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Mascarade : la vie carnavales­que de Gayance

- Zacharie Routhier

Aïsha Vertus a « besoin du chaos pour trouver la paix ». Depuis dix ans, celle que l’on connaît sous le pseudonyme de Gayance arpente le monde sans ja‐ mais réellement élire do‐ micile, se nourrissan­t de l’empreinte musicale des Caraïbes, de l’Amérique du Sud ou encore de l’Europe.

Lors de son entrevue avec Radio-Canada, la globe-trot‐ teuse montréalai­se se trou‐ vait à Sao Paulo, au Brésil, à quelque 10 000 kilomètres d’Amsterdam, où elle réside depuis peu. J’avais envie de carnaval, dit-elle simplement. C’est vraiment une énergie qui me motive en tant qu’artiste.

Au milieu d’une foule, du‐ rant le carnaval, quand tout le monde est tout nu, en train de frencher et de chanter des tounes, avec du brillant par‐ tout dans la face; c’est le mo‐ ment où je me sens le plus calme, poursuit Gayance. J’ap‐ précie le chaos, ça m’aide à me refaire, d’une certaine fa‐ çon.

Son album paru vendredi, rythmé de breakbeats, de house, de jazz et de R’n’B, joue sur la dualité du mot masca‐ rade : d’un côté, il peut en‐ joindre à embrasser le désordre et les couleurs de la vie, à danser sous la pluie, et à être nous-mêmes. De l’autre, on peut le lier aux relations sociales empreintes d’hypocri‐ sie, aux façades et aux mises en scène trompeuses.

Gayance a choisi son camp. Elle est foncièreme­nt authentiqu­e et extraverti­e – bold, comme elle le décrit –, et invite toutes celles et tous ceux qui souhaitent la suivre à embarquer dans son char allégoriqu­e.

C’est correct d’être extra‐ vertie. C’est correct d’être out there. D’être loud. Il faut vrai‐ ment continuer à être soimême, et se foutre du reste.

Gayance

Sauter la clotûre

Gayance flirte avec les rythmes et les sons depuis son plus jeune âge. Elle n'avait toutefois jamais imaginé de‐ venir musicienne, et encore moins sortir un album au dé‐ but de sa trentaine.

Avant d’y arriver, elle a mis à l’essai presque tous les rôles de l’industrie musicale : ani‐ matrice pour VICE, coréalisa‐ trice du documentai­re Piu piu sur la musique dansante montréalai­se, consultant­e en programmes musicaux chez POP Montréal, ou encore se‐ lector et DJ dans les bars d’ici et d’ailleurs.

J’aime la musique avant tout, explique-t-elle. J’aime écouter de la musique, j’aime découvrir de la musique. C’est ça pour moi le truc important dans ma vie, et la base de qui je suis.

Puis, en 2021, elle a fait ses premier pas comme composi‐ trice avec le microalbum No Toning Down. Celui-ci lui a permis de séduire l’étiquette londonienn­e Rhythm Section, sur laquelle est sorti Masca‐ rade, et de remporter le tro‐ phée de la révélation musicale de l’année au Gala Dynastie, qui célèbre l’excellence noire.

Afin de réaliser son album, Gayance a postulé à une rési‐ dence PHI dans les Lauren‐ tides, non sans un syndrome de l’imposteur qui lui pèse en‐ core aujourd’hui.

Entourée de collabora‐ trices (Janette King, Hua Li, Ju‐ dith Little D), de collabora‐ teurs (Raveen, Émile Farley, David Ryshpan, Frase), d’une spécialist­e de guérison par le son (sound healer) et d’une bonne dose de vin nature, la musicienne a composé l’es‐ sentiel de son premier album.

Seule Nunca Mais, titre sur lequel chante l’artiste hollan‐ daise LAZA, a été composée en dehors du cadre de cette résidence de création.

La piste aux influences house, sortie sous la forme d’un simple en octobre, semble d’ailleurs déjà séduire les adeptes de musique élec‐ tronique sur les plateforme­s d’écoute en ligne. Moonrising (avec Judith Little D), une piste aux accents gospels inspirée du grand-père de Gayance et de sa tendance à amener son conga dans les églises québé‐ coises, promet aussi de faire danser les foules cet été.

Mais l’album comporte également son lot de mor‐ ceaux plus calmes, comme l’enveloppan­te chanson-titre Mascarade (avec Raveeen), ou la très R’n’B Lord Have Mercy (avec Judith Little D et Raveen). D’autres pièces aux rythmes brisés, comme Clout Chaser’s Anthem (avec Ja‐ nette King & Hua Li) et Shore Apart (avec Raveen), pour‐ raient trouver leur place tant dans les bars que dans les sa‐ lons.

Je me suis vraiment inspiré de la musique que j’écoutais pour composer ma musique, explique Gayance. Quand je mixe, je ne vais jamais faire un DJ set complèteme­nt house, ou encore complèteme­nt hiphop. Je n’aime pas ça. Donc j’avais envie de varier la note, et d’avoir différente­s sonori‐ tés qui racontent des his‐ toires.

L’énergie Gayance

Mascarade regroupe donc des bribes de la vingtaine de Gayance, mais aussi des sou‐ venirs de son enfance, comme l’enregistre­ment Inner G (1996), sur lequel on l’en‐ tend, à l’âge de quatre ans, proclamer son amour pour sa mère avec une fougue im‐ pressionna­nte.

On ressent aujourd'hui cette même énergie chez la musicienne lorsqu’elle dé‐ nonce les injustices sociales, ou demande un meilleur sou‐ tien aux artistes qui chantent en anglais au Québec – On doit accepter que ça ne veuille pas dire qu’on perd une culture. Il y plein de Québé‐ cois francophon­es qui font de la musique en anglais et ils sont tellement bons!

Ou encore, bien sûr, lors‐ qu’elle parle de son album, projet dans lequel elle s’est complèteme­nt investie. Elle veut d’ailleurs en faire un exemple pour les jeunes qui veulent se lancer en musique, et qui sont aux prises avec le syndrome de l’imposteur. Il faut just do it (« se lancer »), selon elle, à condition d’être prêt ou prête à travailler fort.

Si tu veux aller à la masca‐ rade, il faut que tu ailles au magasin de tissus avant, illustre Gayance avec son par‐ ler imagé. Cet album-là n’est pas né en me réveillant le ma‐ tin et en me frappant la tête.

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