ministériels imposés dans le réseau francophone permettent moins de latitude
et de flexibilité que ceux du réseau anglophone.
On ne peut pas faire l’au‐ truche et se mettre la tête dans le sable. On doit voir comment on pourrait aller chercher les bons coups dans les collèges anglophones pour les intégrer dans nos pra‐ tiques.
Youri Blanchet, président de la Fédération de l’enseigne‐ ment collégial
Un chantier pour actuali‐ ser la formation générale est une très bonne idée, estime Nancy Quessy, enseignante en littérature française au cé‐ gep depuis plus de 20 ans. Re‐ penser la formation générale nous donnerait de l’air frais. Ça serait intéressant de laisser plus de liberté aux étudiants dans la forme que peut prendre leurs dissertations, par exemple.
C’est sûr que la forme des devis actuels nous impose certaines contraintes et qu’on aimerait avoir plus de lati‐ tude, convient-elle. Elle tient toutefois à souligner que les professeurs ne se tournent pas les pouces. On essaie constamment de se réinven‐ ter, de mettre à jour nos plans de cours, de revoir nos ap‐ proches pédagogiques, de proposer des textes qui vont intéresser les étudiants.
Créer une approche de cours à la carte pour les étu‐ diants pourrait cependant re‐ présenter un certain défi du point de vue de l’organisation du travail des enseignants, ajoute-t-elle.
Yves de Repentigny, de la Fédération nationale des en‐ seignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ), estime lui aussi qu’une réflexion concertée autour d’un renou‐ veau de la formation générale serait intéressante. Mais at‐ tention, s’inquiète-t-il, si on commence à multiplier le contenu des cours et les pré‐ parations de cours, est-ce que ça va être pris en considéra‐ tion dans notre charge de tra‐ vail?
Des données publiées par la Fédération des cégeps en 2021 indiquent que les étu‐ diants suivant le cursus collé‐ gial francophone échouent davantage leur premier cours de littérature et de philoso‐ phie que ceux évoluant dans le réseau anglophone. Un autre sondage réalisé la même année par la firme Lé‐ ger conclut que 53 % des étu‐ diants trouvent la formation générale au cégep pas intéres‐ sante.
Pour nous, c’est un reflet important de ce qui se passe quant au manque de motiva‐ tion des étudiants dans le ré‐ seau francophone, explique Maya Labrosse. Le but, c’est que la formation générale ne soit pas un frein à la réussite des études collégiales.
En profiter pour amélio‐ rer la qualité du français écrit
La Fédération étudiante collégiale estime qu’un chan‐ tier sur la formation générale serait une occasion parfaite pour discuter de manières de contrer les sérieuses lacunes des jeunes en français écrit.
Elle suggère notamment le développement d’un test diagnostic en français au dé‐ but du cursus qui permettrait de repérer plus rapidement les étudiants qui bénéficie‐ raient alors de l’aide person‐ nalisée offerte dans les centres d’aide en français (CAF). Elle propose aussi d'in‐ clure dans les cours de littéra‐ ture des rappels de notions de français.
Cette dernière idée fait sursauter Yves de Repentigny, qui estime que ce n’est pas le rôle des enseignants de fran‐ çais au collégial. On a l’impres‐ sion, parfois, que toute la res‐ ponsabilité est mise sur les épaules des enseignants de français au collégial, alors que la réussite dans les cours de français, ça se prépare tout au long du parcours scolaire de l’élève, dès la maternelle, sou‐ ligne-t-il.
Où est le rapport sur la qualité du français en en‐ seignement supérieur?
Tous les intervenants consultés se rejoignent au moins sur une question. Afin d’avoir des pistes de solutions pour améliorer la qualité du français des étudiants au cé‐ gep, il serait bien utile de sa‐ voir ce que contient le rap‐ port du groupe de travail sur la maîtrise du français aux études supérieures.
Ce document a été déposé il y a plus d’un an à la ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque, Danielle McCann, mais il n’a toujours pas été rendu public.
Youri Blanchet et Yves de Repentigny, tout comme Maya Labrosse, aimeraient bien savoir ce que contient ce rapport. Nous le demandons et l’attendons avec impa‐ tience, lance le premier.
Ça nous rend extrê‐ mement suspicieux. Qu’est-ce qu’il y a de si explosif dans ce rapport-là pour qu’il demeure caché?
Yves de Repentigny, viceprésident de la Fédération na‐ tionale des enseignantes et enseignants du Québec
C’est incohérent de rece‐ voir un rapport et de ne pas le rendre public, renchérit Maya Labrosse.
Radio-Canada avait formu‐ lé à l’été 2022 une demande d’accès à l’information afin d’obtenir un exemplaire de ce rapport, mais celle-ci a été re‐ fusée. Selon les motifs invo‐ qués, il s’agissait de docu‐ ments du cabinet du ministre ou produits pour son compte et les processus décisionnels [concernant les avis et recom‐ mandations qu’ils contiennent] [n’étaient] pas complétés.
L'attaché de presse de la nouvelle ministre de l’Ensei‐ gnement supérieur, Pascale Déry, indique que celle-ci a l’intention de le rendre public prochainement, mais qu’au‐ cune date n’a pour le moment été fixée.
À lire et écouter :
Cours de français obliga‐ toires dans les cégeps anglo‐ phones : Jolin-Barrette a tran‐ ché AUDIO – Réflexion sur la culture générale acquise au cégep